10 ans : cela fait 10 années que SOS Faim organise le Festival Alimenterre. En 2018, c’est dans 7 villes (Bruxelles, Arlon, Charleroi, Liège, Mons, Ottignies/Louvain-la-Neuve, Namur) que cette ONG active dans la lutte contre la faim dans le monde a projeté, du 10 au 25 octobre, des documentaires destinés à sensibiliser le grand public belge aux questions de la pauvreté dans les pays en voie de développement. SOS Faim a aussi organisé un riche débat reliant les luttes, finalement très proches, des paysans du sud et du nord de la planète.
Alors que des centaines de touristes et de Bruxellois déambulent nonchalamment dans les très chic Galeries Saint-Hubert, nous sommes quelques dizaines, à plusieurs mètres sous eux, dans les jolies caves voûtées du Cinéma des Galeries. C’est là que le Festival Alimenterre a tenu ce samedi 10 octobre un débat sur le thème « Après 10 ans d’alternatives à l’agrobusiness, où en est-on ? ». Cet échange, centré sur les réalités de l’agriculture paysanne en Belgique, profite, comme les autres activités de la quinzaine, du soutien de toutes les organisations qui réfléchissent à des alternatives à l’agriculture industrielle et en particulier du partenariat d’Oxfam Magasins du Monde, de Quinoa, de Rencontre des Continents et du Comité Français pour le Solidarité Internationale. Ce front commun de plus d’une vingtaine d’organisations prouve que la volonté d’unir les forces qui résistent aux excès du productivisme dans le secteur agricole se concrétise de plus en plus. Plusieurs de ces groupes alternatifs du secteur agriculture/alimentation ont fait l’objet de reportages publiés sur le site de POUR, dans la logique explicitée dans l’article « Produire, vendre et consommer la nourriture autrement ».
Etalés sur des coussins, nattes, poufs et couvertures, sous la dynamique animation de Perrine de Quinoa et de l’infatigable Seb Kennes de RdC, nous entendons les exposés de trois personnes impliquées dans la problématique.
La disparition programmée des paysans de chez nous
Nous profitons d’abord du regard du monde agricole, incarné par Vanessa Martin, agricultrice et éleveuse engagée pour la défense de l’agriculture familiale et durable. Elle nous apprend que seulement 3 à 6% des agriculteurs belges ont moins de 30 ans alors que 79% ont plus de 45 ans. Cela s’explique notamment par la difficulté d’acquérir des terres dont le prix augmente sans cesse. Il y a la coopérative à finalité sociale Terre en vue qui permet à des citoyens et des organisations de consacrer une partie de leur épargne à l’acquisition de terres agricoles confiées à des agriculteurs en vue de les aider à s’installer et à développer des projets agro-écologiques, coopératifs et d’agriculture paysanne, respectueux de la terre, mais c’est peu face à la spéculation de gros propriétaire et la raréfaction des sols grignotés par une urbanisation galopante. Et puis, il est si difficile de survivre financièrement quand la logique de mise en concurrence des agriculteurs du monde entier fait baisser les prix. Vanessa nous montre un carnet de comptes vintage ; datant de 1934, héritage de l’agriculteur dont elle a repris la ferme, qui prouve qu’en ces temps-là il était encore rentable de vendre son lait au fabricant de beurre, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les agriculteurs qui veulent essayer de survivre se tournent dès lors vers le bio ou les circuits courts.
Pierre Stassart, président et membre du GIRAF (Groupe Interdisciplinaire de Recherche en Agroécologie du FNRS) nous offre lui l’approche d’un chercheur. Il décrit comment les sociologues qui se préoccupent du secteur agricole n’ont pas tous la même vision (par manque de communication ?). Face à la logique dominante du néolibéralisme qui pose problème, des alternatives se développent mais selon des modalités fort différentes. Certaines sont radicales, en rupture avec le passé, d’autres misent sur une transformation progressive et d’autres ne prônent qu’un changement de façade. Cela se traduit par des positionnements parfois opposés des divers syndicats agricoles. Pierre Stassart plaide pour que les autorités publiques s’impliquent plus pour aider à l’évolution car de lourds verrouillages (prix du foncier) empêchent le renouveau. Ce travail de mise en relation est notamment réalisé par Agroecology in Action (AIA).
L’essaim bourdonnant des résistants à la globalisation néolibérale
Daniel Cauchy, membre actif de nombreuses asbl et réseaux depuis de longues années a apporté, lui une vue plus macro de ce que, paradoxalement, il a appelé le microcosme des agricultures non industrielles. Il a souligné que ce conflit (car c’en est un) entre paysans (actifs dans des structures familiales plus ou moins autonomes) et pseudo-indépendants serfs des multinationales n’est pas seulement la répartition des terres et des parts de marché mais aussi la « recette » selon laquelle sont produits nos aliments. Le dossier fait donc intervenir des « parties prenantes » (stakeholders disent les néolibéraux) bien plus nombreuses que les cultivateurs, depuis l’environnement jusqu’aux systèmes de santé en passant par les abeilles et les vegans.
Il a dès lors passé en revue tous ceux qui agissent dans un joyeux mélange, dans un bricolage sans cesse mouvant pour tenter de faire survivre (avec, hélas, plus de défaites que de victoires) ce qui n’est pas encore soumis à la logique prédatrice de l’agro-industrie. Il a notamment cité tous ceux qui soutiennent et permettent les activités du réseau Agroecology in Action déjà cité et représenté par le joli essaim coloré ci-dessous (on notera que ce réseau s’étend au nord et au sud du pays) dont, comme dit plus haut, plusieurs ont fait ou feront l’objet de reportages de la série que POUR développe dans l’article « Produire, vendre et consommer la nourriture autrement ».
Penser mais aussi agir
L’exposé de Daniel Cauchie qui a aussi abordé les problématiques des coopératives, des comptoirs fermiers, des épiceries autres, des groupes d’achats collectifs (GAC) nous a permis de comprendre que, face à la conquête de tout ce qui vit et qui bouge par l’hydre capitaliste, une nébuleuse multiforme et originale se met en place. Elle réunit non seulement des paysans traditionnels, des activistes radicaux, de grosses associations ayant pignon sur rue, des académiques sérieux mais engagés… Tout ce petit monde, grâce à SOS Faim, a mieux compris que les situations au sud et au nord de la planète étaient totalement parallèles, ce qui est normal puisque la menace vient des mêmes multinationales (dont Bayer et Monsanto sont aujourd’hui dénoncés mais qui ne sont, hélas, pas les seuls à vouloir dominer le secteur agricole).
Et puisqu’une des lignes de force des « alters » est non seulement de réfléchir et de comprendre mais aussi d’agir les participants ont rejoint d’autres militants pour crier leur solidarité avec les paysans du monde entier : sur la toute proche place de la Monnaie, un sympathique flashmob, « Fight for our food, figth for our rigths » s’est déroulé. Vous pouvez le visionner d’en haut et d’en bas.
Alain Adriaens