On le redoute : l’interdiction de voyager pour des motifs de loisirs lors des vacances scolaires de carnaval va relancer les reportages télévisés sur les stations de ski. Nous allons revoir les remontées mécaniques immobiles et entende les plaintes des gestionnaires de ces lieux, une profession durement touchée, comme bien d’autres…
Mais, ces longues minutes consacrées à ce sujet sont-elles vraiment justifiées. Selon certaines sources, le nombre de Belges qui vont faire du ski est extrêmement réduit, moins de 1% de la population… Certes, ce sont des catégories privilégiées qui peuvent d’adonner aux joies des sports d’hiver, mais faut-il, comme ce fut le cas lors de la période des fins d’années, consacrer tant de commentaires à un type de loisir, à la fois condamné et condamnable.
Condamné, car, de toutes les façons, comme nous le verrons dans la tribune que nous relayons ici dessous, le changement climatique va rendre extrêmement difficile la pratique du ski alpin dans la plupart des stations, situées à des altitudes où la neige naturelle deviendra rare et en de très courtes périodes.
Condamnable, car la plupart des stations de sport d’hiver sont des constructions artificielles, en général très récentes, où une architecture urbaine s’est plaquée sur des vallées ou des flancs de montagnes auparavant paisibles. Pour le plaisir de quelques milliers de vacanciers pendant 2 ou 3 mois, on a « buldozérisé » les pentes, on a dynamité les rochers gênants, on a planté des centaines de pylônes soutenant les remonte-pentes, on a rasé des pans entiers de forêts… Les vrais amoureux des montagnes, qui la fréquentent durant quatre saisons, fuient d’ailleurs ces endroits où les paysages sont défigurés, où les prairies et pelouses d’alpages font place à de la caillasse là où se sont ébattus les skieurs…
Les montagnes sont en Europe les endroits où se réfugie encore un peu de nature faiblement artificialisée par l’homme. Elles sont, comme le disent les promoteurs de la tribune Pour vivre en harmonie avec la montagne, des lieux merveilleux pour que les humains fatigués des « villes de grande solitude », épuisés par le turbin imposé par le productivisme, puissent se rebrancher sur leurs racines oubliées et penser et agir avec la nature[1].
Ce sont non seulement les vacances[2] de sport d’hiver qu’il faudra repenser en profondeur, mais toute l’industrie du tourisme de masse qui, économies d’énergie obligent, devra se réorienter vers des destinations bien moins lointaines et moins exotiques. D’ailleurs, une des rares conséquences un peu positive des confinements est la redécouverte par beaucoup des environnements naturels ; si proches et si beaux quand ils ne sont pas abîmés par la folie des hommes.
En ces moments de pandémie, notre coopérative de presse est plus que jamais sous pression financière.
Et pourtant, jamais il n’aura été si urgent d’informer autrement,
pour mettre un terme aux politiques actuelles et explorer ensemble les possibles.
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Mais ce sont là vastes réflexions sur lesquelles il nous faudra revenir. Pour l’instant, contentons-nous des propositions alléchantes et très sensées que nous font les membres du Collectif pour une montagne en transition. Ces connaisseurs nous font rêver d’une montagne redevenue à la fois plus sauvage et plus humaine. Vous pouvez soutenir cette belle initiative en allant cosigner leur tribune.
Collectif pour une montagne en transition
La montagne est une sentinelle du climat. On y voit plus tôt qu’ailleurs les effets des changements climatiques, elle nous impose de réagir. Quand les glaciers disparaissent, quand les crues détruisent des villages, des vallées, quand les stations de basse altitude dépourvues de neige déroulent de tristes serpents boueux en guise de pistes de ski, quand des pans de montagne s’effondrent de plus en plus fréquemment, la montagne nous rappelle que les humains ne gagnent pas contre la nature.
Face à cette injonction impérieuse, nous avons le choix entre deux attitudes :
S’obstiner : la fuite en avant le plus longtemps possible pour s’accrocher au monde d’avant, avant les +2°C, +4°C [par rapport à l’ère préindustrielle]. Fabriquer une neige artificielle à grands coups de canons, rendant toujours plus chère la pratique du ski et du snowboard; sacrifier le rêve d’une montagne accessible au plus grand nombre et populaire, qui a fait rêver nos parents et grands-parents ; s’obstiner à investir dans cette neige artificielle qui déçoit les visiteurs et les amoureux et amoureuses des sports d’hiver ; s’obstiner à dynamiter la montagne pour proposer de nouvelles pistes, en fuyant vers le haut pour attirer un public plus aisé et plus restreint à qui on suggère que plus les forfaits sont chers, meilleure sera la glisse ! S’obstiner à créer toujours plus de retenues qui modifient la ressource en eau, alors même que nos montagnes sont particulièrement sensibles au risque de manquer d’eau ; pour finalement se heurter tout de même au mur du réchauffement climatique. Au-dessus de 0°C, même les canons ne crachent plus de neige.
