AFGHANISTAN : POURQUOI MEURENT LES ENFANTS… Partie 1

L’ensemble des informations et des données chiffrées contenues dans cet article sont issues des sites et publications des ONG de l’humanitaire : OCHA, PAM, FAO, CICR …

Partie 1 – Une catastrophe humanitaire

 

On ne peut sanctionner et fermer brutalement toutes les portes à l’Afghanistan actuel sans rajouter encore à l’inhumanité de ce que vit l’ensemble de son peuple, et singulièrement les femmes.
Le 22 décembre 2021, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, à l’unanimité, adopta une résolution – No 2615 (2021) – autorisant l’aide humanitaire à l’Afghanistan…, mais sans pour autant lever le programme de sanctions adopté, lui aussi à l’unanimité, quelques jours avant, le 17 décembre. Beaucoup espéraient certainement que le silence pourrait durablement sinon définitivement s’installer sur une question ô combien gênante. Gênante pour l’Administration américaine en particulier. Comment, en effet, pouvoir justifier aisément la moindre aide susceptible d’aider le régime des Talibans alors que ceux-ci, pour Washington et pour les pays de l’OTAN, restent à la fois un acteur direct de la défaite occidentale en Afghanistan et le produit empoisonné de 40 années de guerres, dont 20 ans de la guerre américaine « contre la terreur ». C’est à dire des années de conflits meurtriers et d’occupations militaires qui ont réuni dans ce pays les conditions de la catastrophe humanitaire, sociale, économique et politique en cours [1].

Dans un article du quotidien Les Échos du 27 décembre, intitulé « le retour discret de l’aide occidentale à l’Afghanistan », Richard Hiault écrit : « la population paye un lourd tribut au retour des Talibans »[2]. Comme si ce retour était la seule ou la principale cause de la catastrophe. Certes, les Talibans n’ont rien d’une équipe d’innocents démocrates. Leur violence, leur autoritarisme répressif, leur politique discriminatoire en particulier contre les femmes, et leur refus de considérer celles-ci comme des êtres humains à égalité de droit…, tout cela constitue une épreuve, une lourde épreuve de plus pour le peuple afghan. On ne saurait minimiser les nombreuses et graves problématiques éthiques, politiques, sociales et institutionnelles issues de l’installation de ce pouvoir de facto. Mais on ne peut sanctionner et fermer brutalement toutes les portes à l’Afghanistan actuel sans rajouter encore à l’inhumanité de ce que vit l’ensemble de son peuple, et singulièrement les femmes.

Il y a danger, aussi, à ne pas vouloir considérer l’ensemble des causes de la situation actuelle issue d’un cumul de longue durée, par imbrications complexes, de facteurs accablants : État déliquescent, désintégration économique, sous-développement et pauvreté massive, affaiblissement drastique des services sociaux existants, notamment celui de la santé. Ce qui ne relève pas seulement des incapacités manifestes du régime précédent sous tutelle occidentale et sous perfusion financière internationale. Les causes sont aussi les calamités « naturelles » : sécheresses récurrentes, inondations destructrices et meurtrières, séismes répétitifs… On sait que l’Afghanistan se situe sur une zone sismique correspondant aux contreforts de l’Indu Koush. Dans les 10 années écoulées, 7.000 personnes ont perdu la vie du fait d’un tremblement de terre[3].

Le 17 janvier 2022, un séisme a frappé la province de Badghis dans l’Ouest du pays. Selon les premiers décomptes il faut enregistrer 28 morts, 40 blessés et entre 700 et 800 maisons détruites ou endommagées. Selon l’OCHA (Bureau de la coordination de l’action humanitaire de l’ONU) les fortes pluies qui s’étaient abattues précédemment avaient rendu les maisons en briques de terre beaucoup plus vulnérables. Alors que cette région, comme d’autres régions rurales du pays, a déjà subi la dévastation de la sécheresse. Avec l’hiver, dans de telles provinces où la pauvreté s’est étendue, la neige et les basses températures vont rendre les conditions de vie encore plus dures. Rappelons que 70% des Afghans vivent dans des zones rurales. L’agriculture apporte 25% du PIB du pays et 80% de l’ensemble des moyens de subsistance proviennent directement ou non du secteur agricole. L’enjeu est donc décisif

 

