Bien que l’État marocain ait emprisonné des dizaines de milliers de dissidents et d’opposants politiques depuis l’indépendance du pays, en 1956, au sortir de la domination française, les évènements qui ont suivi le décès du roi Hassan II, le 23 juillet 1999, constituent un tournant dans l’histoire des droits de l’Homme au Maroc.
2Pendant des décennies, qualifiées par les Marocains d’« années de plomb » ou d’« années noires » – en arabe, as-sanawat as-sawda’ –, les opposants politiques au régime du roi Hassan II (1961-1999) ont fait l’objet de « disparitions » comme du temps des dictatures au Chili et en Argentine. Ces opposants – pour la plupart des militants de gauche, des nationalistes, des féministes, des activistes amazighs et des islamistes – ont été torturés ou tués lors de leur garde à vue.
- 1 Le 8 mai 1990, le roi Hassan II soulignera, dans son discours inaugural, que le CCDH marocain est (…)
3Pour redorer l’image de son régime, connu pour son caractère répressif, le roi Hassan II institua, durant les années 1990, le Conseil consultatif des droits de l’Homme, CCDH, dénommé en arabe al-Majlis al-Istishari li-Huquq al-Insan (ouvertement calqué sur l’institution française similaire fondée en 1984)1. Bien qu’ayant fait l’objet, au début, de critiques assez virulentes concernant aussi bien son action que sa composition (sa non-indépendance et le fait qu’il soit dirigé par des fidèles, bien récompensés, de la monarchie), il n’empêche que le CCDH a été, depuis les années 1990, impliqué dans les programmes de réparation pécuniaire, qui visent à accorder une compensation aux victimes marocaines des violations des droits de l’Homme.
- 2 Le nom officiel de la Commission d’arbitrage était Hay’at al-Tahkim al-Mustaqillah li-l-Ta’wid al- (…)
- 3 Driss Benzekri, www.ArabicNews.com, 17/12/2002.
4Deux commissions marocaines ont vu le jour, par le biais du CCDH, par voie de décrets royaux. La première, celle de 1999, dénommée la Commission indépendante d’arbitrage est instituée le 17 août 1999, quelques semaines après la mort du roi Hassan II, par son fils Mohamed VI. Elle est « chargée de déterminer les indemnisations pour les préjudices moral et matériel, au profit des victimes et des ayants droits des déclarés disparus ou ayant fait l’objet de détention arbitraire », le délai fixé pour la présentation des demandes d’indemnisation prenant fin le 31 décembre 1999 à minuit2. Bien que constituée du temps du roi Hassan II en 1998, son activation en août 1999 a envoyé un signal selon lequel l’État, pour la première fois, reconnaissait et acceptait sa responsabilité dans les violations du droit. Cette reconnaissance devait se traduire par l’allocation et la distribution d’indemnités pécuniaires en référence aux critères internationaux des droits humains. La seconde commission, établie en 2004-2005, appelée Instance Équité et Réconciliation, IER, (en arabe Hay’at al-Insaf wa-al-Musalaha) est créée par le roi Mohamed VI qui nomme Driss Benzekri à sa présidence le 7 janvier 2004. Ce dernier, un ancien prisonnier politique (1974-1991) du groupe interdit marxiste-léniniste Ila al-Amam (En avant), se retrouve à la tête d’une commission composée de seize membres – la moitié a été choisie parmi les membres du CCDH et les huit autres en raison de leur compétence reconnue sur le plan national dans les domaines du droit, de la médecine et des droits des femmes. Parmi ces membres figurent des anciens prisonniers politiques et des victimes de la torture et de la disparition forcée. À la suite de sa nomination, Benzekri dévoile, lors de déclarations télévisées, les projets et programmes du gouvernement en matière de droits de l’Homme en vue « d’adopter des mécanismes conformes aux normes globales des droits de l’Homme qui incluent les droits civils, politiques, économiques et sociaux »3.
5Comme indiqué sur son site web multilingue, le mandat de l’IER consiste à mener des investigations sur les atteintes aux droits humains pour la période qui commence avec l’Indépendance et prend fin avec la mise en place de la Commission d’arbitrage en 1999; il s’agit de la première tentative de remédier à 43 années d’une guerre menée par le régime à l’encontre de ses citoyens. Les travaux des deux commissions ont eu pour résultat une réelle et substantielle indemnisation financière des victimes.
- 4 Voir le Rapport de l’IER en ligne sur son site au www.ier.ma. Les réparations sont abordées dans l (…)
7Selon le volume trois du Rapport final de l’IER, relatif aux réparations, 9 280 victimes recevront des indemnités et 1 895 autres bénéficieront de restitutions et de réparations supplémentaires, comme par exemple leur réintégration et leur reclassement professionnels. S’agissant des 1 499 personnes qui ont reçu des indemnités en 1999, l’IER a proposé des réparations complémentaires (notamment la possibilité de bénéficier de soins de santé permanents physiques et mentaux). Au total, l’Instance a accepté les demandes de 9 779 victimes marocaines. Un chiffre étonnamment élevé de quelque 60 000 victimes se dégage des deux processus engagés par la Commission d’arbitrage et l’IER (Mohamed Neshnash, interview, Rabat, 6 juillet 2007). La Commission d’arbitrage a déjà versé quelque cent millions de dollars US (quelque 73 millions d’euros) d’indemnités pécuniaires (ta’wid al-mali) à 3 500 personnes (sur un total de 4 500 dossiers soumis). À ce jour, l’IER – avec plus de cas encore en cours d’examen – a versé environ 70 millions de dollars (soit environ 90 % de la réparation financière individuelle) à 9 200 personnes sur 22 000 demandes soumises. En outre, chaque bénéficiaire d’indemnité a le droit à la couverture médicale – sauf s’il bénéficie déjà d’une assurance maladie, comme pour les fonctionnaires, par exemple, conformément aux principes internationaux sur la nullité de la double indemnité. Les programmes d’assurance maladie prévoient de couvrir, semble-t-il, près de 14 000 personnes supplémentaires, ce qui, en considérant une famille comprenant l’épouse et les enfants de moins de 25 ans, conduit à estimer à 45 000 le nombre de bénéficiaires.
8En dépit de son caractère non judiciaire (dhat ikhtisasat ghayr qada’iyya), l’IER a pu recueillir les interviews des intéressés, puis décrire, classer, collecter et analyser une quantité impressionnante de témoignages et de dépositions. Ceci représente une ressource particulièrement utile pour appréhender la répression des « années noires » au Maroc, dans la transparence, et pour que les personnes incriminées soient comptables de leurs actes par-delà les objectifs immédiats consistant à verser des indemnités pécuniaires aux victimes. Celles-ci ne sont pas et n’étaient pas un groupe homogène. Les termes utilisés pour les décrire varient selon les différents contextes et recouvrent différents statuts et catégorisations du point de vue du droit, de l’économie, de l’histoire, ou encore de la littérature. Le terme de « victimes » (dahaya) recouvre ceux de survivant, dépositaire, plaignant, plaignante, militant, détenu politique, résistant, témoin, héritier, mère et membre de la famille. Toutes ces catégories produisent des récits. Ces récits sur la souffrance des victimes ont une implication sur les montants alloués. Devenus nécessaires après la Seconde guerre mondiale, les processus de réparation sont une forme d’établissement public des vérités des victimes et des expériences des survivants. Fondée sur les normes internationales des droits humains, instituée après la défaite de l’Allemagne, la réparation sous forme de compensations financières reste fortement tributaire des modes de présentation des rapports. Les victimes présentent, dans un premier temps, les violations des droits humains en termes matériels dans la perspective d’une indemnisation financière, en reconnaissant et en déposant ensuite une demande d’indemnité. C’est là un moyen pour elles de se rappeler publiquement, témoigner, dire leur histoire et être reconnues.
- 5 Nations-Unies, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparati (…)
9 La reconnaissance des protocoles internationaux et des définitions en matière de droits humains par les États souverains est en partie illustrée par le cas marocain. Les projets de réparation y distinguent les objectifs implicites de restitution (renvoyer la victime aux conditions financières d’avant la violation) en vue de déterminer une compensation financière (tentatives d’évaluer un préjudice comme étant une conséquence de la violation). Historiquement, les cas de réparations visaient à remédier aux préjudices liés au génocide, au travail fait par des esclaves, à des expérimentations sur des sujets humains et à la saisie des terres et des biens sans autre forme de procès ou d’indemnisation. L’adoption en 1948 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le développement, par la suite, des droits humains internationaux et nationaux et du droit de l’environnement ont signifié que, dans les dernières années, les réparations ont été négociées pour réparer les manquements aux obligations des États en raison des violations commises au nom de l’expansion coloniale, du développement économique et de la sécurité nationale. En avril 2005, les Nations-Unies ont adopté les lignes directrices définissant le droit à un recours dans ses différentes formes telles que la restitution, l’indemnisation, la réadaptation ou réhabilitation, la satisfaction et les garanties de non-répétition5.
- 6 Priscilla Hayner, Unspeakable Truths : Facing the Challenge of Truth Commissions. New York, Routle (…)
« La restitution vise, dans la mesure du possible, à rétablir la situation originale qui existait avant que la violation ne se soit produite; l’indemnisation se rapporte à tout préjudice résultant de violations et qui se prête à une évaluation économique; la réadaptation comporte une prise en charge juridique, médicale, psychologique, et d’autres soins encore; alors que la satisfaction et les garanties de non-répétition ont trait à des mesures visant à reconnaitre les violations et à éviter qu’elles ne se reproduisent à l’avenir6. »
- 7 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Hachette, Coll. Pluriel, 2002.
- 8 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998 ; Ana Douglass et Thomas A. Vogler, « Introd (…)
10Quelles sont les implications du recours à l’argent comme principale forme de réparation à l’égard des survivants de la torture, de la disparition forcée et de l’emprisonnement illégal ? La poursuite – ou le refus – de la réparation financière font partie d’un champ de recherche en développement et de la littérature des études juridiques dans le domaine des droits de l’Homme. Un vaste ensemble de travaux de recherche a vu le jour sous la rubrique des « études de témoins » confirmant ainsi que, la fin du XXe siècle est bien « l’ère du témoin »7 ; le siècle qui a donné à la victime de la violence politique une prééminence culturelle et des caractéristiques représentatives, à telle enseigne qu’un individu peut être représentatif de l’expérience collective et devenir une voix dans le domaine public8. Alors que les gouvernements marocains ont d’abord choisi comme voies de réparation, uniques du genre dans le monde arabe, que les commissions d’indemnisation assurent le déboursement de dédommagements, les réparations obtenues par le biais de ces organes quasi-indépendants et mandatés par l’État ont également entraîné la mobilisation des citoyens marocains en vue de situer les faits et de donner différents récits des diverses histoires de l’opposition et des violations des droits de l’Homme.
Le modèle allemand ?
