Carte blanche
Côté francophone, cette pénurie s’éternise. En 2001, déjà, dans Les Cahiers Marxistes, je soulignais que « cette pénurie est le symptôme d’une maladie qui gangrène la Communauté française depuis des années et qui touche l’ensemble de ce qu’on appelle communément les métiers du cœur ».
Nous revoilà donc 23 ans plus tard et rien n’a vraiment changé. En fait, et c’est ma conviction, le métier de prof est en crise d’image.
Pénurie d’enseignants : la faute à une crise d’image de la profession
C’est en 1990 que cette crise d’image s’exprime significativement au travers de 5 mois de grève quasi ininterrompue, 70 manifestations dont la dernière réunira quelque 100 000 personnes à Bruxelles. Et des faits de violence: dégradation de la Maison communale de Ath, fief de Guy SPITAELS alors président du PS, heurts avec la gendarmerie à Verviers et Dison, chez Yvan YLIEFF, alors ministre ayant en charge l’Enseignement, heurts qui firent 4 blessés.
Comment les profs en sont-ils arrivés « à casser leur image », pour reprendre l’expression même de Yvan YLIEFF? Tout simplement, écrivais-je alors – et cette réflexion est toujours bien d’actualité- parce qu’il n’y a plus d’image de prof. Roland SOYEURT, dans Chagrin de profs (Didier Hatier 1990) était plus explicite encore : «Le maître a perdu son pouvoir. Il n’inspire plus le respect. Le maître est comme tout le monde. Il a fait des études comme tout le monde, même souvent beaucoup moins. Et par malheur, il s’occupe de ce que tout le monde croit connaître: l’éducation des jeunes… Par conséquent, pour enseigner, il n’y a qu’à…»
De l’histoire ancienne ? Non, pas vraiment. Même si, aujourd’hui, les profs qui ont vécu ces événements doivent se compter sur les cinq doigts de la main. Depuis, par médias interposés, avec des titres comme «enseignants» voire parfois «profs payés à ne rien faire», on ne peut pas dire que l’on s’est attelés à restaurer un tant soit peu cette image.
Le prof est souvent vu comme un glandeur
Une autre image négative : celle donnée aux jeunes, des jeunes difficiles, violents parfois. Ainsi dans La Libre du 18 février 2022 peut-on lire ceci dans une contribution externe de Alice ARTS, membre de l’Étincelle, un kot-à-projet néo-louvaniste centré sur le journalisme et dont La Libre Etudiant est partenaire: Pour Léa, la cause du désintérêt pour la profession serait simple : « Le métier d’enseignant est victime des discours, pas vraiment justifiés, que formulent nos aînés à propos de la jeunesse. » Valentine rejoint son avis: « Je dirais que le fait d’entendre de plus en plus fréquemment des enseignants se plaindre des élèves, d’une génération difficile, n’aide pas à avoir une vision très positive du métier ».
Le métier d’enseignant est victime des discours, pas vraiment justifiés, que formulent nos aînés à propos de la jeunesse.
Pénurie d’enseignants: la faute aux médias ?
Les médias ont donc tendance à mettre en avant ce qui ne fonctionne pas ou fonctionne mal plutôt que les expériences positives. Et je ne doute pas qu’il y en ait beaucoup. Lutter contre une image négative est, on l’aura compris, compliqué.
En conclusion toute provisoire, il me semble qu’il faille s’inscrire loyalement dans la dynamique du Pacte. Loyalement, c’est-à-dire sans volonté dans le chef de certains pouvoirs organisateurs et directions d’en faire une nouvelle arme de pouvoir par rapport à leurs personnels. Loyalement, c’est-à-dire sans en faire dans le chef de certains membres du personnel un nouveau prétexte à râler et à freiner des quatre fers.
S’inscrire dans la dynamique du Pacte devrait, à terme, mettre à mal les aspects négatifs de la profession qui existent bel et bien et qu’il serait naïf d’ignorer et redonner du sens au fait d’enseigner, tout en sachant qu’on n’enseigne plus comme il y a 20 ou 25 ans et qu’une nouvelle manière de le faire est en gestation. Et qu’on s’adresse à un autre public. Et qu’enseigner, ce n’est pas simplement qu’une question de transmettre et de partager des savoirs, mais c’est aussi, et peut-être surtout à l’heure du Web une question de transmettre et de partager des valeurs, cette fameuse citoyenneté dont parle le décret du 12 janvier 2007 (Décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française).
Ce qu’il faudrait faire
Bien évidemment on ne niera pas que cette approche met à mal des habitudes héritées du passé et qu’elle engendre un regain de travail administratif. Et qu’en salle des profs, elle est souvent mal vécue, mal comprise. Et relativement à cette compréhension, je pense que les organisations syndicales ont un rôle à jouer. Syndicalisme et pédagogie ne m’ont jamais paru antagonistes.
« Le Pacte pour un Enseignement d’excellence vise à renforcer la qualité de l’enseignement obligatoire, de la maternelle à la fin du secondaire, et ce au bénéfice de tous les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour rendre l’enseignement plus inclusif et plus égalitaire, pour améliorer les résultats des élèves et le climat au sein des écoles, le Pacte met l’organisation de l’école au centre du jeu.
Un nouveau pilotage des écoles centré sur l’autonomie des professionnels de l’éducation et des dynamiques collectives renouvelées, tout en prenant en compte les évolutions et les réalités des écoles, se met en place ? »
On peut et on doit évidemment jouer sur la limitation du nombre d’élèves par classe, une meilleure formation, des salaires plus attractifs. Mais il importe avant tout de souligner les aspects positifs pour la réforme qui n’en est encore qu’à ses balbutiements. De combattre une certaine morosité ambiante. Et de laisser au temps le temps.
Si l’on devait à terme ne pas y arriver, ne pas redonner du sens au métier d’enseigner, il est à craindre que celui-ci ne disparaisse. Après tout, tant d’autres métiers ont disparu au fil du temps. Et la société dans son ensemble aurait à s’en mordre les doigts de ne pas avoir trouvé une solution à la pénurie d’enseignants.
Bernard De Commer,
Ancien instituteur et permanent syndical retraité