Une nouvelle politique industrielle pour l’Europe

Le Bureau bruxellois de la Rosa Luxemburg Stiftung vient de publier un rapport de 96 pages intitulé «WHAT IS TO BE PRODUCED? The making of a new industrial policy in Europe».
Cette étude apporte des éléments de réflexion et des propositions qui s’inscrivent dans notre démarche visant à «Changer l’Europe».
Avec l’autorisation de la Fondation, nous en publions le résumé traduit par nos soins.


QUE FAUT-IL PRODUIRE?
La préparation d’une nouvelle politique industrielle en Europe

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Le problème

Les transformations en cours des économies européennes — accélérées par la crise ouverte en 2008 et par les politiques d’austérité imposées par des institutions de l’Union européenne (UE) — mènent les pays européens vers de profondes divergences en termes d’activités économiques, d’investissement, de productivité, d’emplois et de revenus. La divergence dans la production manufacturière et dans la dynamique des services privés réside au cœur même de ce processus.

Le groupe des économies qui sont les plus intégrées avec le système allemand de production ont connu des pertes limitées dans leur production industrielle et retrouvent la croissance. Les économies du sud de l’Europe (France incluse) ont souffert des pertes importantes de leur capacité de production et risquent de nouveaux déséquilibres dans leurs comptes courants comme dans leurs budgets publics. Les économies de l’Europe centrale et orientale présentent une situation différente, avec quelques cas de croissance rapide mais fragile, intégrés dans le «noyau allemand de production» (Pologne, par exemple) et d’autres qui souffrent des effets économiques et sociaux de la récession prolongée.

Un risque évident de fragmentation de l’UE existe et doit être contré non seulement avec des changements de politique macroéconomique — allant bien au-delà de l’austérité — mais aussi avec la reconstruction d’une capacité de production dans les territoires les plus faibles de l’Europe. Le chapitre 1 du rapport détaille l’ampleur de ces problèmes.

L’objectif

Les objectifs visant le développement d’activités économiques à fort contenu de connaissance, l’expansion industrielle, la durabilité environnementale et poursuivant une plus grande convergence sont clairement établis dans la stratégie Europe 2020 et dans les plus importants documents de politique de l’UE. De tels objectifs manquent cependant d’outils efficaces de mise en oeuvre; leur poursuite requerrait le développement d’une politique industrielle à l’échelle de l’Europe.

La justification d’une politique industrielle est qu’elle puisse diriger l’évolution de l’économie vers les activités qui sont souhaitables en termes économiques (augmenter l’efficacité), en termes sociaux (répondre aux besoins et réduire les inégalités), en termes environnementaux (assurer la durabilité et prévenir le changement climatique), et en termes politiques (protéger les intérêts-clés tant au plan national qu’européen). La politique publique peut accroître les ressources disponibles et favoriser la croissance des sociétés et industries caractérisées par d’importants processus de formation, de progrès technologique, d’accroissements de productivité, d’économies d’échelle, d’internationalisation et de croissance rapide de la demande. Les bénéfices dérivés comprennent une croissance accélérée de la production, des revenus, de l’emploi et de la compétitivité et une meilleure qualité d’activités économiques, de l’emploi et de l’environnement.

Le chapitre 2 du rapport élabore la proposition d’une politique industrielle européenne progressiste prenant en compte un «décalogue» de principes, en examinant sa logique et les activités économiques qui pourraient être privilégiées et les instruments de sa mise en oeuvre.

L’espace politique

Quel est l’espace politique disponible pour une politique industrielle en Europe? Le dispositif institutionnel actuel de l’UE n’est pas adapté pour relever de tels défis et pour fournir de tels outils. Une action efficace est empêchée par une série de règles et d’approches, notamment les règles de la concurrence et des aides d’états; la dépendance aux marchés pour l’allocation des ressources productives; les limites restrictives pour l’utilisation des fonds structurels à des activités — telles qu’infrastructures et éducation — qui puissent mener à l’émergence d’activités économiques nouvelles dans des régions moins favorisées; et le manque de ressources significatives au niveau de l’UE pour des actions de politique industrielle.

Cependant, des changements significatifs dans la politique de l’UE ont émergé ces dernières années, dont l’initiative phare «Une politique industrielle intégrée à l’ère de la mondialisation», «Spécialisations intelligentes», le Fonds européen pour les investissements stratégiques, etc. Le chapitre 3 du rapport évalue l’espace politique qu’ouvrent ces politiques et règles de l’UE.

La proposition

En se basant sur cette analyse, le chapitre 4 du rapport introduit une proposition pour une politique industrielle européenne qui va bien au-delà des approches traditionnelles. Elle appelle une politique industrielle pour l’ensemble de l’Europe, au-delà des habituelles actions nationales. Une politique mobilisant 2% du PIB européen (environ 260 milliards d’€) par décennie est proposée, offrant simultanément plus grand espace pour la politique nationale avec une «règle d’or» pour l’investissement public. Un objectif central de cette politique est de réduire la divergence entre le centre et la périphérie de l’Europe, et dès lors de concentrer les ressources de la politique industrielle dans les régions et pays les plus faibles.

Le Conseil européen et le Parlement européen devraient jouer un rôle-clé dans la définition d’une politique industrielle, en délibérant sur ses objectifs et instruments. Ces outils de politique industrielle devraient comporter des programmes d’investissement public, des entreprises publiques, le soutien à des firmes privées, des programmes d’innovation répondant à des missions définies et d’autres instruments. Les domaines-clés à couvrir devraient comporter la durabilité environnementale, des applications spécifiques TIC (technologies d’information et de communication), la santé et les services publics. Le but poursuivi est d’encourager de nouvelles activités économiques innovantes et efficaces employant des forces de travail de fortes compétences et à salaire élevé.

Une politique industrielle à l’échelle européenne devrait être financée par des fonds provenant de l’ensemble de l’Europe (ou au moins de l’ensemble de l’Eurozone), sous diverses formes mais avec un rôle significatif de la BCE. Du capital-risque public et à long terme est nécessaire pour financer de tels investissements que les marchés financiers sont incapables de fournir.

Une action pratique dans la voie tracée pourrait être initiée au sein des fonctions de la BEI (Banque européenne d’investissement), comme c’est déjà le cas pour le Fonds européen pour les investissements stratégiques, mais, à moyen terme, une Banque publique d’investissement sera nécessaire. La politique industrielle européenne devrait être mise en oeuvre aux niveaux national et régional avec la mise en place de relations de bas en haut et de processus démocratiques systématiques.

Pour que cette politique industrielle soit un succès, il faudra réinventer la gouvernance des activités économiques d’intérêt public et l’organisation d’un consensus politique et social sur la nécessaire reconstruction des économies européennes. Les résultats de tels efforts pourraient être cruciaux pour l’avenir de l’Europe en mettant fin à la stagnation, en créant de nouveaux emplois de qualité là où ils sont nécessaires, en renforçant la cohésion de l’UE et de l’action publique, en progressant sur la voie d’une transformation écologique de l’Europe, et en développant la démocratie dans les processus de décision économique.

© Fondation Rosa Luxembourg, juillet 2016
http://www.rosalux.eu/What-is-to-be-produced-2016.pdf (rapport complet en anglais)

Traduction de l’anglais: Robert Polet