- 9 Norbert Frei, Adenauer’s Germany and the Nazi Past : The Politics of Amnesty and Integration, New (…)
11L’expérience marocaine, consistant à payer des indemnités aux victimes et, en même temps, à absoudre les coupables, invite à une comparaison avec le cas de l’Allemagne de l’après-guerre. Le Chancelier Konrad Adenauer, qui a lancé les réparations allemandes de l’après-guerre (Wiedergutmachung, littéralement « faire de nouveau du bon »), a aussi commencé avec son gouvernement en 1949 par le démantèlement des programmes de dénazification relatifs aux crimes de l’ère nazie. Des programmes d’amnistie pour les personnes coupables de crimes graves ont été élaborés et des lois de restitution ont permis de réintégrer des centaines de milliers des membres du parti Nazi dans leurs anciens emplois9. Contrairement à l’Afrique du Sud ou à l’Allemagne de l’après-guerre, le Maroc n’a pas changé de régime. Toutefois, avec ou sans rupture politique claire, les pays sont obligés de vivre avec un niveau de présence plus ou moins élevé de tortionnaires connus dans les appareils gouvernementaux. Les Marocains l’ont fait avec un niveau plus élevé, tout en tentant en même temps de se transformer de l’intérieur, en contrôlant la transformation ; processus que reflètent leurs approches des droits humains, ainsi que la dynamique où discours et contre-discours des témoignages des victimes se compensent les uns les autres. S’agissant, par exemple, de l’impunité, le peu d’inclinaison manifesté par l’État à poursuivre ou même de nommer les tortionnaires a conduit à l’organisation de séries parallèles d’auditions publiques par diverses organisations non gouvernementales au Maroc et en Europe. À Rabat, l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), en dépit du peu de publicité faite à l’évènement, a entendu, le 12 février 2005, les témoignages de neuf personnes, contestant ainsi le mandat de l’IER, selon lequel il fallait garder le silence sur les noms des auteurs de violations et éviter de traiter des abus en matière des droits de l’Homme commis depuis que le roi Mohamed VI était monté sur le trône en 1999.
- 10 Une série complète de bandes vidéo de l’AMDH de témoignages venant à l’encontre des témoignages té (…)
12El Ghalia Idjini, habitante de Laayoune, l’une des personnes ayant témoigné, décrivit son viol comme faisant partie des agressions sexuelles systématiques commises à l’encontre de milliers de femmes sahraouies ; l’épouse italienne d’Aboulkacem Britel, un islamiste emprisonné après les attentats à la bombe de 2003 à Casablanca, témoigna dans le même sens10.
- 11 Elazar Barkan, The Guilt of Nations : Restitution and Negotiating Historical Injustices, Baltimore (…)
- 12 Le cas d’Ahmed Chaouki Benyoub, qui explique sa requête pour le dirham symbolique dans son Hay’at (…)
13Depuis 1999, alors que les deux commissions étaient instituées, certaines victimes de la torture pratiquée par le régime ou personnes enlevées et gardées au secret durant la période 1956-1999, ont ignoré (volontairement ?) leur droit à déposer une requête afin de raconter leurs histoires. Elles dénoncent publiquement toute procédure d’indemnisation des victimes qui serait liée à une amnistie des tortionnaires, ce qui ferait une sorte de « prix du sang » (diyah en arabe)11. D’autres Marocains ont décidé de raconter leurs histoires de victimes, tout en exigeant une indemnisation symbolique de quelques centimes, ou d’un dirham ramzi12. Noureddine Belakbyer, un chercheur travaillant à l’IER et ancien prisonnier politique, m’a informée qu’il a choisi de ne pas déposer de demande de réparation parce qu’il a déjà un emploi rémunéré comme enseignant en congé et qu’il était payé pour son travail au sein de l’Instance. Il a estimé que quelque 400 prisonniers politiques ont refusé de déposer des demandes auprès des diverses commissions marocaines (entretien à Rabat, juin 2005).
14Un autre groupe de Marocains a rejeté la première Commission d’arbitrage parce qu’elle a accordé des indemnisations sur la base des seuls critères de torture et disparition forcée des propres mains du gouvernement. Cette commission utilisait le terme arabe de ta’wid, ou « indemnités », traduction française de dédommagements, terme dérivé du droit des contrats et faisant partie du vocabulaire juridique relatif aux différents économiques, impliquant arbitrage et remboursement des dommages. Le tout est régi par le Code marocain des obligations et contrats et les procédures sont conformes au droit des contrats hérité de la France.
15Beaucoup d’autres étaient prêts à déposer des demandes pour les compensations conséquentes de l’IER, en raison de la promesse faite par elle d’aller au-delà de la simple indemnisation financière pour couvrir les réparations collectives, jabr ad-darar. À titre d’exemple, des victimes ont attiré l’attention sur les nécessaires programmes de réparation pour les régions amazighophones qui ont payé très cher leurs soulèvements contre la monarchie en 1973. Cet apport crucial des Marocains qui ont rappelé, et témoigné sur les tortures, disparitions forcées, procès illégaux et incarcérations prolongées, depuis l’indépendance du pays, a façonné les séries d’initiatives financières du gouvernement visant à remédier aux violations passées.
16Sur la base du flot de témoignages écrits et oraux adressés au siège de l’IER par les victimes de la torture et la disparition, il devient possible d’entreprendre une relecture rétrospective de l’histoire du Maroc, son histoire des réparations en matière de droits humains et de faire des comparaisons avec la Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine (TRC).
Le modèle sud-africain ?
- 13 Alex Boraine, A Country Unmasked, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 103.
17Pour pouvoir procéder à une comparaison entre l’IER marocaine et la TRC sud-africaine, il est, au préalable, indispensable de comprendre un certain nombre d’aspects de ce qui s’est passé en Afrique du Sud. Le premier témoin à se présenter, le 16 avril 1996, devant la TCR, lors de la première audition, est une femme. Madame Nohle Mohape raconte comment son mari, Mapetla, un partisan de Steve Biko et du « Mouvement de la conscience noire », a été tué pendant sa garde à vue en 1976. Contrairement aux allégations de la version officielle, sa mort n’a rien d’un suicide. Pendant la deuxième journée des auditions, Nomonde Calata, veuve de Fort Calata (un des quatre activistes du Congrès national africain, dits Craddock Four, tués en 1984), s’est effondrée en criant sa douleur. Les auditeurs ont qualifié ses cris d’insoutenables à tel point qu’ils n’ont pas pu s’empêcher d’éteindre leurs postes quand les stations de la télévision et de la radio sud-africaines les ont diffusés en boucle13. Le journaliste Antjie Krog écrit :
- 14 Antjie Krog, Country of My Skull, Johannesburg : Random House, 1998, p. 42.
« Pour moi, ces pleurs inaugurent l’action de la Commission de vérité – ils donnent le ton de ce que sera le processus, ils en sont le moment décisif, la mesure finale. Elle portait cette robe orange vive et elle s’était jetée vers l’arrière et ce cri, ce cri, il me hantera pour toujours, à jamais14. »
18Au Maroc, les cris perçants de Maria Charaf pouvaient être entendus hors des murs du Complexe Anoual, ce dimanche 14 novembre 1999 à Casablanca, lors de la première commémoration publique du quatorzième anniversaire de la mort de son mari Amine Tahani, commémoration associée à celle du vingt-cinquième anniversaire de la mort du militant marxiste-léniniste, Abdellatif Zeroual. Le rassemblement était organisé pour célébrer la vie et l’œuvre de deux générations successives de jeunes activistes marxistes, unies par des convictions politiques, mais aussi par le statut de chahid (martyr) sous la torture, conféré aux deux personnages. Avant 1999, il n’y avait que des cérémonies privées organisées annuellement aux domiciles des familles, toujours sous très haute surveillance de la police. Cette commémoration publique de la mémoire des deux militants se tient après la mort du Roi Hassan ii.
- 15 Voir Susan Slyomovics, The Performance of Human Rights in Morocco, et Slyomovics, « Morocco’s Trut (…)
19Ces premiers rituels publics de vérité et de dénonciation (précédés par des décennies de commémorations privées organisées à la fois dans les prisons par les détenus politiques et chez elles par leurs familles) ont élargi le champ de l’espace public au Maroc – des lieux où les uns et les autres se rassemblent, débattent, échangent des idées, protestent, tiennent des procès et pleurent les défunts – et ont donné l’occasion de s’exprimer à ceux dont les discours racontent l’histoire de la lutte pour les droits de l’Homme. Des expériences individuelles qui étaient autrefois indicibles au Maroc – torture et prison – sont aujourd’hui restituées sous forme de témoignages personnels, de célébrations, de recueils de poèmes, de pièces de théâtre, de films et même, durant le mandat de l’IER, sous forme d’émissions télévisées mettant en exergue les déclarations d’une sélection de témoins15.
- 16 Lawrence Weschler, A Miracle, A Universe : Settling Accounts with Torturers, New York, Pantheon, 1 (…)
20L’acte commémoratif consistait aussi à formuler un certain nombre de revendications politiques et juridiques. Les orateurs sont venus témoigner de leurs expériences personnelles, tout en plaçant le récit dans la perspective de la fin de la disparition et de l’emprisonnement politique. Il importe de souligner que seules les vérités exprimées à travers les déclarations des témoins participent de la définition de la réparation. Selon la formulation très discutée de l’un des membres de la commission de vérité chilienne, José Zalaquett, « la vérité est, en soi, à la fois réparation et prévention », et « révéler, c’est se reconstruire »16.
- 17 Jose Zalaquett, « Confronting Human Rights Violations Committed by Former Governments : Principles (…)
21Aussi Zalaquett se prononce-t-il contre la tenue de procès devant les tribunaux car, pense-t-il, si un survivant à la torture, par exemple, dit la vérité, les présumés auteurs de torture contesteront toujours son récit. Zalaquett en arrive à la conclusion que, en matière de processus de réparation, la relation entre vérité et justice est celle de la distanciation : la vérité appelle compensation mais ne prononce pas de blâme17. Le modèle de Zalaquett est tributaire de l’éloquence du survivant qui parle, qui se reconstruit à travers l’acte narratif et le fait d’être écouté par une institution compatissante qui récompense l’acte de raconter.
- 18 Cathy Carruth, Unclaimed Experience : Trauma, Narrative and History, Baltimore, Johns Hopkins Univ (…)
22 Contrairement à celui de Zalaquett, d’autres modèles psychologiques soutiennent que le processus de demande de réparation, l’entretien lui-même, plus que toute autre construction ou imposition de récit, est traumatisant et peut entretenir le sentiment d’oppression. Par rapport à l’expérience des témoins de la TRC sud-africaine, deux assertions contradictoires ont été produites : que le fait de revivre la douleur et de partager des sentiments pourrait faciliter la reconstruction ou au contraire conduire au terrible résultat d’un nouveau traumatisme sous forme de flashbacks, d’hystérie et de dépression. En outre, à l’image de ce qu’on constate ailleurs, les Marocains, qu’ils soient de sexe féminin ou masculin, témoignent rarement au sujet du viol18.
Écrire pour se souvenir de la répression
23Au Maroc, une communauté de militants des droits humains, dont de nombreux membres sont des survivants de la disparition forcée, de la torture et des procès politiques de masse, s’est longuement efforcée de reconstituer ce visage hideux de l’histoire post-coloniale et de rendre compte de ce qui s’est réellement passé, malgré les tentatives des auteurs de violations de détruire les preuves matérielles et les témoins à la fois. Par conséquent, une inhabituelle élaboration discursive s’est faite jour, liant les auteurs, l’écriture, la détention politique et la torture : la culpabilité des prisonniers était établie sur la base de leur création littéraire et des écrits politiques, la torture était utilisée pour obtenir des aveux écrits, et enfin, une grande partie des écrits a été produite pendant les décennies d’incarcération. Pendant des années, des romans, des mémoires et des récits oraux sur les violations des droits de l’Homme – écrits à l’intérieur et hors des murs des prisons, en français et en arabe, publiés par des éditeurs franco-marocains transnationaux ou circulant clandestinement – ont représenté les longs, tortueux et complexes échanges culturels et politiques entre la France et ses anciennes colonies nord-africaines. La vie, l’activisme politique et les écrits de Maria Charaf en sont une illustration.
