chronique j’abordais le problème global principal concernant l’illusion largement entretenue et reconduite dans la pensée économique néolibérale dominante : la folle et chimérique croyance en une possible « croissance économique illimitée » pour tous en notre planète. J’y ai notamment établi le fait que sans cette idée de croissance infinie, tout le système théorique (et pratique) de la pensée économique néo-classique-néo-libérale dominante s’écroulerait inexorablement. Dès la 25
, j’annonçais comment, pour se sortir de la crise endémique grave dans laquelle se trouve notre monde depuis au moins 2007-2008, il fallait impérativement revoir non pas juste nos procédures, techniques, modes opératoires… en matière d’économie (et gestion), mais bel et bien l’ensemble de l’édifice conceptuel construit depuis près de 2 siècles autour des idées dominantes en économie et donc en gestion. Il convient désormais, annonçais-je, de radicalement changer de mode de raisonnement et de pensée globale ; autrement dit radicalement changer de paradigme. J’y exposais également quelques raisons d’avoir à analyser un peu plus sérieusement et en profondeur, si le fait de se donner comme projet de société (mondialisée de surcroît !) le règne total et omnipotent du « Dieu Marché » était la chose la plus souhaitable pour les humains et pour la planète. Ainsi que quelques interrogations quant aux portées réelles des gigantesques dégâts (déjà largement incommensurables, irrattrapables en en progression quasi exponentielle) infligés jusque-là à nous et à notre Terre : en mesure-t-on, ne serait qu’une approximation, des portées immédiates et des conséquences encourues plus tard et à venir ?
Et enfin et non des moindres j’exposais moult interrogations quant à nos capacités à continuer à utiliser les mêmes instruments et mesures-indicateurs, dudit développement et du dit bien être général ? Autrement dit
, de quoi nous parlent vraiment les sacro-saints Produit National Brut (PNB), Produit Intérieur Brut (PIB), Excédents (commerciaux, de balances, de budget…), Déficits, Surplus, productivité, Efficacité… et aussi bien entendu Croissance, « Progrès »… Dettes, Ratios d’endettement, etc. ?
J’ai également, bien sûr et comme il se doit, évoqué des possibles solutions et mesures plus ou moins immédiates à prendre telle par exemple que la mise en arrêt de la croissance maximale tous azimuts. On m’a immédiatement reproché– à juste titre, mais on verra qu’il y a bien des « bémols » – d’ainsi condamner les moins nantis à stagner, ou pire à régresser. Lorsque j’aborderai plus loin les « pistes de solutions », on trouvera réponse à cet argument qui semble a priori tout à fait justifié, ainsi qu’à plusieurs autres objections.
Il est désormais plus que clair et évident que nous sommes en plein sous les effets de ce que j’ai analysé dans mon livre La stratégie de l’autruche, sous les concepts de « phase de surexploitation insoutenable », « baisse tendancielle des taux de profits » et « paupérisation mondiale générale ».[3] Or ces concepts appartiennent à un paradigme économique remontant (déjà) aux « classiques » (débuts du XIXème siècle), et particulièrement aux travaux de Karl Marx. Inutile de dire qu’ils sont aussi ignorés que non enseignés et frappés d’anathème depuis l’avènement du triomphe moderne et sans partage de la pensée économique néo-classique[4], issue des travaux de Léon Walras et la dite École de Lausanne qui a inauguré, lui, l’avènement d’une des plus grandes tares de l’analyse économique « moderne » et qui a enfanté plus tard de ce que l’on dénomme aujourd’hui « néolibéralisme » : la sur-mathématisation des théories et des raisonnements en économie[5].
Omar Dr Aktouf, PhD
[1] Je sais que j’ai déjà traité sous plusieurs autres angles de ces notions, mais, hélas !, les formes sous lesquelles celles-ci peuvent être nocives, relève presque de l’infini ! Raison pour laquelle j’en parle et en parlerai encore.
[2] Le lecteur comprendra que, évidemment, ce dont je parle ici ne saurait être traité en quelques chroniques. Bien des « suites » viendront compléter l’analyse et la déconstruction de chacune de ces notions.
[3] Sans avoir à citer de chiffres ou de statistiques, il suffit que chacune et chacun regarde autour de soi, où qu’elle ou il se trouve, pour bien voir que pratiquement tout se dégrade continuellement partout. De plus ces notions, leurs analyses et leurs effets seront discutés et exposés dans une prochaine chronique.
[4] Notamment avec lesdits « nouveaux philosophes » français qui ont tué leurs « pères » Sartre et Marx, puis les débuts de l’asphyxie des pays de l’Est, notamment avec la liquidation du Mouvement de non-alignés et de l’intensification de la guerre froide.
