Après deux ans d’attente, nous y sommes. L’équipe de Donald Trump vient de sortir le tant attendu “plan de paix” sur la Palestine et Israël. Mais quel sens le mot “paix” revêt-il vraiment dans ce “deal of the century” ? Peut-on encore parler de paix lorsqu’on sait que cette proposition américaine ne prend en considération aucune revendication palestinienne et légitime ouvertement des violations du droit international ? Peut-on encore parler d'”État palestinien” lorsqu’on concède péniblement une demi-douzaine d’archipels isolés en Cisjordanie, une démilitarisation complète des palestiniens et l’impossibilité de signer le moindre traité avec un pays tiers ? Paul Delmotte, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’IHECS et chroniqueur spécialiste du Moyen-Orient, ainsi que Nadia Farkh, coordinatrice de l’association belgo-palestinienne (ABP), ont tous deux accepté de répondre aux questions de Jeanne Delobel, journaliste et enseignante. Dans cette interview croisée de 33 minutes, il est question des détails de ce plan, du contexte international dans lequel il s’intègre, et des réelles motivations derrière l’agenda de Trump et de Netanyahou.
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Jeanne : Il y a 4 jours, Donald Trump a proposé un plan de paix. Quel est le signal envoyé par ce plan de paix et que signifie-t-il ?
Nadia : C’est vrai que cela fait 3-4 jours qu’il en a parlé, mais ça fait 2 ans qu’on en parle. Ça fait 2 ans qu’on promet qu’il va y avoir un plan de paix, et chaque fois il y a eu des teasings en disant que ça y est, il va y avoir un plan de paix qui va pouvoir régler les problèmes et lui il en parlait comme : “Trump va trouver la solution qu’aucun autre président américain n’a trouvé.” Mais en fait, qu’est-ce qui fait que ça sort maintenant ? C’est surtout qu’on est en pleine campagne électorale et américaine et en pleine campagne électorale israélienne et je crois que c’est ça qui fait que ça aboutit maintenant. Ça aboutit maintenant pour pouvoir faire le buzz pour les deux, et ça aboutit maintenant parce qu’on est dans une impasse. Les palestiniens n’ont pas grand-chose à dire dans cette histoire, on n’a pas trop demandé leur avis. Ils n’étaient pas présents, mais c’est leur avenir qui est en jeux, et quelque part, quelque chose qui était déjà sur le terrain a été avalisé par ce plan.
Jeanne : Toi Paul quel est ton point de vue sur ce plan de paix ? Quels sont les signaux envoyés et qu’est-ce qu’il signifie ?
Paul : La première chose que je dirais, c’est que ce n’est pas un plan de paix, au contraire. Ça c’est important à rappeler quand même, parce que tout le monde parle d’un plan de paix, mais ce n’est pas un plan de paix. Je pense aussi qu’il ne faut pas attribuer ça à une stratégie réfléchie de Trump ou de Netanyahou. Je pense que c’est quelque chose qui est très liée à la personnalité de Trump. C’est-à-dire que ce type est complètement obsessivement addict aux médias. Il veut toujours prendre le contre-pied de son prédécesseur, des choses comme ça… Et surtout ça tombe bien parce que je vais citer René Backmann qui a dit l’autre jour qu’en fait ce “plan de paix” c’était une façon d’empêcher la destitution de Trump et de d’empêcher la condamnation de Netanyahou… Je crois que ça résume tout. Je répète ce que Nadia a dit, c’est conjoncture.
Jeanne : Le plan de paix proposé par Donald Trump, est-ce qu’il se rapproche plutôt de la déclaration de Balfour ou les négociations de Camp David ?
Nadia : Balfour ce n’est pas un plan de paix, c’est une déclaration. C’est une déclaration du ministre des affaires étrangères anglais en 1917. Camp David, là c’était une négociation, déséquilibrée mais c’était quand même une négociation. Donc quelque part ce qu’il se passe maintenant – qui n’est pas un plan de paix, c’est vrai – c’est un petit peu des deux. D’une part, Balfour c’est un anglais qui promet aux juifs d’Europe de pouvoir créer un foyer national juif en Palestine. Et donc les Palestiniens n’avaient rien à dire… C’est quelque chose qui s’est fait sans leur avis, on décide pour eux et on gère le territoire comme s’ils n’existaient pas. C’est ce qui se passe maintenant. Par rapport à cette déclaration de Trump, le plan que Trump a proposé, les Palestiniens n’étaient pas invités, ils n’ont pas eu leurs mots à dire. Et les conditions qui sont mises pour que les Palestiniens l’acceptent sont inacceptables pour les Palestiniens. Et la même chose pour Camp David.
Alors c’est vrai que c’était une négociation entre un très fort et un très faible, entre les Palestiniens et les Israéliens avec les déséquilibres de force qu’il y a à ce moment-là, sous le parrainage des américains. Et pour finir on arrivait à un plan de paix aussi, qui était les “Offres Généreuses”, que les Palestiniens ont refusé. Il y a eu toute une propagande et une discussion qui disait qu’en fait on a proposé des choses merveilleuses aux Palestiniens et qu’ils ont refusé et qu’on allait proposer qu’ils puissent avoir Jérusalem comme capital de la Palestine, mais c’était Abu Dis. Comme maintenant Trump le fait. Ça veut dire que c’est une banlieue tout à fait à l’extérieur du mur qui sépare Jérusalem de la Cisjordanie, c’est là que vous pourrez faire une capitale pour la Palestine que l’on appellerait Al-Quds, comme on pourrait dire : “ben voilà on prend Liège, et on l’appelle Bruxelles, et voilà, vous pouvez en faire votre capital”. Donc il y a ce côté de propositions qui sont complètement déséquilibrés, qui sont vraiment tout à fait favorables à Israël, et le fait qu’on nie tout à fait les revendications du peuple palestinien ou les droits élémentaires du peuple palestinien.