24Dans son livre « Être au féminin » (1997), Maria Charaf, raconte sa vie et son itinéraire scolaire et universitaire (elle est diplômée de la meilleure école d’ingénieurs du Maroc où elle a connu son mari Amine Tahani, également ingénieur). Militants tous les deux du mouvement étudiant de gauche, ils sont arrêtés en même temps lors des vagues d’arrestations policières qui se sont abattues sur les mouvements d’étudiants et d’intellectuels au début du mois d’octobre 1985. Elle s’est retrouvée, elle aussi, à Derb Moulay Cherif, les yeux bandés, parmi les détenus confinés dans les couloirs. Elle se définit elle-même comme une détenue de troisième catégorie, celle des rares personnes que l’on libère, à la différence de son mari, dont elle sentait la présence toute proche, même quand il était soumis à des interrogatoires brutaux :
- 19 Maria Charaf, Être au féminin, Casablanca, Éditions La Voie Démocratique, 1997, p. 73-74.
« Je n’ai aucune idée sur la durée de ma détention : un jour ? Une semaine ? Un mois ? Un an ? À vie ? Vraiment, je n’ai aucune idée, tout est tellement aléatoire dans de telles affaires ! Cette incertitude m’angoisse et je commence à perdre la notion du temps dès le 3e jour, mon incertitude est déjà de l’ordre de vingt-quatre heures. Alors, je tire un fil assez épais de l’une des couvertures et je le noue 3 fois. Désormais, à chaque fois que le gardien me donne mon pain quotidien le matin, je rajoute un nœud. C’est déjà ça de gagné, car cette maîtrise du temps, bien que toute relative, m’apporte un certain apaisement. Amine est très fréquemment appelé à l’interrogatoire, il en revient à chaque fois soutenu par deux gardes, sa tête tombant sur son épaule comme s’il s’était évanoui. Malgré ces conditions, j’arrive à garder mon moral au plus haut, me refusant de penser à mon fils… À partir du 4 novembre, je ne sens plus la présence d’Amine, je ne l’entends plus tousser, on n’appelle plus son numéro pour interrogatoire. Inquiète, je questionne l’un des gardes, mais il ne veut rien me dire. Je finis par comprendre qu’il a été transféré à l’hôpital. J’apprends plus tard que le personnel médical a refusé dans un premier temps de l’admettre, vu son état désespéré. Finalement il a été admis et enregistré sous un faux nom19. »
25Faire écouter à l’assistance un enregistrement audio de la voix de Tahani qui parlait en public, peu avant sa mort, faisait partie de la cérémonie commémorative du 19 novembre 1999. La voix sans corps de Tahani se faisait hésitante ; Maria Charaf s’est alors mise à hurler de manière incontrôlée. Dans les réactions des personnes présentes dans la salle, se mêlaient, pour autant que je m’en souvienne, la surprise, le silence, la sympathie mais aussi l’incrédulité. Les organisateurs assurent que Charaf avait été informée de l’existence de l’enregistrement et du projet de le diffuser. Mais entendre la voix de son mari défunt, comme s’il était toujours vivant et politiquement actif, avait peu à voir avec des discours familiers, sobres, réservés et marqués de formalisme, propres aux cérémonies commémoratives et de témoignages. Comme j’enregistrais les actes de cette rencontre, j’ai moi-même vécu le fait d’entendre les cris de Charaf comme une transgression et j’ai instinctivement appuyé sur la touche de mon appareil pour arrêter l’enregistrement. Je n’ai donc en ma possession qu’une bribe de la voix enregistrée de Tahani et des cris perçants de Charaf.
26Si les cris des victimes sont silencieux sur les faits, ils ne le sont pas par rapport aux émotions que les membres survivants des familles provoquent dans l’opinion publique, des décennies plus tard. Les cris perçants véhiculent un silence dont le trait caractéristique est qu’il s’oppose à la voix humaine, au verbe. Néanmoins, le silence est instructif. Pour en comprendre le sens, les historiens ont recours à une méthodologie commune qui est celle du « discours du silence » ou « la preuve par le silence » ou l’argumentum ex silentio latin ; un mode de raisonnement qui permet aussi de se prémunir contre l’erreur logique qui consiste à supposer que quelqu’un qui garde le silence fait nécessairement preuve d’ignorance. Lorsque l’on recherche, dans des sources écrites ou dans un témoignage oral, la confirmation que tels ou tels événements se sont ou ne se sont pas produits et que ces matériaux restent silencieux, cela ne veut pas dire que les informations sur de tels événements n’existent pas. L’absence de connaissances sur quelque chose n’implique rien d’autre au sujet de son existence ou de sa non-existence. En d’autres termes, le manque d’informations, le silence autour de la torture, du viol, ou de la disparition ne dit pas que la violation du droit n’a pas eu lieu.
27Au Maroc, l’histoire de la disparition forcée, de la torture dans des lieux secrets et des décès survenus au cours de la garde à vue dans les locaux de la police ou dans les prisons secrètes, évoque le passé dans la perspective du présent et se fait par les voix des victimes elles-mêmes. Bien que les témoignages aient, en ce 19 novembre 1999 à Casablanca, évoqué de nombreux détails concernant les modes de fonctionnement de Derb Moulay Cherif, les lieux et les espaces d’incarcération, les instruments utilisés par les tortionnaires et même le nom du tortionnaire, les archives et les appareils de l’État restent silencieux.
- 20 Deborah Posel, « The TRC Report : What Kind of History ? What Kind of Truth ? », in Deborah Posel (…)
28La commission marocaine, Instance Équité et Réconciliation, n’est pas la Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine. Les critiques reprochent à cette dernière de ne pas avoir accordé suffisamment de place à l’histoire et au contexte dans le rapport final, en cinq volumes, publié en 1998. La description l’emporte sur l’analyse lorsqu’il s’agit des pratiques de l’apartheid à l’échelle nationale. Les violations ne sont pas ramenées à leurs fondements historiques spécifiques et à leurs contextes20. Dans le cas du Maroc, le contraste avec l’Afrique du Sud est frappant. Les amnisties, accordées aux tortionnaires comme aux victimes, signifient que le Maroc a choisi de s’en tenir à deux aspects de la justice.
29Le premier aspect est la réparation. Le programme d’indemnisation de l’IER doit être évalué au regard d’un « ordre croissant de munificence » comme le propose Pablo De Greiff, du Centre international pour la justice transitionnelle basé à New York :
- 21 Pablo De Greiff (dir.), The Handbook of Reparation, New York, Oxford University Press, 2006, p. 13
« L’Afrique du Sud, qui a finalement fait un versement de moins de 4 000 $ US en une seule fois aux victimes, devrait être situé sur le bas côté du spectre; le programme des États-Unis en faveur des Américains-Japonais, qui a accordé aux victimes en un seul versement un montant de 20 000 $ US, devrait être suivi par le Chili, l’Allemagne, le Brésil et, pour finir, par le programme de l’Argentine qui a donné aux familles des disparus des obligations pour une valeur nominale de 224 000 $ US21. »
- 22 Tazmamart, une ancienne caserne militaire construite par les Français, transformée en un centre de (…)
30Même en tenant compte à la fois des difficultés rencontrées dans le calcul de la valeur de la couverture médicale mensuelle et du niveau peu élevé du PNB du Maroc que reflètent les faibles revenus mensuels, les indemnisations effectuées par le gouvernement placent le Maroc dans une position plus avancée que celle occupée par les États-Unis au titre des réparations américaines faites aux citoyens Japonais-Américains internés pendant la Seconde guerre mondiale et dans des cas particuliers, la réparation a été aussi élevée que celle de l’Argentine, notamment eu égard aux montants versés aux survivants de Tazmamart22.
31Le second aspect est celui qui consiste à procéder à l’identification et à la vérification des faits pour lever le voile sur la vérité de la détention arbitraire et des lieux secrets de torture et à en dresser le rapport. Ce qui aurait pu être tenu pour une réalisation minime de l’IER va se révéler être sa réalisation la plus impressionnante : le fait de recueillir et de classifier les témoignages du très grand nombre de Marocains qui ont droit aux réparations. L’accumulation des témoignages, de manière descriptive et a-historique, est la démarche préconisée par José Zalaquett, juriste et membre de la Commission chilienne de vérité :
- 23 Truth Commissions : A Comparative Assessment. Cambridge, MA : World Peace Foundation, 1997, p. 15.
« Je voudrais souligner la distinction à faire entre révéler la vérité sur les crimes commis en secret et interpréter les processus politiques qui ont conduit à de telles situations. La distinction entre fait et interprétation est devenue très importante dans le fonctionnement des commissions de vérité. Elles doivent, en grande partie, se concentrer sur les faits, qui peuvent être prouvés, car les divergences au sujet des interprétations historiques existeront toujours. Le rapport peut faire des recommandations en se référant au contexte immédiat des atrocités commises, mais pas à une période reculée dans le temps. Ici n’est pas l’endroit adéquat pour procéder à une analyse historique des luttes des classes23. »
32Zalaquett défend l’idée d’une approche légale et positive s’appuyant impérativement sur l’audition des témoins, laquelle doit être conjuguée avec des preuves complémentaires tirées des archives gouvernementales, quand elles sont accessibles. Il semble dire : laissons les historiens continuer le travail plus tard et laissons-les parler entre eux. Beaucoup de commissions « vérité » rédigent et éditent des rapports où devient floue la distinction entre la méthodologie recommandée par Zalaquett (description et catégorisation quantitative construite dans un langage de bases de données) et le récit expansif et chargé d’émotions des victimes. Les deux processus, le quantitatif comme le qualitatif, n’examinent pas le « discours du silence », « la preuve par le silence » et l’absence d’informations interpellant les silences qui entourent mes trois sujets, i.e. la disparition, le monde des tortionnaires et le silence des victimes anéanties.
Les silences de la disparition
33De nouvelles formes grammaticales, des notations et des styles d’écriture distincts ont été développés dans plusieurs langues, pour désigner une personne portée « disparue », ne serait-ce que sur une page imprimée. Le terme français « un disparu » est employé dans les contextes francophones pour désigner une personne qui a fait l’objet d’une disparition forcée. Le terme arabe officiellement utilisé en matière de droits de l’Homme, comme par exemple dans les documents des Nations-Unies, est Al-ikhtifa (disparition), Al-ikhtifa’ d’Al-qasri (disparition forcée) Al-ikhtifa ghayr ‘Al-tawi (disparition involontaire), Al-ikhtitaf (enlèvement), et Al-I’tiqal al-ta’assufi (détention arbitraire). Le terme ghabber en arabe marocain, qui revient fréquemment dans l’expression « Hassan ghabbru », signifie que « Hassan l’a fait disparaître par la force » et se prête à la conjugaison macabre causative et transitive suivante : ghabbruh (ils l’ont fait disparaître), ghabberhum (il les a fait disparaître), ghabberha (il l’a fait disparaître, elle), nghabbrik (je te ferai disparaître), et ainsi de suite selon le contexte. À la lettre, la racine arabe en trois consonnes gh-b-r signifie « quelqu’un ou quelque chose d’excessivement couvert » comme « l’acte de se retrouver transformé en poussière », un cas de figure où un champ sémantique relie la disparition forcée à l’un de ses résultats macabres : le corps disparu d’un mort qui se désintègre sous les sables, voire dans une fosse commune !
