Palestine : à qui profite le crime ?

« Émission impossible »

Ce lundi 25 juin, une action citoyenne rassemblant activistes antimilitaristes et militants BDS (Boycott Désobéissance et Sanctions) a été organisée en collaboration avec l’ASBL Radio Panik dans le cadre de l’« émission impossible ». L’objectif est de prendre possession d’un lieu impossible le temps d’une émission radiophonique. Pour cette troisième édition d’« émission impossible », Thalès, multinationale française collaborant avec des entreprises d’armement israéliennes, a donc eu le privilège de recevoir ses militants engagés pour « dire tout haut ceux qu’ils tuent tout bas ». Un reportage de François Heinrich et Arnaud Van Puyenbroeck

  08h00 lundi, 25 juin, 30 personnes aux yeux cernés se retrouvent devant la fontaine du parc cinquantenaire. Les visages souriants et impatients d’en savoir plus sur l’action allant avoir lieu. Le programme restait flou avec comme seul indice, communiqué par SMS, « Émission impossible ISRAEL », un unique mot, un unique pays mais un objectif clair et suffisant pour rassembler : « Dénoncer les politiques actuelles d’Israël envers la Palestine ». Une signature à ce SMS : « Ondes et résistances ».

« C’est la troisième émission impossible qu’organise Radio Panik, ASBL d’éducation permanence. L’équipe prend possession d’un lieu où l’on ne peut avoir au préalable d’autorisation d’accès et ainsi exercer une désobéissance civile afin de dénoncer des politiques sociales et/ou économiques allant à l’encontre des droits humains. »

08h20 Une fois les salutations faites, les organisateurs prennent rapidement la parole. Notre objectif s’éclaircit : occuper les bâtiments de la multinationale française Thalès pour y réaliser une émission impossible avec Radio Panik. Une heure pour dénoncer la collaboration étroite entre cette société française et leurs partenaires de l’industrie militaire israélienne, plus particulièrement Elbit Systems (compagnie d’armement et de sécurité, qui fournit ses drones meurtriers à l’armée israélienne) et Israel Aerospace Industries (entreprise mondialement reconnue comme leader en développement militaire).

« Ceux qui font avancer le monde s’appuient sur Thales ». Comme nous pouvons lire sur leur site internet : « Ensemble nous créons des systèmes technologiques ingénieux qui impactent et améliorent la vie des populations chaque jour ». Ces sociétés d’armements avec lesquelles collabore Thalès exportent glorieusement leurs technologies militaires « testées en situation réelle » (ou encore dites « approuvées au combat »). Rien de plus pragmatique et de moins ironique dans le choix de ce label, puisqu’il s’agit bien d’armes mises au point – testées et approuvées – dans le cadre de crimes de guerre et de génocides commis par l’armée israélienne à l’égard des Palestiniens de Gaza.

08h45 Les rôles sont attribués et les instructions fournies en cas d’intervention de la police, le risque d’arrestation administrative est présent mais l’objectif d’une heure doit être tenue. L’impatience grandit, les Camilles (« prénoms non genré donnés aux participant.e.s qui permet de dé-personnifier les actions citoyennes ») s’avancent vers l’arche du cinquantenaire, au loin, comme un symbole de l’action, les bureaux du quartier européen. En face de la grande mosquée, un bureau comme on en voit des milliers dans ce quartier, les 30 Camilles prennent placent dans le hall d’entrée sous les yeux ébahis du réceptionniste. En tout aisance, la radio s’installe. Dehors, un baffle est prévu pour retransmettre l’émission impossible en direct et les passants se voient recevoir des flyers expliquant l’action citoyenne.

« Boycott, Désinvestissement, Sanctions : Les organisateurs rappellent que cette action est non violente et ne doit pas empêcher le passage des employés. Cette désobéissance civile s’inscrit dans la cadre de la campagne pacifique BDSBoycott, Désinvestissement, Sanctions, lancée en 2005 par la société civile palestinienne à l’encontre de l’Etat d’Israël jusqu’à ce que celui-ci se conforme au Droit international et aux Principes Universels des Droits Humains. La campagne est désormais relayée partout dans le monde et reconnue par l’État d’Israël comme “une menace stratégique de premier ordre”. Les objectifs sont simples :

  • la fin de la colonisation des territoires palestiniens occupés (Résolution ONU 1967) ;
  • la fin des politiques de discrimination raciale et d’oppression systématique des Palestiniens ;
  • le respect des droits des réfugiés palestiniens tels que garantis par l’ONU, dont le droit au retour. »

 09h00 Nous avons une heure pour dénoncer, une heure pour dire « tout haut ceux qu’ils tuent tout bas ». L’équipe de Radio Panik est prête, le Facebook live de POUR est lancé… Et tout comme Thalès, « Dans un monde en constante mutation, à la fois imprévisible et riche d’opportunités, nous aidons ceux qui ont de grandes ambitions à prendre des décisions rapides et efficaces… Quel que soit l’enjeu ».

