Mot valise constitué de « rénovation » et de « révolution », la stratégie Renolution de réduction de l’empreinte carbone du bâti bruxellois a durci ses ambitions au printemps 2023 pour répondre aux exigences européennes. Objectif : la « neutralité carbone » en 2050. Une politique énergétique qui se veut révolutionnaire. Techniquement oui, peut-être, à considérer la formule de l’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa « si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change ». Socialement non, tout, sinon presque tout reste à faire pour améliorer le confort de vie de toustes les Bruxellois.es, tout en atteignant les objectifs climatiques fixés par l’Europe.
À Bruxelles, le secteur du bâtiment est le vilain petit canard des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le chauffage des bâtiments (résidentiel et tertiaire) totalise à lui seul 56 % des émissions directes de GES de la Région bruxelloise. À titre de comparaison, le secteur des transports totalise 24 % des émissions, dont la quasi-totalité provient du transport routier. Ensemble donc, les bâtiments et le transport représentent 80 % des émissions directes de GES de la Région. Ces chiffres expliquent à eux seuls la diversification de stratégies mises en œuvre par les derniers gouvernements : la zone de basse émission (LEZ) sur de grandes portions du territoire, interdisant la circulation aux véhicules les plus polluants ; la stratégie « Good Move », pour décourager l’usage de l’automobile en ville ; la stratégie « Renolution », pour activer les travaux de rénovation et d’économie d’énergie des bâtiments. Le tout pour permettre à la Région de tenir ses engagements climatiques. Pour le logement, l’enjeu est de taille puisque celui-ci est amené à se conformer aux objectifs de l’Union européenne de certification de la Performance énergétique des bâtiments (PEB), sorte de carte d’identité énergétique d’une habitation, qui comporte une échelle de classification et des indices allant de A (très économe) à G (très énergivore). Dans son arsenal de mesures vertueuses, la Région a propulsé la « pompe à chaleur » au rang de panacée. Un solutionnisme technologique qui fait le jeu du nouveau paradigme du tout à l’électricité au prix d’une relance des programmes nucléaires à l’échelle de l’Union européenne[1].
Un calcul théorique
La PEB d’une « habitation/logement » (appelée « unité PEB ») est un calcul théorique de la dépense énergétique de l’enveloppe d’un bâtiment (sa constitution physique), nécessaire au maintien d’une température ambiante de 18 °C, dans chaque pièce, pendant les douze mois de l’année. Un modèle théorique déconnecté des consommations réelles puisqu’il ne tient pas compte des comportements de consommation d’énergie des personnes qui y vivent. Calcul qui fait fi du choix ou de la contrainte d’habiter à moindre température, que ce soit pour des raisons économiques, pratiques ou philosophiques, et ignore que la majeure partie des ménages bruxellois ne chauffent pas leur logement de mai à octobre. IEB et d’autres collectifs et associations, pointent les limites de la PEB et souhaitent que la stratégie européenne centrée sur ce concept et sa transposition dans le droit régional bruxellois soit revue. Plusieurs études menées à l’étranger et à Bruxelles, qui comparent l’évolution des scores PEB d’un logement aux consommations réelles des occupant·es (au compteur donc !), démontrent que la consommation réelle se maintient à un niveau relativement constant au fur et à mesure que le score PEB glisse de G vers A[2]. Elle est, grosso modo, équivalente à la consommation médiane théorique du niveau C de la PEB. L’effet rebond après isolation est un impensé de la PEB. « En effaçant les personnes qui habitent, la politique actuelle nous donne un chèque en blanc : tant que nous isolons, nous pouvons consommer sans modération tout en profitant des subsides », soulignent les auteur·ices d’une carte blanche parue en octobre 2024 [3].
Quels financements ?