- 24 Pour une vue d’ensemble des problèmes et cas étudiés, voir Alison Brysk, « The Politics of Measure (…)
34Le recours au témoignage pour apporter la preuve de la disparition et l’absence de quelqu’un ne réussit pas toujours. Les tribunaux et les avocats préfèrent s’appuyer sur des textes et des documents produits par des témoins plutôt que de s’attacher à ce que peuvent apporter les sentiments profonds et l’expérience quotidienne de vie. « Voir » quelqu’un qui a disparu, c’est paradoxalement reconnaître publiquement qu’il existe un réseau de la terreur qui conduit à avoir le sentiment que l’absence ne compte pas, et de ne plus avoir peur de déclarer que les bien-aimés ne seront plus là. Le témoignage sur l’absence soulève des problèmes de contexte et de mémoire relatifs aux témoignages de première main par opposition aux témoignages de seconde main, sinon par ouï-dire : comment comptabiliser le nombre de personnes que l’on a, de manière arbitraire, fait disparaître, tuées, torturées et détenues24 ?
35Les Marocains sont confrontés à la réalité complexe engendrée par les diverses formes de disparition ; il s’agit non seulement du nombre de personnes disparues mais aussi des personnes terrorisées et contraintes directement et indirectement au silence. Le Maroc a produit des niveaux subtils de disparition. Il y a ceux qui disparaissent sans jamais réapparaître, et l’on n’est pas, à ce jour, sûr de dire si elles sont en vie ou mortes. D’autres disparaissent, réapparaissent pour être jugés et libérés pour disparaître de nouveau. Certains qui ont disparu réapparaissent ; le prix du retour dans le monde des vivants est le silence, celui de la victime et celui de la famille élargie. Mais la plupart des disparus ne réapparaissent jamais. Les tentatives des familles pour retrouver les membres disparus, aussi modestes soient-elles, les exposent à des poursuites pour subversion politique. Les membres des familles et les voisins des disparus deviennent des cibles pouvant faire l’objet de disparition.
Silence et viol
36Le rapport de la TCR sud-africaine prenant acte du fait que 61 % des violations avaient été commises contre les hommes a conclu que ces derniers :
- 25 Truth and Reconciliation Commission, Truth and Reconciliation Commission Report of South Africa, J (…)
« étaient les victimes les plus communes des violations. Six fois plus d’hommes morts que de femmes et deux fois plus de survivants des violations étaient des hommes. Par conséquent, bien que la plupart des personnes qui ont témoigné devant la Commission au sujet des violations aient été des femmes, la majeure partie des témoignages était au sujet des hommes (vol. 1, p. 171)25. »
37Si les femmes ont témoigné au sujet des mauvais traitements infligés aux fils, aux maris et aux frères, ce n’est pas le cas des hommes à propos des mauvais traitements dont ont été victimes les femmes. Après le premier « round » des auditions, Mapule Ramashala, l’une des sept femmes siégeant au sein de la Commission sud-africaine, a remarqué que les femmes exprimaient :
- 26 Noté dans Fiona C. Ross, Bearing Witness : Women and the Truth and Reconciliation Commission in So (…)
« la douleur des autres mais pas la leur. Si les femmes ne parlaient pas, alors l’histoire que nous proposons restera incomplète. D’un point de vue culturel, nous pensons que nous comprenons. Par exemple, les gens ont pu ne pas avoir dit à leurs conjoints : nous devrions faire quelque chose avec la caméra [ne pas transmettre à la télévision] et avoir des auditions spéciales, mais dans ce cas est-ce que les hommes apprendront d’elles ce qui s’est passé26 ? »
- 27 Voir Beth Goldblatt and Sheila Meintjes, « Gender and the Truth and Reconciliation Commission », d (…)
- 28 Albie Sachs, « Judges and Gender : The Constitutional Rights of Women in Post-Apartheid South Afri (…)
38La TCR sud-africaine range les expériences de la plupart des femmes dans la rubrique « très mauvais traitement » (vol. 4, p. 286), définie comme étant l’agression, l’abus ou le harcèlement sexuels, le viol, la mutilation, la détention au secret, la détention en l’absence de charges, la privation de nourriture, d’eau ou de soins médicaux pendant l’emprisonnement, etc. (vol. 1, p. 81-82 et vol. 5, p. 256). Pour faire face à ce qui a semblé être les silences des femmes, les recommandations faites par les diverses organisations de femmes sud-africaines et contenues dans le rapport « Genre et TCR » ont été les suivantes : auditions de femmes seules (trois ont eu lieu), des femmes témoignant collectivement sans couverture télévisuelle, et des membres de la commission qui doivent suivre une formation sur la problématique du genre (volume 4, chapitre 10, « Audition spéciale : femmes »27). Les expériences des femmes et, par conséquent, leurs récits sur le harcèlement, la disparition ou l’arrestation ont été considérés comme secondaires par rapport aux événements principaux. Les femmes elles-mêmes étaient peu disposées à examiner leur rôle de résistantes aussi bien dans la société que dans les mouvements de lutte contre l’apartheid et de libération. Albie Sachs, un juge de la cour constitutionnelle sud-africaine, note que « le patriarcat est la seule institution véritablement non raciale en Afrique du Sud »28.
39La participation des femmes à la sphère publique provoque des alliances sociales puissantes centrées sur la question du genre. Les protagonistes marocains et sud-africains, habituellement en désaccord entre eux, semblent se faire écho : les camarades masculins peu disposés à inclure les épouses, les sœurs et les mères dans les réseaux clandestins d’opposition, ont subi de plein fouet la persécution par les gouvernants qui a férocement décimé toute l’opposition, hommes et femmes, tout en réservant des traitements spécifiques au contrôle des femmes qui ont transgressé les tabous, comme, par exemple, les femmes marocaines emprisonnées pour leur activité politique. La disparition forcée, la torture et le viol ont certes touché une part importante des Marocains, quel que soit leur appartenance politique ou leur sexe. Mais la conjonction du genre et des silences, notamment quand il s’agit des expériences des femmes en matière de disparition et de viol, posent des défis particuliers à toute expression (ou manque d’expression) dans une langue. Au sein des populations de personnes ayant connu la disparition et réduites au silence, les femmes représentent un sous-groupe qui interpelle particulièrement. En d’autres termes, quels ont été les modes utilisés par les femmes dans leurs écrits et leurs témoignages oraux pour exprimer la variété des formes de violence perpétrée à leur égard ?
Schéhérazade du Maroc
40Pourquoi la figure de Schéhérazadedes Mille et Une Nuits occupe-t-elle l’avant plan pour les Marocains qui témoignent au sujet de la torture et la disparition ; quels sont les aspects de son sort, de son destin et de ses stratégies narratives qui résonnent pour eux ?
- 29 Fatema Mernissi, Sheherzade Goes West, 2001, p. 55.
41La sociologue marocaine Fatima Mernissi donne une idée sur la proéminence actuelle de Shéhérazade. Elle remarque dans son ouvrage, Sheherazade Goes West, que Shéhérazade est évoquée comme une libératrice pour le monde musulman, comme une héroïne politique qui a tenu un tyran en échec par la force de son intelligence et son jeu sur les mots, et en fin de compte, comme un rapporteur qui dit la vérité et par conséquent, le porte-drapeau du mouvement des droits humains29.Selon cette lecture, la figure de Shéhérazade représente un moyen pour comprendre les témoignages et l’acte de témoigner en tant que création d’un puissant sujet d’opposition en termes de genre qui émerge à travers l’acte de prise de parole.
42Abdellatif Laabi, un écrivain marocain emprisonné entre 1972 et 1980, reconnaît que Shéhérazade a inspiré son roman de 1982, Le chemin des ordalies, où il décrit son emprisonnement et la torture subie. Laabi restitue une Shéhérazade envoutante :
- 30 Abdellatif Laabi, Le chemin des ordalies, 1982, p. 61.
« Elle qui fut la plus grande romancière de ta tradition culturelle, elle ne le fut que parce qu’elle vivait en permanence sous l’épée du Damoclès oriental. ‘‘Tu écris ou on te tue’’. Il ne faut surtout pas comprendre cet ultimatum comme venant de la bouche d’un quelconque bourreau. Si tu dépasses la naïveté de la parabole, tu sauras que c’est la voix de l’Histoire qui parle. Et elle s’y réfère à une de ses lois les plus brutales : tout silence est une mort par défaut… Souviens-toi de Schéhérazade30. »
- 31 Saida Menebhi, Poèmes, lettres, écrits de prison. Paris, Comité de lutte contre la répression au M (…)
43Laabi déploie ensuite le cadre d’une histoire populaire, semble-t-il, celle d’une jeune fille appelée Saida et enlevée par le roi. Il s’est inspiré dans l’élaboration du récit des détails d’une histoire de vie réelle d’une héroïne marocaine, Saida Menebhi, une prisonnière politique marxiste qui, après huit mois de détention au secret, mourut à Casablanca le 11 décembre 1977 pendant une grève massive de la faim menée par les prisonniers politiques pour exiger entre autres le statut de détenus politiques31.
44Ces deux aspects de Schéhérazade se retrouvent largement dans la vie et l’œuvre d’une militante marocaine Fatna El Bouih qui mobilise Schéhérazade en tant que femme narratrice de la vérité face à un pouvoir arbitraire et figure emblématique pour les prisonnières politiques au Maroc. Son livre, Hadith al-’atama, publié en arabe en 2001, s’ouvre sur un rêve, telle une prémonition, dans lequel elle compare son sort aux contes des Mille et Une Nuits. Sur les berges du fleuve Bou Regreg, elle rassemble les souvenirs d’évènements vieux de plusieurs décennies :
- 32 Fatna El Bouih, Hadith al-’atama, Casablanca, Le Fennec, 2001, p. 10 ; la traduction française fai (…)
« Je me rappelle en cet instant ce que disait mon père, quand je me réveillais, petite fille, affolée par un cauchemar sorti des contes de Mille et une Nuits, qu’il nous racontait les soirs de bonne humeur. Histoires d’enlèvements et de rapts de femmes et de filles. Papa disait : « Ce sont des histoires de temps jadis » ; il ne lui venait pas à l’idée – Dieu ait son âme – que cela puisse encore arriver à notre époque32. »
- 33 Voir deux pages où El Bouih parle des prisonnières politiques, « Ara ma la uridu », (J’ai vu ce qu (…)
45Pour raconter les expériences de générations de femmes marocaines considérées comme des sans voix marquées par l’impuissance, Fatna El Bouih (détenue politique marxiste de 1977 à 1982, mouvement du « 23 mars »), construit un narrateur qui parle à la première personne pour exprimer l’expérience collective de ses camarades femmes intellectuelles et activistes. Les mémoires de prison d’El Bouih parlent de ses propres expériences et s’étendent aux expériences collectives. Aux chapitres qui lui sont propres dans son récit édité, Hadith Al-’atama, sont ajoutées des histoires orales faites par deux autres femmes prisonnières politiques du même Groupe de Meknès, Widad Bouab et Latifa Jbabdi, tirées d’articles parus pour la première fois en 1994 dans le journal Ittihad Ichtiraki33. Ce récit donne l’impression d’être écrit par un auteur collectif qui a puisé ses sources à la même origine quand il s’est agi de collecter les histoires orales d’autres femmes, ce qui renvoie clairement à une forte tendance à la retenue, trait façonné par l’histoire et par le genre. El Bouih dit d’abord qu’elle s’est sentie honteuse de parler de ses propres expériences ce qui est un obstacle à l’écriture :
- 34 Entretien avec Fatna El Bouih, « This Time I Choose When to Leave », MERIP/Middle East Report, con (…)
« Rappelez-vous que le modèle pour toutes les femmes marocaines est la femme qui baisse ses yeux, n’élève jamais sa voix, dont la langue ‘‘ne sort pas de sa bouche’’, comme dans le proverbe marocain lfum mesdud ma duzluh dbana (une bouche fermée où pas une mouche ne peut entrer). Les filles sont élevées dans le principe : Samt hikma u-mennu tfarraq ilhikayem (le silence est sagesse et il est la source de toutes les sagesses). Ceci fait partie de ma société. C’était la voie choisie par mes collègues, mes amis et moi-même pour nous élever contre cette situation et contre laquelle je me suis révoltée34. »
46Rani nimhik (littéralement je vais t’effacer) était l’expression brutale proférée par Yousfi Kaddour, qualifié de tortionnaire en chef par Fatna El Bouih, dans ses mémoires de disparition et de prison :
- 35 Fatna El Bouih, Une femme nommée Rachid, op. cit., p. 19.
