L’évasion fiscale est un crime qui se perpétue à l’échelle mondiale. Il n’est pas de crime mondial sans organisation mondiale. Mais quelle est-elle ?
La monstruosité du crime nécessite de la dénoncer avec une force qui soit à la mesure de la violence qu’elle exerce planétairement, d’autant plus que cette organisation mondiale passe sous les radars. Le commun des mortels n’en a pas connaissance. Elle a pourtant pignon sur rue, mais il ne la voit pas. Comment la démasquer et la stigmatiser alors qu’elle dispose d’un quasi-monopole dans son domaine, donc sans concurrents avec lesquels elle pourrait être comparée ?
Et si la stigmatisation la plus adaptée trouvait sa source dans la véritable addiction que constitue l’évasion fiscale pour ses consommateurs ? Qu’est-ce qui peut bien pousser une grande entreprise ou un riche particulier à vouloir détenir toujours plus de milliards, de centaines de million sinon la réelle addiction que constitue cette extrême avidité d’accumuler encore et encore les richesses, elle-même nourrie par une cupidité sans limites. Cette addiction frénétique à l’argent n’a sans doute d’égale de par sa force inexorable que l’addiction à la drogue.
Pas de drogue sans narcotrafiquants. Le dictionnaire nous apprend que le mot trafic signifie « commerce illicite, honteux et clandestin » et qu’au sens familier, il recouvre « un ensemble d’activités plus ou moins mystérieuses, compliquées ». De là à conclure pas d’évasion fiscale sans fiscotrafiquants, il n’y a qu’un pas que chacun choisira de faire ou de ne pas faire.
Personne n’imagine lutter contre la drogue sans lutter contre les narcotrafiquants. Personne ne peut prétendre lutter contre l’évasion fiscale sans déclarer la guerre à ses organisateurs.
Cette organisation mondiale que l’on définit souvent par l’expression « Les Big Four », c’est plus d’un million de personnes dans le monde, le troisième plus important groupe mondial en termes d’effectifs, présent dans 180 pays (nous y reviendrons dans le cadre d’un autre article).
Lutter contre eux implique d’abord d’identifier de manière non conventionnelle leurs principales caractéristiques ; se fier à l’image qu’ils donnent conduirait à partir sur une fausse piste. Outre l’addiction qui caractérise leurs clientèles respectives, narcotrafiquants et organisateurs de l’évasion fiscale méritent d’être comparés sur plusieurs autres points, ce qui permettra de dégager le « portrait-robot » (en contrepoint) des organisateurs de l’évasion fiscale dressé en contrepoint de celui des narcotrafiquants.
1- CLANDESTINITE POUR LES UNS, PARAVENT LEGAL POUR LES AUTRES. Les narcotrafiquants se planquent. La clandestinité est une condition nécessaire à l’exercice de leur commerce. Les organisateurs de l’évasion fiscale, véritables industriels de l’évasion fiscale, se planquent aussi, mais derrière leur statut légal de commissaire aux comptes, lequel a pour fonction (délibérément résumée et simplifiée) de déclarer « sincères et véritables les comptes » des sociétés qu’ils contrôlent. Leur mandat de commissaire aux comptes résulte de l’obligation légale pour une entreprise d’avoir recours à leurs services quand elles dépassent deux des trois seuils suivants fixés par la loi : chiffre d’affaires, total bilan, nombre d’employés. Ils ont ainsi acquis une image et une réputation de « père la rigueur » et sont assimilés à une sorte de « police des comptes ». Et c’est abrités derrière cette image qu’ils ont développé leur activité de conseil fiscal…en évasion qui s’exerce d’autant plus facilement et efficacement qu’elle peut s’appuyer sur une connaissance parfaite des données comptables des entreprises qu’ils ont contrôlées. Le conseil appelant le conseil, ils sont aussi devenus conseillers en services divers et variés dans la plupart des domaines fonctionnels de l’entreprise (organisation, systèmes d’informations, ressources humaines, « big data », intelligence artificielle, conseils en cession, fusion, acquisition etc…).
2– CRIME COMBATTU POUR LES UNS, CRIME IMPUNI POUR LES AUTRES. Les pouvoirs nationaux, régionaux, internationaux luttent contre les narcotrafiquants. Il existe même des services spécialisés de la police s’y consacrant. La lutte de ces mêmes pouvoirs contre les organisateurs de l’évasion fiscale n’existe pas vraiment, sinon en façade. Ils se contentent depuis des dizaines d’années de déclarations d’intention, de mini décisions qui s’avèrent toutes pour l’essentiel inopérantes pour une raison bien simple : l’évasion fiscale est inscrite dans les traités européens et dans les traités de commerce internationaux. Le culte absolu de la liberté de circulation des capitaux, des services et de la liberté d’établissement garantissent aux industriels de l’évasion fiscale une croissance sans limites. Leurs propres chiffres (effectifs, chiffre d’affaires) le prouvent et démentent totalement la prétendue lutte existante contre l’évasion fiscale. Si celle-ci avait le moindre effet, leurs performances ne seraient pas en constante et forte augmentation sur les vingt dernières années.
3- VIOLENCE DURE POUR LES UNS, VIOLENCE MOLLE POUR LES AUTRES, COURSE A LA CONCENTRATION ET CARTELS POUR LES DEUX. Les narcotrafiquants tuent physiquement leurs concurrents dans une guerre sans merci. Les organisateurs de l’évasion fiscale «absorbent » leurs concurrents au fur et à mesure qu’ils progressent dans l’industrialisation des processus d’évasion fiscale qu’ils commercialisent, au point de constituer un véritable cartel mondial.
4- VIOLENCE DIRECTE POUR LES UNS, VIOLENCE INDIRECTE POUR LES AUTRES. Les narcotrafiquants tuent physiquement leurs clients consommateurs par la toxicité des produits qu’ils leur vendent. Les organisateurs de l’évasion fiscale font le bonheur de leurs clients (grandes entreprises et riches particuliers) ; leurs victimes sont indirectes : les citoyens des nations du monde entier qui voient, par leur entremise, leur richesse collective pillée et pour ceux qui sont citoyens des pays les moins développés, ce pillage entraîne la mort. Ils tuent donc aussi, mais indirectement, anonymement, de manière souterraine, insidieuse mais tout aussi implacablement que les narcotrafiquants. Les conséquences de la violence des organisateurs de l’évasion fiscale sont incommensurables puisqu’elles affectent tous les domaines de la vie en société : éducation, santé, justice, infrastructures de toute nature, lutte contre le réchauffement climatique etc…. On dispose de données chiffrant l’ampleur de l’évasion fiscale. Il est en revanche beaucoup plus difficile de chiffrer les conséquences indirectes induites au niveau des citoyens.
5- LOI DU PLUS FORT POUR LES DEUX. POUR LES UNS, CELLE DE LA FORCE BRUTE ; POUR LES AUTRES, CELLE DU PLUS RICHE. Dans les deux cas, la loi du plus fort s’impose à toutes les lois en vigueur où que ce soit dans le monde. La loi existante dans tel ou tel pays n’est pas celle qui doit s’appliquer à l’entreprise et aux riches particuliers qui y « vivent ». Il s’agit là d’une obligation obsolète pour les acteurs clés de la globalisation que sont les organisateurs de l’évasion fiscale. L’impôt étant considéré comme un coût et rien d’autre, il s’agit de le réduire par tous les moyens en le « délocalisant » comme on délocalise la production de biens et services pour diminuer le niveau des salaires et des cotisations sociales.
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Christian Savestre