C’est une nouvelle formidable qui vient de nous parvenir: l’Université de Liège a décidé d’octroyer le titre de Docteur Honoris Causa à Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté. La cérémonie aura lieu le jeudi 20 septembre. A côté de Christine, ce sont deux autres personnalités hors du commun qui seront célébrées ce jour-là: le docteur Denis Mukwege, “l’homme qui répare les femmes” en République Démocratique du Congo, ainsi que Ihsane Jarfi, un grand militant des droits de l’homme et en particulier du droit à la différence.
Christine Mahy est une des fondatrices du journal POUR et elle collabore très activement à notre journal. Elle a notamment joué un rôle important dans la réalisation du journal sur la santé publié au printemps de cette année dans le cadre de l’opération TAM-TAM. Nous l’avons interviewé à deux reprises sur son action au Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP) dont elle est la secrétaire générale:
https://pour.press/trois-questions-a-christine-mahy-video/
https://pour.press/christine-mahy-la-vraie-richesse-video/
Pour ceux de nos lecteurs qui ne la connaitraient pas, nous reproduisons ici la présentation qu’en fait l’Université de Liège dans son annonce des Doctorats Honoris Causa 2018, et qui situe bien son combat.
Christine Mahy est l’une des grandes figures en Wallonie de la lutte contre la pauvreté, militante engagée en faveur d’une société plus collective et consciente de l’enrichissement par l’intégration des différences et la prise en compte des minorités. Assistante sociale de formation, elle a puisé ses convictions et son engagement dans l’action socioculturelle, d’abord en milieu rural dans la province de Luxembourg.
Née à Marloie en 1960, ses études la convainquent que l’assistance sociale doit davantage intégrer et associer les personnes, démarche qu’elle va initier au début des années 80’ en créant l’asbl « La Chenille », une maison de quartier implantée dans une cité d’habitations sociales de Marche-en-Famenne. Ses rencontres avec la communauté turque de Marche et avec les populations fragilisées de ces quartiers l’éclairent sur l’évidence que les personnes ont le désir d’une existence culturelle, économique et sociale qui puisse être réelle dans la collectivité locale et régionale. Une certitude se construit très tôt chez Christine Mahy : culture et social sont indissociables, et l’éducation permanente est la clef de voûte. Au sein de l’association, elle multiplie les actions de formation et d’émancipation des adultes par l’alphabétisation, la mise dans la rue de la littérature pour l’enfance et la jeunesse…
L’engagement à la fois social et culturel de Christine Mahy se traduit ensuite par son travail au sein du Centre Culturel Local de Marche-en-Famenne, qu’elle dirigera durant les années 90’. Elle orientera les actions et le fonctionnement de l’institution dans une perspective de démocratie culturelle et dans une démarche globale d’éducation permanente. Plutôt qu’une culture « monstration », elle favorisera des processus de création et de production culturelle par les populations, notamment sous la forme du théâtre-action. Elle réservera aussi une grande place à l’expression des jeunes.
Au début des années 2000, Christine Mahy rejoint l’asbl « Miroir Vagabond » où elle formalise un projet de développement socioculturel intitulé « Contrat de Pays Ourthe-Salm » associant six communes du nord de la province de Luxembourg. Les questions d’identité, de territoire, de circulation et de participation à la vie de la cité des populations demeurent plus que jamais au centre des démarches qu’elle promeut.
Convaincue qu’il est indispensable de faire évoluer la société vers plus d’équité pour enrayer les phénomènes de pauvreté, Christine Mahy s’investit dans l’asbl Centre de Médiation des Gens du Voyage en Wallonie et dans le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté dont elle a été présidente et est actuellement la Secrétaire générale. Elle a également présidé le Réseau Belge de Lutte contre la Pauvreté.
Le prix Bologne-Lemaire de Wallonne de l’année en 2005 rend hommage « à une actrice exemplaire de l’action socioculturelle en Wallonie, promotrice d’une action globale de développement local et régional en milieu rural touchant l’ensemble de la population ». En 2012, elle est élevée au rang de chevalier du Mérite wallon.
Pour Christine Mahy, la lutte contre la pauvreté est une question de justice sociale et d’équité, une question d’accès et d’exercices des droits, une question de démocratie. « Vivre des conditions de pauvreté ou d’appauvrissement dans la longue durée provoque le développement de comportements de survie qui créent des habitudes de vie liées à la privation, à l’ignorance, à l’isolement, au fait de se vivre ‘à côté du système’. Cela conduit à la désaffiliation progressive et souvent de plus en plus intense. Et finalement se développe ce que d’aucuns nomment ‘la pauvreté générationnelle’. Car la pauvreté générationnelle n’est ni une fatalité, ni génétique… elle s’installe malheureusement insidieusement de façon profonde. » (extrait du site internet du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté)
En décernant un doctorat honoris causa à Christine Mahy, l’Université de Liège réaffirmerait à travers son exemple le rôle émancipateur de l’éducation et de la culture, rôle qui guide et inspire l’ULiège, université publique qui se veut ouverte au plus grand nombre indépendamment des conditions sociales, des différences ou des origines.
L’attribution d’un Doctorat Honoris Causa à Christine par l’Université de Liège nous a donc comblé de joie. Dès que nous avons eu connaissance de la nouvelle, ce vendredi 24 août, nous lui avons fait part de notre enthousiasme. La réponse de Christine, que nous reproduisons ci-dessous, est magnifique et exemplative de ce personnage hors du commun, qui allie – comme nous le lui écrivions – “une intelligence tout à fait remarquable dans la conduite de ton action avec une grande humanité”.
Réponse de Christine:
Bonsoir Michel,
Merci pour ton message très amical et chaleureux. Je ne sais pas encore comment commenter ce choix de l’ULg, et cette information encore récente, qui m’étonne, m’impressionne, et donne un peu une impression de quelque chose qui me dépasse. Mais je pense surtout que les raisons qui sont à l’origine de leur choix sont importantes : situer la pauvreté comme une violence infligée aux personnes et ménages, et reconnaître l’importance de la parole collective des personnes concernées par la traversée de la vie dans le trop peu de tout. Je pense que c’est important maintenant, particulièrement maintenant. Et j’espère surtout que ce titre contribuera à soutenir nos combats communs. Je vis ce titre comme celui des personnes, du monde populaire, qui furent et sont encore « mes formateurs/trices »… en lieu et place de l’université. Mais je pense aussi que c’est une victoire du RWLP dans le sens où une autre manière de nommer, de dénoncer la pauvreté passe. Et ça c’est un travail de plusieurs années. Il n’est pas que le nôtre, mais je pense que le Réseau a ouvert la voie.
Oui bien sûr, ça me fera plaisir que tu l’annonces dans POUR. Merci déjà.
Amitiés, Christine.
Pour la rédaction de POUR,
Michel Gevers