Revoir le modèle d’accueil à Bruxelles : la leçon ukrainienne

Le logiciel migratoire est-il immuable ? Les « crises de l’accueil » se succèdent à Bruxelles. Mais, les décideur·euse·s politiques belges et européens semblent, de manière persistante, vouloir miser sur des mécanismes de dissuasion à l’encontre des migrant·e·s… L’accueil qui a été réservé aux Ukrainien·ne·s nous montre pourtant que d’autres fonctionnements sont possibles. Plusieurs leçons peuvent en être tirées, en particulier à Bruxelles.

Depuis l’été 2015, des « crises de l’accueil » se succèdent à Bruxelles, au gré des flux migratoires, du désinvestissement progressif dans le dispositif fédéral d’hébergement et d’un traitement engorgé des demandes d’asile. La dissuasion migratoire est devenue la priorité, au détriment du respect du droit à l’asile. En 2022, plus de 5 000 demandeurs.euses d’asile sans-abris ont ainsi saisi en extrême urgence le Tribunal du travail de Bruxelles pour faire reconnaître leur droit à un hébergement dans un centre d’accueil et obtenu gain de cause1. Un jugement du 7 juin 2022 questionnait la mise en place par le gouvernement d’une « pratique délibérée, concertée et persistante » de non attribution du droit à l’accueil(2). Ces éléments ont d’ailleurs été appuyés par la Cour européenne des droits de l’homme qui a signifié à la Belgique l’obligation de fournir l’hébergement et l’aide matérielle prévus dans la loi belge aux 148 requérants qui l’avaient saisie(3).

Ces considérations nous donnent à penser que les politiques publiques en matière d’immigration constituent un cas exceptionnel dans le paysage belge. En effet, si les politiques économiques, éducatives ou culturelles évoluent au gré des alternances politiques – un changement de majorité y étant ainsi synonyme d’une réévaluation des priorités et de révision des instruments mis en œuvre –, il en va différemment en matière d’immigration. De nécessité économique pendant les Trente Glorieuses, l’immigration a fini par être considérée à partir des années 1980 comme une charge sociale et un problème politique(4). La mise en place par les pouvoirs publics d’une série de mécanismes visant à dissuader les migrant·e·s de venir et de poursuivre un projet de vie en Belgique se fera au détriment des politiques d’accueil et d’intégration.

Dès lors, pendant 40 ans, et quelles que soient les majorités au pouvoir, les fondamentaux de cette approche demeureront largement inchangés – la seule évolution notable étant que sa logique s’est vue radicalisée sous la pression du poids électoral croissant de l’extrême droite. Si la dissuasion reste l’objectif prioritaire des politiques publiques migratoires, les instruments employés pour atteindre ce but s’embarrassent de moins en moins de leur adéquation au respect des droits fondamentaux des migrant·e·s et intègrent progressivement des pratiques coercitives(5). Au niveau européen, l’inefficacité et l’échec moral des politiques migratoires sont également mis en lumière par des rapports faisant état de la disproportionnalité des nombreux coûts financiers et humains qu’implique la dissuasion de la mobilité intraeuropéenne(6) et par des évènements tels que l’incendie du campement de Moria en 2020, où se trouvaient entassé·e·s plus de 12 000 demandeur·euse·s d’asile(7). Mais rien n’y fait. Les différents gouvernements belges comme les décideur·euse·s européen·ne·s se sont accrochés au logiciel répressif et l’ont systématiquement présenté comme la seule réponse pragmatique possible(8).