Afin de se conformer aux exigences européennes, en avril 2023 la Région adoptait son nouveau Plan Régional Air Climat Energie (PACE) dont l’objectif est de réduire drastiquement les émissions de gaz à effets de serre : 47% par rapport à 2005, au lieu de 40% dans le plan précédent. Dans la foulée, le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie – CoBrACE était amandé et adopté en mars 2024. Ce cadre normatif fixe, entre autres, les obligations et amendes pour les propriétaires qui n’effectueraient pas les travaux désormais obligatoires. Ainsi, l’ensemble des logements dits « passoires énergétiques » disposant des indices médiocres F et G devront être rénovés d’ici à 2033 afin d’atteindre au minimum la classe E (c’est-à-dire une consommation d’énergie théorique inférieure ou égale à 275 kWh/m²) ; les logements PEB D et E devront quant à eux avoir été rénovés au plus tard en 2045 afin d’atteindre au minimum la classe C (soit avoir une consommation d’énergie théorique inférieure ou égale à 150 kWh/m²). L’ensemble du bâti bruxellois devra par conséquent avoir atteint la classe C en 2045. Le chantier à mener d’ici 2033 est conséquent alors que 41 % des appartements et 71,7 % des maisons relèvent des indices PEB F et G. Celui pour remplir les objectifs à l’horizon 2050 (un niveau moyen C+ soit 100 kWh/m²) est encore plus ambitieux puisqu’il faudrait atteindre un taux annuel de rénovation de 3 %, soit 50 rénovations par jour, alors que le taux de rénovation actuel ne dépasse pas les 1 % à Bruxelles[4].
Des dérogations aux exigences à atteindre en matière de PEB pourront être accordées s’il s’agit des critères de faisabilité technique, fonctionnelle et économique. Or, l’effet d’aubaine des primes a été douché en plein été 2024, faute de budget suffisant. Suspendues le 16 août et réactivées le 7 novembre (et seulement jusqu’au 31 décembre 2024), elles ne suffiront pas à rencontrer les ambitions de la Région. Et l’avenir est incertain. À ce jour, rien n’est prévu comme soutien financier en 2025. Force est de constater que l’enveloppe prévue, depuis le lancement de la stratégie Renolution en 2019, pour inciter les propriétaires à rénover et isoler leur bien est insuffisante et ce, de façon récurrente. Or, sans mettre un dispositif pérenne en place pour accompagner la stratégie Renolution, l’enveloppe sera toujours trop maigre.
En mai 2023, BNP Paribas et le bureau d’études Profacts ont chiffré à 300 milliards le budget nécessaire à la rénovation énergétique globale belge pour atteindre les objectifs européens à l’horizon 2050. Autre point noir à ce budget « primes » étriqué : même s’il veut équitablement inciter la rénovation énergétique, le dispositif échoue. Le rapport statistique annuel des primes énergie et Renolution tend à démontrer au fil des ans que les primes sont captées par les ménages à hauts revenus et cela même si les ménages à faibles revenus bénéficient en général d’une couverture de leur investissement supérieure aux autres catégories de revenus. La raison est simple : pour s’engager dans des travaux de rénovation, il faut du capital. Les primes sont accordées sur base des factures finales des travaux. Il faut donc investir son argent, son épargne. À défaut, il faut emprunter de l’argent et recourir à des crédits à la consommation. Comme Ecoreno, par exemple, qui même s’il n’est accessible qu’aux seuls revenus médians et modestes, reste un crédit à la consommation.
Loin d’être une fatalité, la « faillite » du dispositif des primes est donc une belle occasion de penser d’autres modes de financement de la stratégie Renolution. Des outils économiques et sociaux pourraient être mis en place de façon combinatoire : un mécanisme de tiers payeur, une banque d’État, des régies communales autonomes, des rénovations par quartiers ou rues, le déploiement régional de réseaux de chaleur par rue, quartier ou îlot…
Ce qui semble urgent, c’est de penser la réduction de gaz à effets de serre non plus comme une charge individuelle qui incomberait à chaque ménage isolément mais comme un engagement collectif soutenu de façon pérenne par l’État. Des exemples fonctionnent à l’étranger. En Allemagne, la banque publique KFW (Kreditanstalt für Wiederaufbau – Établissement de crédit pour la reconstruction) accorde des prêts avec le dispositif du tiers payant pour la rénovation des logements. La banque prête et le remboursement se fait via la facture d’énergie. Ce dispositif a d’ailleurs été utilisé dans les années 1960 lors de l’installation du réseau de distribution de gaz dans les maisons bruxelloises des ménages modestes. L’ancêtre de Sibelga était alors le tiers payeur.
