Syndicats/gilets jaunes: comment trouver un dénominateur commun ?

Ce 6 février 2019, ATTAC Bruxelles 2 organisait sa conférence-débat mensuelle sur le thème « Gilets jaunes et syndicats : vers une convergence des luttes ? ». La salle, située à l’étage de l’Horloge du Sud à Ixelles, qui lors des réunions habituelles compte en général une vingtaine de participants était, ce jour, comble (75 personnes). Sous la présidence de Christine Pauporté, Jean-François Tamellini, Secrétaire fédéral de la FGTB et Stéphanie Servais, Gilet Jaune venue de Liège, ont échangé avec un public très motivé.

Jean-François Tamellini, louvoyant entre sa position officielle de cadre de la FGTB et son profil de syndicaliste engagé à gauche et habitué à ruer dans les brancards, a attesté de son intérêt et de sa sympathie pour la révolte spontanée de ceux qui se sont mobilisés avec des gilets jaune sur le dos. Mais il n’a pas caché qu’il était très difficile de faire « bouger » une structure aussi lourde qu’un puissant syndicat avec des règles établies depuis des décennies et avec des affiliés qui, majoritairement, n’acceptent d’arrêter le travail pour aller manifester en rue que s’ils reçoivent des indemnités de grève… Le repli sur des intérêts très corporatistes, l’individualisme, des attitudes influencées par la mentalité dominante du rejet de l’autre, de l’étranger… est un handicap que les plus motivés au sein du syndicat doivent combattre en permanence.

Stéphanie Servais, qui se présente comme une mère de deux enfants, exprime, elle, la révolte de ceux qui se sentent abandonnés de tous, politiques mais syndicats aussi. Au fil des échanges, on sent la méfiance réciproque se lever peu à peu. « N’êtes-vous pas que des suiveurs par rapport au mouvement né en France ? » « Non, dès le 15 novembre nous bloquions des dépôts de carburant. ». « Avant de convaincre les syndicats, il faudrait que vous preniez des positions clairement progressistes… ». « Il est vrai que nous accueillons tout le monde, quelle que soit leur origine, de classe ou de natinalité, mais nous excluons rapidement tous ceux qui ont des discours d’extrême droite ».

Les syndicalistes présents reprochent à leur direction la stratégie (perdante) du compromis avec le banc patronal, entamée en 2014 alors que la base était mobilisée et prête à se battre, ce qui n’est plus guère le cas après les reculs vécus depuis 5 ans, sous le gouvernement néolibéral qui a déséquilibré les négociations en prenant toujours le parti des patrons. Tamellini reconnaît que le syndicat ne parvient pas à trouver les méthodes, les modes d’action, qui lui permettaient de renverser un rapport de force très négatif. L’appel à la grève générale au finish ne trouve évidement aucun écho dans les rangs de travailleurs souvent pressurés de dettes et ayant un objectif prioritaire : garder un boulot stable alors que tant d’autres sont sans emploi ou survivent en passant d’un petit boulot au noir à un emploi précaire en contrat à durée déterminée.

Les quelques activistes présents (Rencontre des Continents, Acteurs des Temps Présents…) ont alors beau jeu de proposer que les syndicats se joignent à leurs actions désobéissantes (mais non violentes). Hélas, la timidité des structures syndicales, les règles démocratiques lourdes rendent difficile l’alliance des actions « commando » rapides et décentralisées des acteurs de terrain et la lourdeur des paquebots syndicaux aux décisions réfléchies et très peu radicales.

Christine Mahy du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), décidément présente sur tous les terrains le lutte, fait part de son expérience de relations avec les syndicats, positifs vis-à-vis des « pauvres » que son association organise et défend grâce à des actions de terrain plutôt désobéissantes, elles aussi. Mais au-delà de la présence de rares délégués des centrales syndicales thématiquement proches, des actions communes ne sont pas réellement possibles.

Les présents, partageant la volonté de créer la tant espérée « convergences des luttes », réfléchissent à ce que pourrait être le « tronc commun », le « dénominateur commun » comme le dit J.F. Tamellini, qui pourrait faire consensus et intérêt partagé entre tous ceux qui réalisent peu à peu qu’ils ont un seul et même adversaire, le capitalisme néolibéral, mais des cultures de combat, des manières de faire, des objectifs à court terme parfois très différents. Rencontrant (ce n’est certainement pas un hasard), la dynamique entamée par notre coopérative d’édition, la thématique de la justice fiscale et de les tranches d’impôts si favorables aux minorités financièrement privilégiées est notamment citée comme objectif qui pourrait rassembler.

Pour dépasser la difficile conciliation du lent agenda des forces syndicales et la spontanéité de ceux qui pensent que les solutions jailliront des combats de terrain, on se remémore ce qui a marché par le passé. Et il vrai que l’on peut observer dans la salle la présence de pas mal de ceux qui se retrouvaient pendant 3 ans au siège de la CGSP bruxelloise pour organiser le lutte contre les traités de libre-échange, TTIP et CETA. Là, ensemble malgré leur diversité, 102 organisations, avec la présence très active des syndicats, ont réussi à faire trembler l’Europe et à valoriser la Communauté Wallonie-Bruxelles, comme l’exemple de la résistance collective au mercantilisme dominateur.

La réunion s’est terminée dans un joyeux brouhaha : échanges d’adresses, d’idées, de sentiments, avec déjà des rendez-vous où beaucoup espèrent se retrouver : la grande action de grève des syndicats du 13 février, l’action climat des jeunes et des étudiants du 14 février, une prochaine conférence d’Etienne Chouard[1], le défenseur du RIC (Referendum d’Initiative citoyenne)… et tant d’initiatives encore à naître au cours de ce début de printemps qui promet d’être chaud, très chaud…

Et si vous avez le temps et l’envie de vraiment tout savoir, vous pouvez visionnez la vidéo des 2 heures de la soirée, déjà en ligne.

Alain Adriaens


[1] 17 mars, 14h00, ULB, Campus du Solbosch, salle UD2.218A.