« La marche du retour : Exprimer sa solidarité avec le peuple palestinien meurtri par 70 ans de colonialisme et d’épuration ethnique. Depuis le 30 mars dernier, les Palestiniens de Gaza – sous blocus depuis bientôt 11 années – ont initié un mouvement de manifestations pacifiques appelé « La Marche du Retour » en commémoration à la Nakba ; la catastrophe en arabe, qui désigne l’exode palestinien de 1948. À cela, l’armée israélienne a immédiatement répondu – de façon aussi disproportionnée qu’habituelle – par un bain de sang. Il s’agit là d’un massacre sans précédent ; et une fois de plus, Gaza s’est transformé en laboratoire d’expériences pour de nouvelles armes à feu et autres drones armés.

09h40, À 20 minutes de la fin de l’émission, la police arrive sur les lieux, le ton est donné lorsque ceux-ci nous laissent le choix soit de partir immédiatement ou soit d’être sorti de force. Les Camilles votent ; on reste. Les cartes d’identité sont distribuées et analysées par les policiers qui, sans grande diplomatie, posent le rapport de force. Les participant.e.s gardent leur calme, comme si de rien n’était, les chroniqueurs se succèdent et continue la liste des dénonciations qui semblent sans fin.

La surveillance des frontières selon Thalès : « La sûreté intérieure dépend également d’une surveillance des frontières efficace et efficiente, qui soit à même d’identifier les intrusions dangereuses ou non souhaitées, de les évaluer en temps réel, et de les intercepter lorsque nécessaire. Thales propose des solutions sur mesure tenant compte des caractéristiques de la frontière, du pays, des menaces. » (Thalès Group)

Depuis 1948, on totalise plus de 5.200.000 Palestiniens réfugiés et 800.000.déplacés. La Palestine c’est un quotidien d’expropriation, d’occupation et d’accaparement des ressources, un quotidien sans liberté de circulation et d’humiliation quotidienne.

09h50 L’émission se termine brusquement à 5 minutes de son objectif lorsque les policiers s’emparent des micros de Radio Panik. Les invitations à sortir se transforment rapidement en une cohue où les policiers empoignent les bras des Camilles. « Violence policière , crie camille, vous me faites mal ». Des cris pour protester et se défendre. Deux Camilles attachées ensemble par un armlock sont traînées à même le sol vers la sortie. Tout le monde sort. The job is done pour les policiers.

Depuis fin mars, 132 Palestiniens ont été tués et 14.000 blessés graves ont été dénombrés (CICR). Médecins Sans Frontières dénonce « un niveau extrême de destruction des tissus et des os, et des orifices de sortie de balles démesurées, qui peuvent avoir la taille d’un poing. »

« Viser pour blesser ; et blesser pour ne pas tuer », telle est la consigne donnée aux snipers israéliens. En effet, ces « tireurs d’élite » sont formés et équipés pour que leurs tirs laissent à leurs victimes palestiniennes de lourdes séquelles ; séquelles que ces Palestiniens, en plus des dommages psychologiques amoncelés, garderont à vie.

 10h20 Après avoir quitté ce lieu impossible, le groupe se retrouve autour d’un café pour commenter les faits. Nous avions une heure pour dénoncer, notre objectif est réussi. Une faible victoire face à l’hypocrisie de la Belgique et de l’Union Européenne envers le respect des droits humains, une hypocrisie où les partenariats économiques, politiques, académiques se poursuivent entre l’Union Européenne et l’État d’Israël, où sans scrupules, les entreprises d’armements continuent à proliférer en faisant de leur efficacité un argument de vente.

Une bien faible victoire certes… mais c’est avec fierté que nous nous dispersons, prêt.e.s à débuter cette nouvelle semaine.

François Heinrich et Arnaud Van Puyenbroeck