« On ne se sent nulle part. Quand le commissaire a dit : “je vais t’effacer” je me suis dit “ça y est, je suis effacée de la carte du Maroc, personne ne sait où je suis, je n’existe plus que dans la mémoire des proches, et même ceux-là, épuisés par de vaines recherches, me croient peut-être au nombre de morts’’35. »
- 36 Voir la section sur les définitions des atteintes aux droits de l’Homme in Marguerite Feitlowitz, (…)
47Tout en sachant qu’elle a disparu quelque part au Maroc, El Bouih fait en premier l’expérience de l’enlèvement en termes de catégories devenues familières de déplacement et d’exil ; une sensation rendue forte par la menace de son tortionnaire de l’effacer du disque, de la page écrite, de la carte même de son pays. Elle seule sait qu’elle est retenue dans son propre pays ; personne d’autre que ses ravisseurs ne sait dans quel lieu précis. La référence de Yousfi Kaddour à l’acte d’oblitérer sa victime appartient au « lexique de la terreur »36, cette partie du vocabulaire paradigmatique utilisé de manière répétitive par les tortionnaires dans tant d’endroits, au point que des instruments des droits de l’Homme ont été créés dans les années 1970 et 1980 comme pour répondre spécifiquement aux menaces de Yousfi Kaddour. En outre, assigner aux prisonniers politiques disparus des numéros est une technique efficace pour porter atteinte à leur identité personnelle. Les opposantes politiques marocaines se sont vues donner différents noms, c’est ce que El Bouih relate dans le texte suivant :
- 37 El Bouih, p. 16.
« Ici tu ne verras jamais le ciel … ici si tu enlèves le bandeau on t’écrase, si tu parles, on te coupe la langue. ‘‘Emmenez-la !” Cet homme, c’est Yousfi Kaddour. J’ai du mal à croire que je suis devant un “responsable”, un “chef”… homme de pouvoir, important. Mon Dieu, à qui confie-t-on le pouvoir dans ce pays ! On me donne un numéro et un nom : ‘‘maintenant tu t’appelleras Rachid… Ne bouges pas, ne parles pas, sauf si tu entends ton nom. Rachid.’’ C’est le début de la dépersonnalisation : enlèvement, séquestration arbitraire et maintenant la négation de ma féminité. Pour eux, je ne suis plus qu’un homme qu’ils appellent Rachid37. »
48El Bouih était ainsi re-sexuée en homme par ses tortionnaires. Le thème d’une femme forcée de devenir un homme est central au point que son livre, Hadith Al-’atama a été édité en français sous le titre, Une femme nommée Rachid. Une de ses camarades détenues, Widad Bouab, a été renommée Hamid :
- 38 Widad Bouab, in El Bouih, Une femme, op. cit., p. 98. Le témoignage de Bouab, repris dans le livre (…)
« Les gardiens représentent une catégorie d’hommes à part, totalement dépourvus de sentiments humains ‘‘Tu vois ces nanas qui veulent se mêler de politique et jouer aux mecs ? On va te leur coller des noms de mecs’’. Ils nous attribuèrent à chacune un nom masculin, pour moi ce fut Hamid38. »
- 39 Aicha Alqoh, « Fatna El Bouih, « Ma prison à moi », Demain, n° 18, 7-21/7/2000, p. 48-49.
- 40 Latifa Jbabdi, in El Bouih, Une femme, op. cit., p. 105-6. Le témoignage de Jbabdi a été d’abord p (…)
- 41 Il y a un seul cas signalé de détenue politique marocaine violée par un garde, et sauvagement agre (…)
49Quand un garde mit les menottes à El Bouih, alors qu’on la conduisait au procès, elle lui demanda pourquoi on lui réservait un traitement différent des prisonnières de droit commun. Le gardien de prison répondît : « Pour moi, tu n’es pas une femme. Tu es un homme. Les femmes sont dans le harem »39. Dix-sept ans après sa disparition, Latifa Jbabdi écrit dans son témoignage édité : « Pour camoufler la présence de femmes, on nous donnait des noms d’homme. On m’appelait Said, ou Tawil ou Doukkali ; à l’interrogatoire seulement, on féminisait mon nom, pour m’appeler l’entraîneuse, ou la Pasionaria »40. Jbabdi, Bouab et El Bouih disparaissent doublement – d’abord en tant qu’activistes, puis en tant que voix de femmes dans la sphère politique. Le fait d’appeler des prisonnières politiques par des noms d’hommes ne les a pas protégées contre les insultes et les violations les plus banales dirigées spécifiquement contre les femmes. Lorsqu’elle a été arrêtée chez elle, par exemple, El Bouih s’est vue qualifiée de putain, et dans le commissariat de police elle a été témoin du viol des prostituées arrêtées, une pratique policière courante41.
- 42 Entretien avec Fatna El Bouih, Casablanca, 3/10/1999. Voir aussi Fatna El Bouih, « Un sommeil cour (…)
- 43 Entretien avec Widad Bouab et Maria Ezzaouini, Marrakech, 11 décembre 1999. Voir aussi Widad Bouab (…)
50Outre la répression politique, il y a la répression spécifique des femmes : « cet interminable interrogatoire, la torture. Nous souffrions beaucoup, nous les femmes, par exemple au moment des règles car nous n’avions rien pour nous changer42. » Widad Bouab, qui a partagé le temps et l’espace avec EL Bouih à Derb Moulay Cherif, soutient que si les geôliers tardaient si longtemps à fournir les serviettes hygiéniques aux prisonnières, c’était parce qu’il s’agissait d’une politique pénitentiaire délibérée43. Laisser des femmes se salir avec leur sang menstruel, les qualifier de prostituées, les forcer à rester toutes nues et les soumettre aux menaces de viol ou au viol procédaient d’un système d’humiliations :
- 44 Entretien avec Fatna El Bouih, Casablanca, 3/10/1999.
« J’avais les yeux bandés, les menottes aux mains derrière le dos, on m’a poussée dans un fourgon où il n’y avait même pas de place pour m’asseoir. J’ai vomi, j’avais mes règles et je saignais fortement, je baignais dans du sang. Heureusement je portais un pantalon noir… J’ai porté du rouge et du noir pendant sept mois, un pull-over rouge et un pantalon noir – le rouge et le noir44. »
Le droit au silence ? (Le droit de garder le silence)
- 45 Entretien cité in http://www.agenda.org.za/BETH.htm basé sur les troisième et dernière auditions s (…)
51La torture infligée par la police à des suspects silencieux pour leur arracher des aveux est une pratique courante, de même que le refus d’un suspect de répondre aux questions. La police tout comme les juges interprètent systématiquement le silence des suspects comme une preuve à charge. En revanche, et sous un angle légal, beaucoup de pays maintiennent le droit du suspect de garder le silence. Le Code de procédure pénale français (article L 116) le rend obligatoire ; quand un juge d’instruction entend un suspect, il doit lui signifier qu’il a le droit de garder le silence, de faire une déclaration ou de répondre aux questions. En Afrique du Sud, des femmes détenues et torturées sous le régime de l’apartheid, devenues par la suite des fonctionnaires de haut-rang du gouvernement, comme Bridget Mabandla, vice-ministre des arts et de la culture, ont refusé de témoigner devant la Commission Vérité et Réconciliation. Thenjiwe Mtintso, alors présidente de la Commission de l’Afrique du Sud sur l’égalité des sexes et occupant le rang le plus haut détenu par une femme au sein de l’ANC, confessa qu’elle était incapable de parler de l’abus sexuel dont elle avait fait l’objet45.
52Latifa Jbabdi, seule femme désignée comme membre de l’IER marocaine, a, elle, écrit sur ses expériences de détention au secret et en prison. En 1994, elle écrit un article, paru parmi une série d’articles publiés dans le journal al Ittihad Ichtiraki sur des femmes en prison, et ajouté en 2001 aux mémoires de Fatna El Bouih, où elle décrit les quelques privilèges futiles, accordés aux femmes à Derb Moulay Cherif, tel que le droit d’aller aux toilettes sans être accompagnée par un garde, ce qui est devenue pour elle l’unique occasion où elle pouvait librement enlever le bandeau qui couvrait les yeux. Jbabdi y inclut un bref récit sur la réussite des prisonnières politiques à arrêter une tentative d’agression sexuelle d’un garde :
- 46 Latifa Jbabdi, in Fatna El Bouih, Une femme, op. cit., p. 108.
« Un jour, notre camarade, Khadija Boukhari subit une agression sexuelle de la part d’un garde ; notre colère éclata et nous envoyâmes promener tous les interdits, ce qui provoqua une enquête et rendit la considération à notre camarade46. »
53La description de Jbabdi est laconique et sommaire, comme si le fait de rapporter les faits à Amnesty International dévoilait sa fierté par rapport à la résistance féminine collective. Fatna El Bouih situe la première révolte féminine dans le centre secret de détention au moment où un garde a essayé de violer une prisonnière après l’avoir suivie aux toilettes. El Bouih écrit :
- 47 El Bouih, op. cit., p. 20.
« Une fois, pendant le Ramadan, une de mes camarades subit une agression sexuelle. Mais c’est nos corps que la force enchaîne, pas nos âmes : nous réussissons à briser l’étau du silence de la garde renforcée et à réprouver cette abomination. Nous poussons des hurlements. Nuit mémorable : les murs de cette prison entendent pour la première fois des cris de protestation, et qui plus est, des cris de femmes47. »
54Toutes avaient les yeux bandés, les menottes aux mains et forcées de s’allonger toujours dans le silence complet ; et pourtant, d’une manière ou d’une autre, la femme qui fait l’objet d’une agression pouvait donner l’alarme. Lors de mon entretien (1999) avec El Bouih, celle-ci ajoute les détails frappants suivants :
- 48 Entretien avec El Bouih.