Cette attitude est une attitude de privilégiés : l’association France Montagnes compte plus de 300 stations en France. Une vingtaine seulement peut espérer maintenir la pratique actuelle du sport d’hiver à long terme.
Ou alors on peut s’adapter. On peut continuer à utiliser les infrastructures existantes le temps d’inventer d’autres pratiques, le temps de réapprendre à aimer la montagne pour ce qu’elle est : un espace naturel fantastique, avec de la neige pour glisser, mais pas uniquement et pas partout. Utiliser ces infrastructures pour faire autre chose que du sport d’hiver. De la neige toujours, en haute montagne, des paysages beaux et hostiles, qu’un siècle de conquête de la montagne a par endroits transformé, artificialisé, bétonné, avant que l’on comprenne aujourd’hui qu’on ne vient pas chercher en montagne le béton des villes. Ce temps est révolu et nous n’allons pas nous accrocher aux folies du passé. Nous nous appuierons sur l’existant pour retrouver cette montagne pour toutes et tous, sa neige, ses paysages, ses rivières, ses lacs, ses falaises. Territoires diversifiés pour des activités de nature et pas seulement pour « la glisse ».
Entendons-nous bien : nous ne voulons pas renoncer à glisser en hiver, ce surprenant moyen de se déplacer, de faire corps avec la neige, avec la montagne. Nous souhaitons simplement arrêter de détruire cet environnement si fragile, ne plus « fabriquer » une montagne qui dépend de cette mono-activité. Nous continuerons à glisser quand la neige est là et là où est la neige, en essayant d’avoir le moins d’effets possible sur la nature.
Alors que proposons-nous ?
Nous proposons de permettre aux classes moyennes et populaires de profiter de la montagne en soutenant les centres de vacances, des transports en commun et navettes au départ de villes proches pour profiter d’une journée de sport d’hiver ou de promenade en montagne, et pas seulement l’hiver ! Nous voulons développer des activités, hiver ou non, au faibles conséquences environnementales, avec les guides de haute montagne, les accompagnateurs et moniteurs indépendants qui peuvent jouer un rôle pédagogique important : ski de fond, ski de randonnée, balade en raquette, éducation à l’environnement, photo nature, découverte des fermes d’élevage en moyenne montagne, du patrimoine, des ateliers d’artisans, de la richesse du vivant aussi.
Nous proposons de transformer les stations de ski en stations de montagne et permettre à toutes et tous de profiter de la montagne, en créant des emplois diversifiés à l’année, car la montagne peut être attractive toute l’année. L’hiver avec la neige, le printemps avec la découverte de la biodiversité, les sports de nature (kayak, escalade, randonnée…) l’été pour échapper aux canicules, et l’automne pour visiter le patrimoine, historique, industriel et parcourir les forêts.
Nous proposons d’orienter cette diversification pour permettre de créer des emplois pérennes, sans abandonner les sports d’hiver, et développer les offres de tourisme diffus pour faire connaître d’autres pépites qui échappent à la surfréquentation des stations.
Nous proposons de soutenir les AOP[1] dans nos montagnes, un élevage et une agriculture de qualité, bio. De favoriser l’installation des nouveaux agriculteurs, agricultrices, éleveurs et éleveuses en favorisant l’accès au foncier pour les jeunes et diversifier ces activités. Soutenir une agriculture paysanne durable, adaptée aux écosystèmes montagnards. Ces activités sont indissociables de la beauté de la montagne, elles sont à l’origine d’une partie des paysages. Nous souhaitons utiliser les PNR comme moteurs et exemples d’une nouvelle manière de concilier l’humain et le reste du vivant.
La sobriété et la résilience : pas de travaux pour de nouvelles pistes, pas d’extension des domaines skiables, pas de nouvelles remontées mécaniques ni de canons à neige, pas de nouvelle retenue collinaire. Nous souhaitons rénover les anciennes, proposer des liaisons plus propres avec les vallées, faciliter l’accès des stations et villages de montagne au plus grand nombre avec des modes de transport les moins carbonés possibles.
La montagne est un milieu fragile, un milieu naturel, qu’il nous faut préserver. La montagne agit fortement sur nos imaginaires, parce que nous nous y sentons en prise directe avec la nature : la neige, les rivières, les roches, les sommets… C’est autour de cela que nous construirons la transition des stations et nous savons que ce chemin est le bon. La montagne au-delà du tout ski/glisse, c’est possible, sans trahir l’histoire de nos vallées et de nos sommets, en corrigeant les erreurs du XXe siècle pour mettre en place une économie solide qui nous projette sur le long terme.
[1] Titre de l’ouvrage de référence qui fait le point sur ce que pourraient, devraient être les relations entre humains et nature, en un juste milieu : ni vie artificielle coupée du milieu qui nous a vu naître, ni fantasme de la wilderness, cette nature vierge et pure qui n’existe quasi plus nulle part sur Terre. Raphaël Larrère, Catherine Larrère, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique. Éditions La Découverte, 2015, 12,5€.
[2] Du latin vacare, « être vide », et non pas rempli des obligations que suscite le « toujours plus » du tourisme de masse.
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