BlackRock a bati un empire sur la propriété intellectuelle de l’information financière. Ces lois lui autorisent un quasi monopole sur la finance et baillonnent les professionnels qui pourraient critiquer son impact environnemental ou social. Imaginons un monde où les règles sont différentes.
Quelle part des informations détenues et gérées par BlackRock devrait être publique au départ ? Quel pouvoir sommes-nous prêts à accorder à une entreprise privée qui représente les intérêts de ses clients ?
Le modèle économique de BlackRock est fondé sur la propriété d’outils numériques, de lignes de codes qui collectent et organisent les informations financières. L’accès privilégié à ces informations est la devise utilisée par BlackRock pour négocier avec les autorités publiques lorsqu’elles sont confrontées à une crise financière ou, dans le cas présent de l’Europe, à une crise climatique ayant des ramifications dans tous les aspects de la consommation et de la société. Alors, quelle part des informations détenues et gérées par BlackRock devrait être publique au départ ? Quel pouvoir sommes-nous, collectivement, prêts à accorder à une entreprise privée qui représente les intérêts financiers de ses clients ?
La fin de Show Me Finance en tant qu’initiative citoyenne est un exemple de la différence entre données publiques et données propriétaires. Show Me Finance a vu le jour parce que l’Europe a décidé de publier régulièrement des lots de données financières dans le domaine public, à titre de mesure de transparence à la suite de la crise financière de 2008. Ces données étaient censées être utilisées uniquement par les banquiers et les financiers, dans le cadre des opérations nécessaires pour se conformer à la réglementation européenne.
Mais dès la publication du premier lot de données, elles ont été trouvées et utilisées par des citoyens qui ont voulu les analyser afin de transmettre des informations au public. On pourrait rétorquer que Show Me Finance n’a pas eu d’effet perceptible sur l’industrie financière et je serais d’accord. Nous étions un petit groupe avec des objectifs prétentieux, et nous n’avons pas fini le travail. Mais le fait qu’un groupe ait été formé par des personnes disposant d’un savoir-faire technique suffisant pour utiliser les données est pour moi une démonstration de l’utilité de données financières publiques.
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BlackRock utilise des données propriétaires pour créer un monopole financier, puis ré-emballe ces mêmes données sous forme de consultance pour les autorités publiques
À l’autre extrémité, BlackRock utilise des données et des logiciels propriétaires pour créer un monopole financier, puis ré-emballe ces mêmes informations sous forme de conseils contractuels pour les autorités publiques. Dès que les bénévoles de Show Me Finance ont été confrontés à des données propriétaires liées à BlackRock, le groupe s’est dissous. Qui plus est,
les données sur BlackRock concernaient l’exploitation d’une ressource naturelle irremplaçable, la forêt primaire, et notre petit groupe avait reçu l’approbation d’une plateforme de la société civile, Change Finance, pour enquêter sur ces mêmes données afin de rechercher des indices d’évasion fiscale.
Aussi longtemps que des informations relatives à l’intérêt général, tels que les investissements posant des risques de déforestation ou les entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux, seront dissimulées derrière le secret des affaires, des entités privées comme BlackRock n’auront pas de comptes à rendre, alors que les autorités publiques, censées défendre l’intérêt général, continueront de céder le contrôle au secteur privé.
Imaginons une situation où les règles régissant les données financières liées aux ressources naturelles et à l’évasion fiscale auraient été différentes. Au lieu d’avoir d’un côté une source publique publiant des données brutes et incomplètes (comme les données utilisées par Show Me Finance), et de l’autre côté des fournisseurs de données privés remettant leurs informations traitées et organisées à des sociétés de conseil (comme les données sur la déforestation dans les actifs de Blackrock), il y aurait des sources de données publiques complètes et utilisables.
Dans un tel monde merveilleux de responsabilité financière, les employés de l’industrie financière n’auraient pas peur d’utiliser leurs connaissances pour l’intérêt général pendant leur temps libre. Il n’y aurait peut-être pas besoin de personnes comme moi, car BlackRock serait une société financière comme les autres, et non le gestionnaire d’un empire financier plus puissant que la plupart des pays. Les sociétés de conseil comme celle qui m’a fourni des données sur BlackRock existeraient probablement encore, car ces personnes sont très compétentes, elles trouveraient d’autres sources de données à analyser. Je trouverais probablement autre chose à faire de mes soirées.
Dans le prochain article, je vous en dirai plus sur la campagne Change Finance, et sur à quoi ça ressemblait vu de l’intérieur.
Image de couverture: Le jardin d’Eden, atelier de Jérôme Bosch (vers 1450 -1516)
Cet article est le troisième épisode d’une série.
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