« C’était notre première révolte au centre de Derb Moulay Cherif, les premières voix à s’élever à côté des cris perçants des hommes et des femmes subissant la torture. C’était le premier cri de dénonciation d’une injustice particulière, le harcèlement sexuel. Nous nous sommes mises à crier très fort aux alentours de trois heures du matin pendant le mois de Ramadan, nous avons crié fort et nous avons pensé qu’ils nous tueraient. Nous avons crié qu’ils nous agressaient, que nous étions des femmes, que cela ne devait pas être permis, que c’était une injustice. Chacune d’entre nous a pris la parole ; c’est Latifa [Jbabdi] qui a commencé, et puis ça a été moi. Elle était terrifiée mais nous nous sommes dit que nous devions le faire. Nous avons manifesté, nous les avons insultés, nous étions des femmes, nous étions là mais nous n’étions pas prêtes à l’accepter. Le jour suivant, ils ont mené une enquête. Ils nous ont frappées et humiliées pour nous faire taire. Mais le jour suivant, leurs supérieurs sont venus, des commandants, même avec nos yeux bandés il y avait moyen de voir. Leurs chaussures, leurs bottes, et les habits qu’ils portaient montraient bien que nous avions affaire à des fonctionnaires de haut-rang ; ils nous ont interrogées alors que nous avions les yeux bandés, ils ont dit qu’ils allaient les punir48. »
55Dans le monde diabolique de la détention secrète dans le centre de Derb Moulay Cherif où règnent les codes stricts du silence, excepté les cris perçants des torturés et les déclarations d’aveux produites sous la contrainte, El Bouih décrit fièrement une « manifestation » de femmes. Il ne fait pas de doute qu’elles se sont exprimées uniquement au moyen de cris perçants et de mots, alors qu’elles étaient immobilisées, les yeux bandés et qu’elles ont payé physiquement le fait d’avoir transgressé le silence imposé. Les femmes rappellent toujours qu’elles ont triomphé lorsqu’elles ont réaffirmé leur dignité et leur identité. Pour le moment, les responsables ont conduit une mascarade d’enquête formelle au terme de laquelle les tortionnaires et les fonctionnaires de prison consentent à limiter leurs atrocités : la pratique de l’enlèvement et de la torture mentale et physique était courante, mais l’automne de l’année 1978 a représenté pour ces prisonnières politiques qui ont agi ensemble, une sorte de sursis provisoire contre les menaces de viol.
56Jbabdi finit son récit, publié dans le journal en 1994, avec une histoire de convois policiers et de sirènes qui, d’habitude, escortent les détenues politiques de la prison de Meknès au tribunal. Le procès se tient après que ces femmes ont fait l’objet d’une disparition forcée et d’une détention au secret pendant sept mois à Derb Moulay Cherif et qu’elles ont entamé une grève illimitée de la faim, au risque de leur vie, à la prison de Meknès pour le droit à un procès. Embarrassée, Jbabdi, oscille dans son récit entre amertume et humour :
- 49 Latifa Jbabdi, in Fatna El Bouih, Une femme, op. cit., p. 116-17.
« Une fois où je fus convoquée seule, on me fit monter comme d’habitude, dans une estafette, bourrée de gardiens et de policiers armés de mitraillettes, devant et derrière nous, il y avait deux voitures avec le même chargement, sans parler de la moto qui ouvrait la route. Quand on m’installa à ma place et qu’on donna le départ, ces hommes se révoltèrent furieux de cette mobilisation grotesque à cause de nous, a fortiori à cause de moi qui n’étais pour eux qu’une femme. Ils crièrent et en firent une question d’honneur masculin. J’hésitais entre rire de la situation qui était franchement comique et maudire le machisme qui me jugeait sans importance en raison de mon sexe, et non pas de ma pensée, de mes choix et de mes limites en tant qu’être humain49. »
Les tortionnaires
57Si l’on s’en tient aux témoignages des survivants, les tortionnaires s’évanouissent dans l’anonymat. Du silence qui entoure les auteurs de violations, on peut déduire que des procédures précises ont été arrêtées au sein de la bureaucratie pour que la disparition et la torture des personnes aient lieu. Le processus qui a conduit à ces décisions s’est constitué lentement, et par étapes. À un moment donné, les décisions sont devenues des instructions générales écrites, puis des instructions données oralement, puis des instructions sur lesquelles on garde le silence au sein de la bureaucratie pour, finalement, aboutir à une absence totale d’instruction. Les bureaucrates et les officiers de police chargés de l’exécution finissent par comprendre le but visé par la disparition et la torture. Ils n’ont, en fin de compte, nul besoin de recevoir des ordres parce qu’ils opèrent en toute indépendance.
58En 2002, le prisonnier politique Hasan Elhasni Alaoui (du groupe islamiste des 71) reconnaît son tortionnaire, Mohamed Legnoufi, quand ils se sont retrouvés tous les deux dans un garage de Casablanca pour réparer leurs voitures. Alaoui rapporte l’histoire de Legnoufi dans les termes suivants :
- 50 Entretien avec Hassan Elhasni Alaoui, Casablanca, 30/11/2003.
« J’étais un enseignant. J’ai voulu améliorer ma situation, c’est pourquoi je me suis présenté à un concours de police. Ils m’ont affecté à la brigade des tortionnaires. Ils ont, une fois, ramené un membre de ma propre famille à Derb Moulay Cherif. Je l’ai torturé avec un excès de zèle. Pourquoi ? Parce que, en présence des autres tortionnaires, je devais le faire, autrement ils m’auraient dénoncé. Comprenez donc que j’étais obligé de le faire dans ce cas50. »
- 51 La littérature sur la torture et l’étude de cas de tortionnaires ne fait que croître. Voir par exe (…)
- 52 Ahmed Boukhari interviewé par Isabelle Broz de Radio France Internationale, 14/2/2000, disponible (…)
59Faire la rencontre de son ancien tortionnaire est une expérience commune pour d’anciens détenus et permet d’entrapercevoir de rares aspects du monde des « travailleurs de la violence »51. Il importe de noter que, c’est plutôt un autoportrait de la victime qui transparaît à travers les entretiens qui relatent oralement l’histoire. Comment peut-on garantir la véracité des dénombrements des exactions quand ce sont les tortionnaires eux-mêmes qui les établissent ? Il en va de même pour les descriptions de la torture si l’on se fonde, par exemple sur, cas rare, les confessions publiées par un policier marocain. Au début de l’année 2001, Ahmed Boukhari, un ancien agent des services secrets, s’est mis à accorder des entretiens aux journaux français et marocains où il décrit les détails du monde des centres secrets de détention, de torture et de disparitions pendant les décennies 1950, 1960, et 1970. Si nous nous référons à l’information proposée dans son livre, Le secret, édité en France en 2002, on constate que Boukhari estime que les disparitions forcées se chiffrent en centaines et les kidnappings en milliers, – approximativement 350 personnes par an entre 1960 et 1973, auxquelles il faut ajouter les forts accroissements enregistrés pendant les années des crises politiques spécifiques au cours desquelles les complots contre la monarchie n’ont pas manqué. À titre d’exemple, il compte 5 000 kidnappings en 1963 (les seules personnes kidnappées qui aient été présentées devant un juge, note Boukhari, sont au nombre de deux), plus de 2 500 entre 1969-1970, et 6 000 en 1973 à la suite du soulèvement dans la région du Moyen-Atlas52. Les estimations de Boukhari se rapportent aux années 1960-1973 ; les statistiques qui manquent concernent les périodes d’avant et d’après son activité au sein de la police secrète. Dans sa semi-confession, Boukhari parle, par exemple, du sort réservé aux personnes décédées entre 1963 et 1970 et qui ont disparu à Dar El Mokri :
- 53 Ahmed Boukhari, Le secret : Ben Barka et le Maroc : un ancien agent des services spéciaux parle, P (…)
« En cas de décès les cadavres, empaquetés dans un sac noir, étaient jetés soit dans une fosse commune, soit dans un trou individuel creusé dans un coin du parc, selon le nombre de trépassés du moment. D’autres dépouilles, lestées d’un poids fixé aux pieds, étaient jetées à la mer du haut des falaises de la côte Atlantique, d’autres encore étaient enterrées de nuit loin de Rabat, dans la région d’Ain Aouda53. »
- 54 La réaction déconcertante des autorités chiliennes ressemble à celle des autorités marocaines face (…)
60L’Argentine a également expédié les disparus dans des tombes aqueuses. C’est en 1995 seulement qu’un capitaine retraité de la marine argentine, Adolfo Francisco Scilingo, tenta de justifier publiquement son rôle dans ce qui a consisté à balancer des centaines de corps dans l’océan Atlantique en utilisant des avions militaires54. Est-il possible de connaître le nombre exact des personnes touchées et de comptabiliser celui des personnes disparues ? Comment mesurer l’ampleur du nombre des personnes affectées ? Lors de mes entretiens, les prisonniers politiques illégalement séquestrés à Derb Moulay Cherif ont mentionné en passant le rôle des « plantons » qui étaient eux-mêmes des prisonniers arrêtés lors du soulèvement de 1973 au Moyen-Atlas. Étant dans l’obligation d’imposer des contraintes aux nouveaux détenus sous peine de subir la torture, les plantons deviennent à la fois des victimes et des tortionnaires, un personnel non comptabilisé et qui passe des années dans le monde souterrain de la détention secrète. Comment mesurer l’absence de ceux qui ne réapparaîtront jamais ? Ces évaluations sont à confronter avec des interprétations contestées de l’histoire du Maroc : où les « années de plomb » et « Al-sanawat Al-sawda » (les années noires) commencent-elles et où finissent-elles ?
61Les commissions de vérité, qui s’appuient sur les souvenirs et le témoignage de survivants et de témoins qui, comme Schéhérazade, ont la capacité et la volonté de témoigner contre les tyrans, font face à un dilemme. L’ordre descendant de commandement, des ordres bureaucratiques écrits aux instructions orales jusqu’aux hurlements, doit être délibérément inversé. Aux prises avec le silence de la torture, l’IER a tenu une série d’audiences publiques avec des témoignages oraux de victimes diffusés par la télévision marocaine et par la suite affichés sur le site Web de la commission. Durant ces audiences, presque tous les orateurs ont acquiescé aux directives de l’Instance consistant à ne pas prononcer les noms de leurs tortionnaires. La presse écrite transcrivit les témoignages et fit état de la profonde émotion publique provoquée par les révélations des orateurs. En qualité d’invitée d’honneur, El Bouih assista à la première audition publique télévisée tenue à Rabat les 21-22 décembre 2004. Elle a choisi de ne pas témoigner lors des auditions de l’Instance mais plutôt d’être présente et d’écouter. Bien que ces audiences aient apparemment accordé une voix aux femmes, à elle et à d’autres prisonnières politiques, El Bouih ne pouvait pas provoquer de châtiment en nommant les tortionnaires ; elle pouvait seulement raconter comment elle était devenue une victime. Les révélations par les médias de faits de torture et de disparitions sont la preuve d’un puissant désir de transformer, tout en contrôlant, la culture politique au Maroc. Rendre publiques les auditions de la commission de vérité pour que le monde les regarde fait que l’image devient aussi importante que le témoignage dit. Vingt-huit ans après sa sortie de prison, El Bouih entrait dans la salle où se tenait l’audition publique quand elle reconnut sur le champ son kidnappeur qui était là : c’était un haut fonctionnaire de police surveillant la scène. Son nom n’avait encore jamais été révélé. Elle le dénonça immédiatement à la presse :
- 55 Karim Boukhari, « Tatouées par les années de plomb, » Telquel online, 2004 : http://www.telquel-on (…)
« Pour moi, sa vue me replonge dans un trou sans fin. C’est lui qui m’avait arrêtée, plutôt enlevée en 1977. Et c’est lui qui se déplaçait de Rabat jusqu’à Casablanca pour, selon le jargon, s’occuper spécialement de moi là où j’étais, à Derb Moulay Chérif. Comment voulez-vous que je prenne le fait de le retrouver, encore et toujours, le jour où le Maroc annonce qu’il se réconcilie enfin avec son passé55 ? »
Chahada et Témoignage
- 56 John Beverley, « The Margin at the Center : On Testimonio (Testimonial Narrative) » Modern Fiction (…)
- 57 Daniel Gimaret, « Shahada », Encyclopédie de l’Islam (Leiden : E. J. Brill, vol. 9, 1998, p. 207. (…)
62Le mot arabe chahada se rapporte à la profession de foi islamique quand un croyant prononce : « Il n’y a de dieu que Dieu, Mohammad est le messager de Dieu ». Au Maroc, le terme chahada (témoignage en français) est venu, depuis les années 1970, définir les récits qui expriment « une urgence de parler des problèmes de répression, de pauvreté, d’emprisonnement, de lutte pour la survie, et ainsi de suite, auxquels renvoie l’acte même du récit »56. Les définitions de chahada proposées dans l’Encyclopédie recouvrent une gamme de significations qui vont du simple fait d’être témoin d’événements jusqu’à faire une déposition oralement, en passant par le témoignage ; un continuum qui se déploie aux plans de la sémantique et de l’expérience avec beaucoup d’intensité et de force : « (1) être présent [quelque part], par opposition à ghaba, être absent ; d’où (2) voir de ses yeux, être témoin d’[un événement] ; d’où (3) témoigner de [ce qu’on a vu] ; d’où (4) attester, certifier (tout court) »57. Dans le fiqh (jurisprudence islamique), le terme chahada renvoie à la fois à la forme et au contenu du témoignage. D’un point de vue formel, il s’agit d’une action publique aux importantes conséquences juridiques et sociales, précisément parce qu’elles ont le caractère d’obligations légales. Le caractère et l’autorité du témoin, tout comme la teneur du témoignage, doivent donc être déclarés justes et véridiques. Le discours marocain en matière de droits de l’Homme mobilise la notion de chahada, en tant que notion politique et d’obligation légale, dans une acception large qui dépasse le cadre de la cour pour englober l’espace public et qui, au-delà des inégalités hommes-femmes, embrasse les récits faits par des hommes et des femmes pour dire publiquement la souffrance, indépendamment de leur genre – des hommes en détention ont aussi été violés. Chahada signifie également le martyre (comme, par exemple, la disparition ou la mort pendant la garde à vue dans les locaux de la police), ainsi que le fait de témoigner pour que la mémoire de ces martyrs reste et ne soit pas effacée.