[5] Je traite de cet aspect de choses en économie dans plusieurs de mes chroniques précédentes et il en sera traité encore dans d’autres à venir, tant les ravages causés dans les théories et dans les pratiques en économie-management sont considérables.
[6] Chose à laquelle nous aurons également à consacrer une prochaine chronique plus détaillée.
[7] Notamment bien entendu à l’encontre de Marx, mais aussi de Smith et quelque peu de Ricardo et même Stuart-Mill.
[8] J’en ai déjà traité, mais je rappelle ici qu’il s’agit de la somme du travail dit « social » intégrée dans la production d’un bien ou un service qui, pour les classiques, détermine la valeur.
[9] C’est notamment Marx qui associait l’idée de dégradation combinée et simultanée des conditions du travail et de la Terre pour que le capital se renforce et se multiplie. Notamment à travers cette fameuse phrase du Livre 1 du Capital : Si bien que le capitalisme ne se développe « qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la Terre et le travailleur. » (Le Capital, livre 1, Éd. Sociales, p. 565-567).
[10] Imposé, comme je l’explique plus amplement dans une précédente chronique, par un certain Louis Ruchonnet ex- président de la Confédération suisse et alors président du Canton de Vaud, à Léon Walras lors de création de l’Université de Lausanne où, notamment, il voulait que l’économie devint une « sciences » parlant de « vérités » comme les sciences dites dures ou exactes, afin de rompre avec les analyses philosophiques, anthropologiques, sociales, politiques et éthiques dont avaient coutume les classiques.
[11] Plus exactement Éléments d’économie politique pure, publié pour la première fois (et première version) en 1874.
[12]Voici ce qu’en dit l’encyclopédie Wikipédia (mais nous allons voir aussi qu’après l’avènement de ladite « mondialisation », un certain glissement et une nuance d’importance vont apparaître avec l’usage presque exclusif di PIB plutôt que du PNB). De manière ironique, c’est justement pour mesurer les effets des crises que le PIB a été créé. Si des outils de mesures de l’économie ont été imaginés depuis des siècles, le Produit intérieur brut (ou le produit national brut, PNB) a été adopté il y a moins d’un siècle, tout d’abord aux États-Unis. Au début des années 30, les États-Unis sont à la recherche d’un indicateur pour mesurer les effets de la grande dépression économique suite au krash de 1929. Le Congrès fit appel à l’économiste Simon Kuznets (futur Prix Nobel d’économie en 1971). Indicateur mondialisé depuis Bretton Woods, il créera un agrégat de données économiques qui, retravaillé par John Keynes, donnera naissance au fameux PIB. Il sera employé à partir de 1932 dans le pays devenant peu à peu l’alpha et l’oméga de l’économie. À partir des accords de Bretton Woods, en 1944 qui donnent naissance au système monétaire d’après-guerre, le PIB est progressivement adopté par le monde entier. En France, cette mesure s’appliquera à partir 1949. Au cours de son histoire, le PIB a été critiqué, car ne mesurant que des données économiques sans considération pour les ressources environnementales d’un pays ou sa cohésion sociale. D’autres indicateurs ont émergé avec plus ou moins d’influence. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a ainsi poussé l’Indice de développement humain, imaginé en 1990. Il réunit PIB, espérance de vie et l’éducation. Un classement actuellement dominé par la Norvège.
[13] Celui-ci prit plus de galons avec la mondialisation puisqu’il permet de laisser croire que les bénéfices réalisés par les multinationales et opérateurs étrangers sont le fruit des efforts économiques internes et de surcroît en hausse (bien entendu grâce la mondialisation) du fait que ces « bénéfices » n’en sont pas soustraits comme dans le calcul du PNB.
[14] Bien entendu, ce n’est pas le lieu ici de faire quelque exposé que ce soit de ces critiques (ce sera fait dans une chronique ultérieure), mais pour les intéressés, je les réfère à certains travaux de Wassily Léontiev, de Kuznets lui-même, des tiers-mondistes tels que S. Amin, Gunder-Franck, C. Bettelheim, R. Cailloix, C. Furtado, Manfred Max-Neef, Eric Hobsbawn… jusque des contemporains comme J. Stiglitz, R. Reich, P. Gukgman, H. Braverman, J. Généreux, D. Méda… et tout particulièrement à un numéro spécial de la Atlantic Monthly Review début des années 1990, un récent rapport rendu au Président Sarkozy (demandé en 2008), Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, Professeur Joseph E. STIGLITZ, président de la Commission, Columbia University Professeur Amartya SEN, conseiller de la Commission, Harvard University Professeur Jean-Paul FITOUSSI, coordinateur de la Commission, IEP.
