Se libérer de l’imaginaire capitaliste ?

Entretien avec Isabelle Stengers

L’entretien que nous reprenons ici est une retranscription relue et remaniée par Isabelle Stengers d’un échange avec Naïm Kharraz intitulé « Se libérer de l’imaginaire capitaliste ? », réalisé par l’atelier des droits sociaux dans le cadre de la passionnante série de rencontres « Covid-19/ Le monde demain : (r)évolution ou régression sociale ? », avec différents acteurs et actrices actifs sur les terrains sociaux ou spécialistes de différents secteurs au sujet des conséquences et ce qu’ils ont observé lors de la première vague. Vous pouvez retrouver la vidéo de l’échange complet sur https://www.youtube.com/watch?v=WTHVqvH2Bvg

La version écrite a été publiée dans le magazine Agir par la culture N°63 – Hiver 2020-21, publication politique et culturelle de Présence et action culturelle (PAC).

Nous remercions toutes ces personnes et organisations d’avoir autorisé la reprise de ce passionnant texte.

 

Naïm Kharraz : Durant le confinement, toute une série de personnes ont été oubliées. On peut citer les travailleur∙euse∙s du sexe, les SDF, les migrant·e∙s… Est-ce que cet oubli est volontaire ? Est-il le fruit d’une idéologie ? Ou bien est-ce que cet oubli est inévitable dans toutes sociétés organisées comme les nôtres ?

Ce confinement doit être compris à partir d’une réaction de panique
Isabelle Stengers : Je ne crois pas du tout que ce soit une question liée à une société qui rendrait quoi que ce soit inévitable. Il y a beaucoup de manières de faire société. Ce qu’on a fait à nos vieux par exemple, sous prétexte qu’ils étaient vulnérables, serait totalement inconcevable dans des sociétés plus traditionnelles, où on respecte les vieux. Et les respecter ce n’est pas les enfermer. Mais je pense en tout cas que le mot « oubli » est le bon parce que ce confinement doit être compris à partir d’une réaction de panique. Et quand il y a panique, on oublie plein de choses ! On réagit sous le coup d’une urgence qui empêche de penser. Cette panique qui nous a pris nous a guidés dans une situation, qui a évidemment accentué toutes les inégalités sociales, tous les rapports de force… Au fond, je crois qu’on a vu une indifférence à tout ce qui n’était pas lié au maintien de l’ordre public. Et l’ordre public, on a su qu’il allait être dévasté si tout le système sanitaire était débordé. Donc les vulnérables, c’était avant tout ceux qui menaçaient de fabriquer le scandale d’un système sanitaire – fierté d’un pays développé – qui craque. On n’a pas voulu ça. Le reste, ce sont des conséquences. Et je pense par ailleurs qu’il ne faut pas trop parler de choix délibéré, c’est faire trop d’honneurs à ce qu’a été cette situation.

En termes d’intentionnalité, est-ce que pour des raisons politiques, et peut-être électorales, certaines catégories de la population sont déconsidérées, ont été peu prises en compte ? On citait les SDF ou des gens qui n’existent pour ainsi dire pas pour le politique.