63En revanche, l’IER a délibérément choisi le terme ifada, pour caractériser la déposition officielle faite par un témoin devant la commission, en tant que demande d’indemnisation, quelle que soit sa forme, orale ou écrite. Driss Benzekri, le président de l’IER, m’avait informée que pour désigner « déclaration », le terme ifada a été préféré à d’autres qui ont une résonance historique et juridique tels que chahada et témoignage (entrevue, Rabat, janvier 2005).
64Chahadat min al-sijn, « témoignages de prison » est venu caractériser le genre d’écriture produite à l’intérieur des murs épais des prisons, où des milliers de communiqués, de lettres, de journaux de prison et de manuscrits ont été produits et diffusés dans le monde extérieur par les prisonniers politiques, qui restent les activistes des droits de l’Homme les plus lettrés et qui donnent le plus de voix. Dans des conditions extrêmes, les actes narratifs de chahada, traduits dans les faits d’écrire, de témoigner et de parler, apparaissent à l’origine comme une solution de dernier recours. La chahada présuppose que l’idée même d’un acte de témoignage alphabétisé soit initialement produite en l’absence d’audience avec pour seule compagnie les murs nus de la prison, à moins de compter les tortionnaires et les gardiens. Sortis clandestinement de prison, adressés à ceux qui soutiennent les victimes de la répression au Maroc et aux organisations internationales des droits de l’Homme, les témoignages décrivent le passage de la souffrance et de la torture des prisonniers politiques vers le domaine du discours public partagé, par-delà les idées que les prisonniers épousent. Les objectifs de la chahada consistent à retrouver l’ambiance politique et la mémoire de ce qui a représenté un puissant refus de la part de milliers de Marocains qui se sont posés des questions pendant les premières années de l’Indépendance au sujet des résultats politiques et économiques qui ont tout simplement servi à marocaniser les anciennes hégémonie et exploitation colonialistes.
65En effet, dans l’après 1999 – la période post-Hassan II –, s’ouvre une ère de recherche, de débats publics, de témoignages et de publications dans les journaux à forts tirages au sujet des vérités sur l’histoire de la répression qui a donné lieu à de nouvelles manières de raconter l’histoire de l’opposition aux violations des droits humains. Les événements entourant les années de répression, leur interprétation au fil des décennies et aussi les modes successifs à travers lesquels ils ont été communiqués, incluent les témoignages des acteurs qui ont survécu ainsi que le désir de l’actuelle génération de Marocains de savoir ce qui s’est passé pendant les périodes sombres d’un passé qui continue de hanter leur présent.
66Parmi les recommandations de l’IER, il y a des mesures concrètes pour matérialiser et abriter cette mémoire comme, par exemple, la transformation des centres secrets de détention, tels Derb Moulay Cherif et Tazmamart, en des « lieux de mémoires » et la création de musées et de mémoriaux qui doivent avoir aussi une utilité sociale et fonctionner comme des centres de la communautés de voisinage.
67En fait, la prééminence du corps réduit au silence, disparu et torturé est le fait saillant éclairant l’acte de témoigner. Elle met en évidence les aspects sociaux des témoignages faits par plus d’une victime. Après avoir étudié les commissions et les réparations sud-africaines, allemandes et marocaines, nous pouvons conclure que ce sera bientôt la tâche des historiens de décortiquer le passé, en commençant par traduire lesdits silences en une histoire accessible au public.
Susan Slyomovics,
Année du Maghreb, IV/2008.
68Traduit de l’anglais par Hammadi SAFI
Notes
1 Le 8 mai 1990, le roi Hassan II soulignera, dans son discours inaugural, que le CCDH marocain est presque une copie point par point de l’institution similaire française. Voir Mohammed-Jalal Essaid « Le Conseil consultatif des droits de l’Homme : représentations des courants politiques au sein du CCDH », in Driss Basri, Michel Rousset, et Georges Vedel, Le Maroc et les droits de l’Homme, ouvrage collectif, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 409-448. D’excellents travaux sur le mouvement des droits humains au Maroc ont été entrepris ; voir Susan E. Waltz, Human Rights and Reform : Changing the Face of North African Politics, Berkeley, University of California Press, 1995 ; Marguerite Rollinde, Le mouvement marocain des droits de l’Homme : entre consensus national et engagement citoyen, Paris, Karthala, 2002 ; Mohamed Karem, La notion des droits de l’Homme au Maghreb, Thèse de doctorat, Université d’Aix-Marseille, 1991 et Susan Slyomovics, The Performance of Human Rights in Morocco, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2005. Le texte final réorganisant le CCDH est publié dans le dahir n° 1-00-350 du 10/4/2001, publié dans le Bulletin Officiel n° 4926 du 16/8/2001.
2 Le nom officiel de la Commission d’arbitrage était Hay’at al-Tahkim al-Mustaqillah li-l-Ta’wid al-Mutarattib ‘an al-Dararin al-Maddi wa-al-Ma’nawi li-Dahaya wa-Ashab al-Huquq mi-man Ta’aradu li-l-Ikhtitaf wa-al-I’tiqal al-Ta’assufi. Voir « Création d’une commission d’arbitrage indépendante », Le Matin du Sahara et du Maghreb. 17/8/1999, p. 1. La date d’expiration du mandant de la commission a été fixée au 23 Ramadan 1420, article 13, Règlement intérieur de la Commission. Les premières auditions commencèrentle 11/11/1999.
3 Driss Benzekri, www.ArabicNews.com, 17/12/2002.
4 Voir le Rapport de l’IER en ligne sur son site au www.ier.ma. Les réparations sont abordées dans le troisième volume du Rapport final de décembre, disponible sur : http://www.ier.ma/_rapport_fr_article.php ?id_article =1432
5 Nations-Unies, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’Homme et de violations graves du droit international humanitaire, CN.4/2005/L.48 : L’indemnisation se rapporte à une compensation économique de tout dommage résultant de violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire. Ceci inclut le préjudice physique et psychologique ainsi que les dommages matériels et moraux. La réadaptation comporte une prise en charge médicale et psychologique ainsi que l’accès à des services juridiques et sociaux. La satisfaction comporte le cas échéant tout autre forme de réparation incluant des mesures efficaces visant à faire cesser des violations persistantes, la vérification des faits et la divulgation complète et publique de la vérité selon des procédures garantissant la protection des droits, la recherche des personnes disparues, l’assistance pour la récupération, l’identification et la ré-inhumation des corps conformément aux pratiques culturelles. La satisfaction comporte aussi une déclaration officielle ou une décision de justice rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit avec elle dans leur dignité, leur réputation et leurs droits publics ; des excuses publiques, notamment la reconnaissance des faits et l’acceptation de responsabilité ; des sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des personnes responsables des violations ; des commémorations et hommages aux victimes. Les garanties de non-répétition comportent des mesures qui contribuent à la prévention ; garantissent un contrôle efficace des forces armées et des forces de sécurité ; assurent que toutes les procédures civiles et militaires soient conformes aux normes internationales en matière de régularité de la procédure, d’équité et d’impartialité ; renforcent l’indépendance du pouvoir judiciaire ; protègent les défenseurs des droits de l’Homme ; encouragent l’observation de codes de conduite et de normes déontologiques, en particulier de normes internationales, par les fonctionnaires ; promeuvent des mécanismes pour prévenir, surveiller et résoudre les conflits sociaux et permettent de réexaminer et de réformer les lois favorisant ou permettant des violations flagrantes du droit international des droits de l’Homme et des violations graves du droit international humanitaire.
6 Priscilla Hayner, Unspeakable Truths : Facing the Challenge of Truth Commissions. New York, Routledge 2002, p. 171.
7 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Hachette, Coll. Pluriel, 2002.
8 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998 ; Ana Douglass et Thomas A. Vogler, « Introduction », in Witness and Memory : The Discourse of Trauma, ouvrage collectif. New York, Routledge, 2003, p. 1-53.
9 Norbert Frei, Adenauer’s Germany and the Nazi Past : The Politics of Amnesty and Integration, New York, Columbia University Press, 2002, p. xi-xv.
10 Une série complète de bandes vidéo de l’AMDH de témoignages venant à l’encontre des témoignages télévisés de l’IER est disponible au siège de l’AMDH à Rabat.
11 Elazar Barkan, The Guilt of Nations : Restitution and Negotiating Historical Injustices, Baltimore, MD, Johns Hopkins University Press, 2000 ; Tom Baker, « Blood Money, New Money and the Moral Economy of Tort Law in Action », Law and Society Review, vol. 35, no 2, 2001, p. 275-319.
12 Le cas d’Ahmed Chaouki Benyoub, qui explique sa requête pour le dirham symbolique dans son Hay’at al-Tahkim al-mustaqilla, Rabat, CDIFDH/2004, p. 335. Voir également Susan Slyomovics, « Reparations in Morocco : The Symbolic Dirham » in Barbara Rose Johnston and Susan Slyomovics (dir.), Waging War and Making Peace : The Anthropology of Reparations, ouvrage collectif, Walnut Creek, California, Left Coast Press, 2008.