25 millions de personnes relèvent de l’aide humanitaire d’urgence

Les États-Unis, leurs alliés et l’ensemble des pays membres du Conseil de sécurité ont donné une sorte de coup de grâce en appliquant un consternant système de sanctions dont la conséquence implacable est l’émergence d’une crise humanitaire
L’Afghanistan, classé comme un des pays les plus pauvres du monde, est ainsi directement impacté par le changement climatique, affaibli par une grave crise agricole, par la désagrégation de l’État et celle des fragiles structures économiques et sociales… Comme si cela ne suffisait pas, les États-Unis, leurs alliés et l’ensemble des pays membres du Conseil de sécurité ont donné une sorte de coup de grâce en appliquant un consternant système de sanctions dont la conséquence implacable est l’émergence d’une crise humanitaire considérée par les services de l’ONU et par les ONG comme une des pires catastrophes humanitaires du monde, comprenant un risque immédiat de famine. 24,4 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population du pays, relèvent ainsi d’un besoin humanitaire d’urgence, de l’insécurité alimentaire, et même de la malnutrition aiguë et du risque de mort pour un enfant sur deux de moins de 5 ans. Dans un tel contexte, beaucoup rejoindront les quelque 2,6 millions de réfugiés afghans dans le monde, et le sort des déplacés (700.000 pour la seule année 2021) risque d’être encore plus dramatique. N’oublions pas, enfin, cette autre férocité, celle de l’État Islamique du Khorasan (ou Daech-K), présent maintenant dans la plupart des régions d’Afghanistan : ses attaques sont passées de 60 à plus de 300 en novembre 2021.

La résolution du 22 décembre qui autorise l’aide humanitaire ne résout donc rien sur le fond, même avec l’énorme et précieux travail des ONG face au cumul des urgences plus impératives les unes que les autres. Soulignons d’abord que l’ampleur de la crise est telle, et ses causes structurelles si sévères, que l’humanitaire d’urgence ne suffira pas à sortir l’Afghanistan du désastre sans que soient engagés des processus contribuant directement aux fonctionnements de l’économie, à un minimum de développement et de reconstruction productive et sociale. Il faudra aider l’Afghanistan à sortir de la paralysie du système bancaire, contribuer à la survie de l’agriculture, aider au maintien des services sociaux, en particulier celui de la santé. Cette catastrophe humanitaire en cours explose du fait des sanctions, mais elle vient aussi de plus loin. Selon l’OCHA, le nombre de personnes ayant un besoin d’aide vitale a été multiplié par 4 en 3 ans. L’augmentation de la pauvreté ces dernières années a constitué un paramètre d’aggravation des risques. Dans un contexte de décomposition économique, il ne manquait donc plus que le facteur déclenchant des sanctions pour mettre ce pays au bord du gouffre.

Le déblocage de l’aide d’urgence est à la fois indispensable et totalement inopérant s’il ne s’accompagne pas de la levée de toutes les sanctions.
Notons ensuite que le déblocage de l’aide d’urgence est à la fois indispensable et totalement inopérant s’il ne s’accompagne pas de la levée de toutes les sanctions. Washington doit débloquer les 9,5 milliards de dollars d’actifs de la Banque centrale afghane. Le FMI et la Banque mondiale doivent (l’ONU le demande) reprendre les aides au développement sans lesquelles les services de base, notamment celui de la santé, ne peuvent ni fonctionner, ni exister. La Banque mondiale a fait un geste en accordant 280 millions de dollars issus du Fond d’affectation spéciale pour la reconstruction. Mais on garde le sentiment que le sort du peuple afghan reste une non question, une non urgence… Comme si l’on pouvait, en ce XXIe siècle, tolérer une famine de très grande ampleur dans un processus d’écroulement global possible concernant un pays qui s’est vu imposer durant tant d’années des logiques de puissance destructives. Comme dit David Beasley, Directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (le PAM a reçu le Prix Nobel de la paix en 2020) : « cet hiver, des millions d’Afghans seront forcés de choisir entre la migration et la famine, à moins que nous puissions intensifier notre aide, et à moins que l’économie ne puisse être ressuscitée. Nous sommes sur le compte à rebours de la catastrophe, et si nous n’agissons pas maintenant, nous aurons un désastre total sur les bras »[4].

Jacques Fath* 

[1] Voir « Afghanistan : c’est un peuple qu’on assassine » et « Encore sur l’Afghanistan et sur l’attitude de la France », 20 et 23 décembre 2021. https://jacquesfath.international/

[2] « Crise humanitaire: le retour discret de l’aide occidentale à l’Afghanistan », Richard Hiault, Les Échos, 27 décembre 2021.https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/crise-humanitaire-le-retour-discret-de-laide-occidentale-a-lafghanistan-1375026

[3] Voir « Afghanistan : earthquake contingency plan » sur le site lié à l’OCHA : humanitarianresponse.info https://www.humanitarianresponse.info/fr/operations/afghanistan/document/afghanistan-earthquake-contingency-plan

[4] « La moitié de la population en Afghanistan face à une faim aiguë alors que les besoins humanitaires augmentent pour atteindre des niveaux records », rapport conjoint FAO-PAM, 25 octobre 2021. https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/la-moitie-de-la-population-en-afghanistan-face-une-faim-aigue-alors-que-les

*https://jacquesfath.international/2022/01/25/afghanistan-pourquoi-meurent-les-enfants/

Article écrit pour la revue : “Les Cahiers de Santé Publique et de Protection Sociale“, dont le rédacteur en Chef est le docteur Michel Limousin.