Les locataires oubliés
Aujourd’hui, les 62 % de locataires bruxellois·es[5] qui contribuent au dispositif de primes Renolution via leurs impôts ne vivent pas, pour la majorité, dans des logements correctement isolés, voir même tout simplement salubres. Les primes Renolution sont en effet majoritairement captées par les propriétaires occupants, des ménages à hauts revenus qui peuvent mobiliser du capital pour la rénovation énergétique de leur bien et ensuite toucher les primes sur la base des factures finales des travaux. Même lorsque les travaux de rénovation sont entrepris par des propriétaires bailleurs, ceux-cis peuvent ensuite louer leur bien avec un label PEB boosté, et augmenter le loyer perçu au prix exorbitant du marché locatif privé. La stratégie Renolution manque ici l’occasion d’être une politique sociale. Pour ce faire, elle doit être combinée à un plafonnement strict des loyers.
Tous les dix ans, depuis la création de la Région, les loyers augmentent de 20 % au-delà de l’inflation. En conséquence, la part des revenus consacrés au logement ne cesse d’augmenter. Cette situation, déjà alarmante, n’intègre pas encore l’augmentation vertigineuse des charges liés à l’explosion des coûts de l’énergie.
Parallèlement, d’importants changements législatifs ont le potentiel de venir compliquer cette situation. C’est le cas de la réforme du RRU (good living) – en veilleuse car pas adoptée par le gouvernement sortant – dans laquelle de nombreux articles imposent des normes de construction plus contraignantes qu’actuellement, en matière de taille minimale des logements, de hauteur minimale des plafonds – en particulier au rez-de-chaussée en vue de permettre la future réaffectation des bâtiments –, ou encore de l’accès à un espace extérieur.
Si les ambitions derrière ces changements législatifs sont louables – meilleure prise en compte des enjeux climatiques et de la qualité de vie des habitant·es, actualisation d’un RRU rédigé il y a plus de quinze ans déjà – il est évident que sans accompagnements, ces mesures entraîneront une hausse des loyers. Il est donc urgent de mettre en place des mécanismes sérieux de contrôle des loyers.
Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes : gel des loyers, blocage de l’indexation, enregistrement systématique des baux et meilleur contrôle de interdiction de l’augmentation du loyer entre deux baux.
Geler les loyers ou limiter leur indexation
Il faut donc, dès à présent, mettre en œuvre un « passeport bâtiment », qui devrait fournir un accès direct à l’ensemble des informations relatives à un logement (historiques des baux, certificats PEB…), ainsi qu’un conventionnement des loyers. Ce dernier devrait en effet permettre de s’assurer que les propriétaires qui bénéficient d’argent public pour rénover leur logement ne puissent ensuite répercuter la plus-value apportée à leur bien sur des locataires (actuels ou futurs). Cela implique de prévoir un gel complet du loyer avant travaux pour les propriétaires-bailleurs qui reçoivent de l’argent public pour toute rénovation, mais aussi d’anticiper la possible mise en location future de leur bien pour les propriétaires occupant·es bénéficiant de primes.
Une piste est d’autoriser la seule indexation des loyers sur base de l’inflation pour une période donnée, qui devrait, à notre sens, être de vingt ans. À l’instar des logements Citydev qui ont, eux aussi, bénéficié d’argent public. Le conventionnement doit également prévoir un mécanisme permettant de prévenir la « rénoviction », à savoir le fait de profiter de travaux de rénovation lourds pour évincer le ou la locataire d’un logement. Le non-respect des mesures de conventionnement devrait entraîner, le remboursement de l’intégralité des primes reçues assorti d’une amende.