13 Alex Boraine, A Country Unmasked, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 103.
14 Antjie Krog, Country of My Skull, Johannesburg : Random House, 1998, p. 42.
15 Voir Susan Slyomovics, The Performance of Human Rights in Morocco, et Slyomovics, « Morocco’s Truth and Justice Commission », Middle East/ MERIP Report, http://www.merip.org/mero/mero040405.html
16 Lawrence Weschler, A Miracle, A Universe : Settling Accounts with Torturers, New York, Pantheon, 1990, p. 243-245.
17 Jose Zalaquett, « Confronting Human Rights Violations Committed by Former Governments : Principles Applicable and Political Constraints », in Neil J. Kritz (dir.), Transitional Justice, Washington, D.C., United States Institute of Peace Press, 1995, p. 3-31.
18 Cathy Carruth, Unclaimed Experience : Trauma, Narrative and History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996. Voir également Susan Slyomovics, « The Argument from Silence : Morocco’s Truth Commission and Women Political Prisoners », Journal of Middle East Women Studies, vol. 1, no 3, 2005, p. 73-95.
19 Maria Charaf, Être au féminin, Casablanca, Éditions La Voie Démocratique, 1997, p. 73-74.
20 Deborah Posel, « The TRC Report : What Kind of History ? What Kind of Truth ? », in Deborah Posel and Graeme Simpson (dir.), Commissioning the Past : Understanding South Africa’s Truth and Reconciliation Commission, Johannesburg : Witwatersrand University Press, 2002, p. 147-172.
21 Pablo De Greiff (dir.), The Handbook of Reparation, New York, Oxford University Press, 2006, p. 13.
22 Tazmamart, une ancienne caserne militaire construite par les Français, transformée en un centre de détention secret, est située dans un coin reculé de la région sud-est du Maroc. Il s’agit du cas extrême de la terreur d’État, l’exemple vis-à-vis duquel tous les autres cas marocains de disparitions sont évalués. Pour les Marocains, les soldats disparus et confinés à Tazmamart, pendant 18 ans, illustrent la disparition la plus abjecte. En 1971, un groupe d’officiers et de soldats a tenté d’évincer le roi Hassan II, au Palais de Skhirat près de la capitale, mais a échoué. Les chefs du coup manqué ont été sommairement exécutés et 61 hommes, jugés et condamnés à des peines de prison allant d’un an à la prison à vie, ont été incarcérés dans la prison centrale de Kenitra. S’ensuit, en 1972, une deuxième tentative de coup d’État avortée, connue comme l’affaire du Boeing Royal, car la tentative de régicide devait se produire quand le roi prendrait son avion privé. Cinquante-huit hommes poursuivis dans les deux coups d’État ont été enlevés de la Prison centrale de Kenitra en 1973 et ont disparu jusqu’en 1991, selon Christine Daure-Serfaty, Tazmamart : Une prison de la mort au Maroc, Paris, Stock, 1992. À partir de 1995, les survivants de Tazmamart ont obtenu des pensions mensuelles de 5 000 dirhams (environ 500 $ US) de la part du gouvernement marocain. En 2000, pour marquer la visite au Maroc de Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’Homme, le Roi Mohamed VI accorda une indemnité forfaitaire supplémentaire d’un million de dirhams ou plus, versée d’un seul coup aux survivants de Tazmamart (voir le vol. 2 du Rapport de l’IER et la liste des noms des 30 personnes mortes à Tazmamart). Le cas de Tazmamart est important du point de vue de l’histoire des indemnisations des victimes par l’État au Maroc, bien que l’argent ait été accordé à des individus et à la discrétion royale. Les aspects de l’institutionnalisation des indemnisations financières ont été intégrés à ces allocations mensuelles garanties à vie aux victimes. Ces paiements impliquent la reconnaissance par l’État de son abus, car l’indemnisation devient une composante régularisée du budget de l’État. De plus, le statut des victimes, de coupables ou d’innocentes, est sans rapport avec ces paiements en espèces.
23 Truth Commissions : A Comparative Assessment. Cambridge, MA : World Peace Foundation, 1997, p. 15.
24 Pour une vue d’ensemble des problèmes et cas étudiés, voir Alison Brysk, « The Politics of Measurement : The Contested Count of the Disappeared in Argentina », Human Rights Quarterly, 16, 1994, p. 676-92.
25 Truth and Reconciliation Commission, Truth and Reconciliation Commission Report of South Africa, Johannesburg, Juta, 1998, 5 volumes.
26 Noté dans Fiona C. Ross, Bearing Witness : Women and the Truth and Reconciliation Commission in South Africa, Londres, Pluto Press, 2003, p. 23.
27 Voir Beth Goldblatt and Sheila Meintjes, « Gender and the Truth and Reconciliation Commission », disponible sur http://www.doj.gov.za/trc/submit/gender.htm, et Goldblatt et Meintjes, « Dealing with the Aftermath : Sexual Violence and the Truth and Reconciliation Commission », Agenda 36, 1998, p. 7-17 consultable au http://www.agenda.org.za/BETH.htm.
28 Albie Sachs, « Judges and Gender : The Constitutional Rights of Women in Post-Apartheid South Africa », Agenda 7, (1990), p. 1-11.
29 Fatema Mernissi, Sheherzade Goes West, 2001, p. 55.
30 Abdellatif Laabi, Le chemin des ordalies, 1982, p. 61.
31 Saida Menebhi, Poèmes, lettres, écrits de prison. Paris, Comité de lutte contre la répression au Maroc, 1978.
32 Fatna El Bouih, Hadith al-’atama, Casablanca, Le Fennec, 2001, p. 10 ; la traduction française faite par Francis Gouin a pour titre Une Femme nommée Rachid, Casablanca, Le Fennec, 2002, p. 12.
33 Voir deux pages où El Bouih parle des prisonnières politiques, « Ara ma la uridu », (J’ai vu ce que je ne voulais pas voir), Ittihad Ichtiraki, 5/11/1994, p. 5-6.
34 Entretien avec Fatna El Bouih, « This Time I Choose When to Leave », MERIP/Middle East Report, consultable sur http://www.merip.org/mer/mer218/218_bouih.html.
35 Fatna El Bouih, Une femme nommée Rachid, op. cit., p. 19.
36 Voir la section sur les définitions des atteintes aux droits de l’Homme in Marguerite Feitlowitz, A Lexicon of Terror : Argentina and the Legacies of Torture, Oxford : Oxford University Press, 1998, p. 51-62.
37 El Bouih, p. 16.
38 Widad Bouab, in El Bouih, Une femme, op. cit., p. 98. Le témoignage de Bouab, repris dans le livre de El Bouih, a fait l’objet au départ d’un article de journal, « al-Sijn alladhi kana maladhan ba’d ‘uzlati al-makhafir » (La prison qui était un refuge après l’isolement dans les centres secrets), Ittihad Ichtiraki, 5/11/1994, p. 5.
39 Aicha Alqoh, « Fatna El Bouih, « Ma prison à moi », Demain, n° 18, 7-21/7/2000, p. 48-49.
40 Latifa Jbabdi, in El Bouih, Une femme, op. cit., p. 105-6. Le témoignage de Jbabdi a été d’abord publié sous forme d’article, « al-Makhfar wa-al-ta’dhib wa-al-sijn wa-al-jalladun : shahadat Latifa Jbabdi », (le centre de police, la torture, la prison et les tortionnaires : témoignage de Latifa Jbabdi), Ittihad Ichtiraki, 5/11/1994, p. 6.
41 Il y a un seul cas signalé de détenue politique marocaine violée par un garde, et sauvagement agressée, devait-elle raconter. Le garde avait dit : « Tu n’es ni la première ni la dernière. Moi, je vais t’enseigner la libération ». L’histoire de ce viol a été rendue publique in Comités de lutte contre la répression au Maroc, « Textes de prison : à propos d’un viol », Bulletin 21, avril 1980, p. 10-11.
42 Entretien avec Fatna El Bouih, Casablanca, 3/10/1999. Voir aussi Fatna El Bouih, « Un sommeil court, peuplé de cauchemars », Le Journal , 5-11/6/1999, p. 8.
43 Entretien avec Widad Bouab et Maria Ezzaouini, Marrakech, 11 décembre 1999. Voir aussi Widad Bouab, « Fi Darb Mawlay Sharif » (À Derb Moulay Cherif), al-Ahdath al-Maghribiyah, 27/8/2001, p 4.
44 Entretien avec Fatna El Bouih, Casablanca, 3/10/1999.
45 Entretien cité in http://www.agenda.org.za/BETH.htm basé sur les troisième et dernière auditions spéciales, Johannesburg, 28-29/7/1997.
46 Latifa Jbabdi, in Fatna El Bouih, Une femme, op. cit., p. 108.
47 El Bouih, op. cit., p. 20.
48 Entretien avec El Bouih.
49 Latifa Jbabdi, in Fatna El Bouih, Une femme, op. cit., p. 116-17.
50 Entretien avec Hassan Elhasni Alaoui, Casablanca, 30/11/2003.
51 La littérature sur la torture et l’étude de cas de tortionnaires ne fait que croître. Voir par exemple, Martha K. Higgins, Mika Haritsos-Fatouros, and Philip G. Zimbardo, Violence Workers : Police Torturers and Murderers Reconstruct Brazilian Atrocities, Berkeley : University of California Press, 2002.
52 Ahmed Boukhari interviewé par Isabelle Broz de Radio France Internationale, 14/2/2000, disponible sur : http://www.radiofranceinternationale.fr.
53 Ahmed Boukhari, Le secret : Ben Barka et le Maroc : un ancien agent des services spéciaux parle, Paris, Michel Lafon, 2002, p. 91.
54 La réaction déconcertante des autorités chiliennes ressemble à celle des autorités marocaines face à la confession de Boukhari au sujet des corps des Marocains torturés se décomposant dans l’océan atlantique : Scilingo en Argentine et Boukhari au Maroc ont été arrêtés par leurs gouvernements respectifs en 1995 et 2001 et tous les deux ont été poursuivis pour émission de chèques sans provision. Voir Marguerite Feitlowitz, « The Scilingo Effect », in Marguerite Feitlowitz, op. cit., p. 193-255.
55 Karim Boukhari, « Tatouées par les années de plomb, » Telquel online, 2004 : http://www.telquel-online.com/166/zoom_166.shtml
56 John Beverley, « The Margin at the Center : On Testimonio (Testimonial Narrative) » Modern Fiction Studies 35, 1989, p. 14.
57 Daniel Gimaret, « Shahada », Encyclopédie de l’Islam (Leiden : E. J. Brill, vol. 9, 1998, p. 207. Gimaret note aussi que le terme renvoie à la profession de foi en Islam quand le croyant dit : « Il n’y a de dieu que Dieu, Muhammad est le Messager de Dieu ».
References
Bibliographical reference
Susan Slyomovics, “Témoignages, écrits et silences : l’Instance Équité et Réconciliation (IER) marocaine et la réparation”, L’Année du Maghreb, IV | 2008, 123-148.
Electronic reference
Susan Slyomovics, “Témoignages, écrits et silences : l’Instance Équité et Réconciliation (IER) marocaine et la réparation”, L’Année du Maghreb [Online], IV | 2008, Online since 01 October 2011, connection on 15 November 2024. URL: http://journals.openedition.org/anneemaghreb/435; DOI: https://doi.org/10.4000/anneemaghreb.435
This article is cited by
- Ben Hounet, Yazid. (2021) Crime and Compensation in North Africa. DOI: 10.1007/978-3-030-70906-8_6
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