Une politique de défense

La possibilité de faire des petits calculs, de s’économiser ou de simplement spéculer est terminée. Chaque match élimine le perdant. Ce samedi, deux formidables batailles Europe/Amérique latine, ont vu émerger une équipe de chaque continent. La France est venue à bout d’une équipe d’Argentine vieillissante, après un match où la vitesse du teenager Mbapé, attaquant fulgurant, a fait la leçon à l’expérience du meilleur dribbleur du monde. Même menée, l’équipe de France n’a pas cédé à la crainte et il faut admettre que la démonstration a été impressionnante. Sans être professionnel, c’est la première fois que je me permets de juger un entraîneur. Sampaoli n’a jamais donné l’impression de dominer son projet ni sa composition d’équipe. Il a refusé la jeunesse en attaque en n’alignant pas le prometteur Dybala et, au centre du jeu, en refusant d’écarter le dépassé Mascherano au profit de Lo Celso. En foot, il vaut mieux s’arranger avec l’avenir qu’avec le passé. A noter la mise sous éteignoir de Messi, pâlissant en tant que vedette qu’on ne sert plus suffisamment. Il faut relever la performance d’un joueur français dont on n’a strictement pas parlé, Ngolo Kante, qui a durant tout le match coupé tous les vivres à Messi. Un fameux courageux.

Fenomenal

Dans l’autre match, Portugal/Uruguay, une énergie considérable a été dépensée. La combinaison Cavani-Suarez-Cavani en deux passes de 30 mètres, figure parmi les beaux mouvements du tournoi. Si le Portugal est revenu dans le match, les Uruguayens ont repris l’avantage grâce à un véritable système de jeu qui est défensif mais réserve toujours leur chance à des attaques fulgurantes. Ici, l’entraîneur imprime vraiment sa marque de fabrique sur l’équipe, dans l’esprit comme dans la technique du jeu.

Ce modèle du foot, très respecté, se nomme Tabarez. Il souffre d’une maladie neurologique et, au-delà de la septantaine, garde un calme étonnant sur le bord du terrain, inspirant une confiance géniale. A suivre certainement car il réussit à attirer la sympathie avec une politique défensive.

Tabarez

Six fois la Belgique en superficie, l’équivalent de la Wallonie en population, l’Uruguay n’a peur de rien ni de personne quand il s’agit de football. Il a été le premier pays organisateur pour une raison qui aujourd’hui couvrirait de honte la fédération internationale et les pays participants : c’est le pays organisateur qui a accepté de payer les billets de bateau des équipes participantes. C’était en 1930, quand l’Uruguay se voyait – et était – autonome politiquement parlant, progressiste, entreprenant. Il trouvait sa spécificité dans la division internationale du travail et des ressources, en faisant progresser l’ensemble de sa population dans une social-démocratie qu’on dira adaptée. Victoire de l’Uruguay en finale de la première coupe du monde. On oubliera que dans un match à élimination, l’arbitre avait arrêté la partie six minutes avant la fin.

Vingt ans plus tard, 1950, l’Uruguay va jusqu’en finale, au Brésil, contre le Brésil. Personne au Brésil et même dans le reste du monde n’imagine le Brésil perdant. Et pourtant, sur un but d’Alcides Ghiaggia, l’Uruguay remporte sa deuxième coupe. Le match se déroulait devant une assistance jamais égalée, de 180 ou 200.000 spectateurs, dans des conditions de sécurité invraisemblables, au mythique stade Maracana de Rio. L’enceinte se transformera en chambre funéraire et le pays entrera en deuil national.

Ghiggia de retour à Maracana

Garra Charrua

Les Uruguayens ont pris la place de populations précolombiennes et ont formé leur pays, comme d’autres, par des entreprises violentes entre conquérants (d’origines portugaise, espagnole, anglaise) et évidemment contre les populations qui sur place vivaient leur vie. A son indépendance en 1830, l’Uruguay avait déjà pris la place de « peuplades » dites valeureuses. Jugeant que la belle ouvrage civilisatrice n’était pas accomplie, une loi a été promulguée visant à l’extinction complète d’un peuple vaillant, les Charruas.

Un moment, il ne resta que quatre Charruas à qui il ne restait évidemment aucune chance de survie. Curieusement, les Uruguayens ont repris à leur compte l’histoire dramatique de ces quatre guerriers qui ont maintenant leur statue à Montevideo.

A la mémoire des Charruas

L’équipe de football reprend comme état d’esprit la Garra Charrua, le « griffe des Charruas », une politique de défense qui gêne considérablement l’adversaire, surtout s’il est plus fort.

Gérard Lambert