Le cadre permettant la limitation de l’augmentation des loyers aurait dû impérativement préexister à la mise en œuvre des programmes importants de primes à la rénovation du bâti bruxellois et être mis en œuvre avant que ceux-ci ne commencent à porter pleinement leurs effets…
On se souvient qu’en octobre 2022, il avait fallu plus de six mois au gouvernement bruxellois pour se mettre d’accord sur un mécanisme de limitation de l’indexation des loyers… Au final, l’accord -un copié-collé de la mesure adoptée par la Flandre – prévoyait de limiter l’indexation des loyers pour les logements les moins performants énergétiquement. Les propriétaires d’un logement de PEB F ou G ne pouvaient plus indexer leur loyer, et seuls 50% de l’indexation était autorisée dans les logements de PEB E. Pour l’appliquer il fallait que le bail soit enregistré (une obligation légale au demeurant) et que le propriétaire bailleur soit en possession d’un certificat PEB pour le logement (une obligation depuis 2011).
Or, seul 40 % des logements bruxellois disposent d’un certificat PEB valide[6]. Ce qui aurait dû rendre impossible l’indexation de près de 60 % des logements en 2022[7]. Mais encore fallait-il que le locataire soit au courant de ces conditions, et qu’il se donne les moyens de s’opposer à son propriétaire dans un rapport de force que l’on sait très inégal. La mesure n’était valable que pour 12 mois. Le 13 octobre 2023, le gouvernement bruxellois emboîtait le pas à la Flandre et à la Wallonie ne prolongeant pas la mesure estimant que l’inflation avait fortement diminué… Tous les baux pouvaient donc être à nouveau indexés. Toutefois, les propriétaires concernés ne pouvaient pas rattraper l’indexation perdue en procédant à une double indexation.
La situation du mal logement à Bruxelles, appelle des mesures sociales fortes afin d’offrir un parc immobilier public et privé sain, chauffé, équipé d’une salle de bain à un prix régulé en fonction des revenus des ménages bruxellois.
Il semble que pour atteindre les objectifs de 2050, il ne suffira pas de « shifter » de système de chauffage et d’équiper le plus de logements possibles de pompes à chaleur. Il faudra surtout prôner la sobriété énergétique. Le seul élément qui pourrait éveiller une conscience de ce que nous consommons est le compteur qui tourne. Autrement dit, il s’agirait de contrôler la consommation réelle plutôt que la consommation théorique des ménages. La perspective de diminuer les émissions de gaz à effet de serre sans considérer les usages de l’énergie relève de l’enfumage et autorise le déploiement de nouvelles trajectoires technologiques. Assurant à quelques un.es une croissance verte de leurs capitaux. Le vœu de décarbonation à l’horizon 2050, soutenu par la PEB ne relève pas d’une vision écologique de l’usage de l’énergie, il trahit plutôt la réponse technocratique à un gros problème climatique, à savoir la concentration de CO2 dans l’atmosphère.
Stéphanie D’Haenens,
Chargée de mission chez Inter-Environnement Bruxelles
[1]S. D’HAENENS, « Les pompes à chaleur ou l’écologie du leurre », Bruxelles en Mouvements n°333, décembre 2024, en ligne sur le site d’IEB asbl.
[2]D. MAJCEN et L.C.M. ITARD, « Relatie tussen energielabel, werkelijk energiegebruik en CO 2 -uitstoot van Amsterdamse corporatiewoningen », Delft University of Technology, Onderzoeksinstituut OTB, 2014.
[3]M. CHAPURLAT, J. ETIENNE, E. SMEESTERS, D. VANDER HEYDER, « Les limites de la PEB », http://peb.limited, 15 octobre 2024.
[4]Embuild, mémorandum 2024.
[5]Census 2021.
[6]Au 01/01/2023, 55,94 % des habitations individuelles à Bruxelles ont été certifiées, mais seul 41,61% des habitations disposaient d’un certificat PEB en ordre de validité (Bruxelles Environnement, Certification PEB des habitations individuelles. Région de Bruxelles-Capitale).
[7]Pour un outil simple permettant de vérifier si l’indexation de votre loyer est correcte, rendez-vous sur le calculateur de « Touche pas à mon loyer » : https://touchepasamonloyer.be/