Épisode 15
Chelsea était analyste de renseignement de l’armée américaine. Un de ses ordinateurs est connecté au SIPRNET (Secret Internet Protocol Router Network), où se trouvent les « cables », des dépêches ou télégrammes. L‘autre est connecté au JWICS (Joint Worldwide Intelligence Communications System), utilisé par les Département d’Etat et de la Défense pour transmettre des informations secrètes… Ces réseaux lui donnent accès aux données classifiées de l’armée américaine.
Chelsea est ulcérée par les abus qu’elle y découvre, dont certains peuvent même être considérés comme des crimes de guerre. En février 2010, elle se tourne vers WikiLeaks et leur soumet la Baghdad video. Filmée à partir d’un hélicoptère américain, la vidéo montre des soldats qui, depuis l’hélicoptère, tirent sur des civils, des enfants et deux journalistes de l’agence de presse Reuter… Or au moment des faits, la presse avait donné de cet événement une tout autre version.
Julian ne quitte plus son ordinateur. La petite maison se remplit vite de tasses de café vides, de câbles d’ordinateur, de chocolat et autres emballages laissés par les membres de l’équipe, qui renoncent aux repas normaux pour gagner du temps et mieux travailler à la vidéo… Ensemble, ils l’analysent dans les moindres détails, cherchent à identifier les personnes filmées et enquêtent sur le sort des survivants. Il réalisent un montage pour sa divulgation. Fidèle à sa philosophie, WikiLeaks publiera en fait deux versions de la vidéo, celle montée par leurs soins et le matériel brut. Julian veut que le monde entier puisse avoir accès à ce document.
Sous le titre Collateral Murder, la vidéo est révélée le 5 avril 2010 lors d’une conférence de presse au Washington Press Club. Une phrase d’Orwell ouvre le petit film :
Le 22 mai, Adrian Lamo, probablement en quête de gloire médiatique, prend la décision de balancer Chelsea aux autorités américaines.
« LAMO : ça t’inquiète pas que le CID (Criminal Investigation departement) mette son nez dans tes histoires sur Wiki ? Moi, j’étais toujours parano.
MANNING (bradass87) : (…) le Département d’État va être super furieux…, mais je ne crois pas qu’ils soient capables de remonter jusqu’à la source de tout ça… donc, ça a fait des dégâts au niveau du public, mais ça n’a pas intensifié les attaques ou la rhétorique…
LAMO : donc tu as mis (les données) en lieu sûr ?
MANNING : (…) elles ont été stockées sur un serveur centralisé…
LAMO : et quel est ton plan pour terminer la partie, alors ?
MANNING : des débats au niveau mondial, j’espère, et des réformes.
MANNING : sinon… alors nous sommes foutus.
MANNING : je ne croirai plus en notre société si rien ne se passe.
MANNING : les réactions à la vidéo m’ont donné des espoirs immenses.
MANNING : je veux que les gens voient la vérité… qui que ce soit… parce que sans information, le public ne peut pas prendre des décisions en toute connaissance de cause. »
Les États-Unis ne parviendront jamais à établir la complicité de Julian dans la fuite. C’est une des raisons qui les conduiront à revoir leur stratégie d’accusation contre Julian Assange pour atteindre leur objectif : son extradition.
En juillet 2010, se tient à New York le forum de HOPE (Hackers on Planet Earth), grande réunion des hackers défenseurs de la transparence et de la vie privée. La rumeur court que Julian Assange va tenir le discours d’ouverture. Mais à la dernière minute, c’est Jacob Applebaum qui prend sa place. Il est devenu trop dangereux pour Julian de mettre les pieds aux États-Unis. Le nom de Lamo, le hacker traître qui a balancé Bradley Manning, est sur toutes les lèvres, d’autant qu’il se murmure qu’il est dans la salle. Ce jour-là, Jacob Appelbaum fera une conférence remarquable au sujet de WikiLeaks. Il promet de ne pas mentionner le traître et… finit par dévoiler son T-shirt où il est inscrit, en référence à Lamo : STOP BITCHING.
Voilà. C’était le 15ème épisode de WANTED, la série qui vous emmène au cœur du réacteur de notre monde et vous en dévoile les faces cachées… WikiLeaks est loin d’en avoir terminé avec les leaks de Chelsea…
PHOTO : JULIAN ASSANGE, CHELSEA MANNING, ADRIAN LAMO.
Avec le petit mot écrit par Chelsea lors de son procès concernant Adrian et glissé à son avocat:
« I have never had an ill will towards adrian at any time I’m more mad at the government for using him.”
Belgium4Assange
Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir
Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.
A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes. |
Sources / Pour en savoir plus :
The most dangerous man in the world, Andrew Fowler, Skyhorse Publishing, 2011.
The unauthorized autobiography, Julian Assange, Canongate Books Ltd, 2011.
L’article du New York Times qui traite de l’évènement en juillet 2007 : http://www.nytimes.com/2007/07/13/world/middleeast/13iraq.html
Lien vers la video Collateral Murder : https://collateralmurder.wikileaks.org
Les Manning-Lamo Chat Logs ont été publiés dans un article du Wired : https://www.wired.com/2011/07/manning-lamo-logs/
Tom McCarthy, Bradley Manning tells lawryer after sentencing: “I’m going to be OK” as it happened”, Guardian 21 aout 2013, archive.today/Fjjo0
Intervention de Jacob Applebaum au FORUM DE HOPE :
Le récit de ce qui s’est passé au forum de HOPE est raconté dans : Anonymous, Gabriella Coleman, Lux éditeur, 2016
A propos de Lamo : https://www.npr.org/2019/09/19/760317486/the-mysterious-death-of-the-hacker-who-turned-in-chelsea-manning?t=1606327918504.