[15] Comme ce n’est point-là le sujet principal de la présente chronique, c’est donc dire que j’y reviendrai, et en détail, dans une prochaine sinon plusieurs autres prochaines chroniques.
[16] Bien entendu ce trait est ici loin d’être une simple affirmation « en passant » et encore moins gratuite. Tout cela largement exposé et étayé lors de chroniques à venir.
[17] Ces adeptes des simplistes théories néolibérales s’y accrochent d’autant plus qu’
- ils n’ont pour l’immense majorité, jamais étudié autre chose ;
- ces pseudo-connaissances tellement aisées à diffuser avec succès et notoriété leur tienne lieu de supports de ce qui constitue jusque leur être, leur vie intérieure, leur identité… Ils n’en réagissent qu’avec plus de férocité et d’intolérance dès la moindre « attaque » à leurs « croyances-idéal du moi» (voir à ce sujet des travaux de H. Laborit, B. Sievers, E. Becker, E. Benvéniste…).
[18] On reviendra, évidemment, sur cette importantissime question prochainement.
[19] Où, pour la petite histoire, je rappelle que, après avoir même de songer à me recruter tant on m’avait collé l’étiquette « communiste critique sans solutions » après particulièrement la teneur de ma thèse, analysant « la condition ouvrière à la fin du XXème siècle) et mes premiers écrits « critiques ». C’est HEC Montréal qui est venue me chercher et proposer un poste permanent… pour, sans faux-fuyants, les aider à opérer un sauvetage en règle du contenu de l’ensemble de leurs cours de management dont les étudiants étaient lassés et dont les évaluations coulaient à pic ! D’où la sortie de mon best-seller (obligatoire dans tous les programmes de sa sortie en 1987-88 à 2020, avec 5 éditions successives), Le Management entre tradition et renouvellement.
[20] Mais aussi, il faut le dire du lobbying des milieux d’affaires effrayés de voir sortir de HEC Montréal des cohortes de jeunes diplômés désabusés des méthodes « à l’américaine » et prônant une gestion « renouvelée » de type de ce que l’on dénomme aujourd’hui « entreprise libérée » (nouvelles théories largement inspirées de mes travaux sur la célèbre multinationale Cascades, sur la fameuse entreprise brésilienne révolutionnaire de Ricardo Semler Semco, sur les résultats de mes collaborations avec les agences de développement internationales allemandes, de « changements de cultures » de pétrolières, de groupes financiers…
[21] Grâce au brandissement « imparable » d’un ou deux arguments massue :
- je ne suis pas « occidental » ni issu d’une éducation occidentale, donc de capacités intellectuelles discutables ;
- j’ai vite, depuis mon doctorat du Canada conduit (pour la phase étude de terrain) en me faisant embaucher comme ouvrier balayeur pour élaborer une thèse du « point de vue des travailleurs» étiqueté « communiste », donc d’orientation intellectuelle faussée, nulle et non avenue !
[22] Ce trait est vraiment loin d’être gratuit ou anodin ! Il convient de savoir (et cela s’explique aussi, notamment par la théorie de la construction des faux selfs, ou celle de la nécessité de combler l’insupportable vacuité d’une vie intérieure rabougrie ou absente – on y reviendra) que bien de collègues, bons Québécois, et parfois Français, qui revenaient de parfois seulement quelques mois de formation (Séminaires, ou Master ou DBA, les PhD en nos domaines étaient alors rares) se mettaient à s’exprimer avec un bien audible – même si sonnant faux – accent américain ! Sans compter le nombre de fois où ils faisaient usage de termes anglais, alors qu’un équivalent français existait parfaitement. C’est proprement une construction d’identité, ou à tout le moins d’identification sûrement aliénée, sinon névrotique.
[23] À la suite, notamment, des travaux de Max Weber (Économie et Société T.1), et accessoirement de Sombart et de Marx (on peut en avoir un aperçu dans La Stratégie de l’autruche). Sujet sur lequel je consacrerai une prochaine chronique bien sûr.
[24] Presque systématiquement devoir travailler à temps plein, s’occuper d’une famille (bien entendu « élargie »), étudier avec un ultra minimum de revues, de livres…
[25] Il songeait également à intégrer l’immense question de la corruption (sous ses dimensions locales et internationales, d’effets de lobbies…), celle des évasions fiscales…, mais il fut freiné en ces matières par, non seulement l’énorme complexité (et opacité) à y affronter, mais aussi par les membres du comité local qui trouvaient que cela était non seulement osé mais dangereux (sic !).
[26] Je rappelle qu’il était aussi professeur en Université depuis plusieurs années.