Monnaies digitales et démocratie monétaire ?

I. Un monde en rapide mutation

De plus en plus souvent, nous sommes confrontés à des annonces en matière de monnaie digitale. L’année dernière le cours du bitcoin explosait avant de s’écrouler. Facebook, accompagné d’entreprises commerciales, technologiques ou financières de premier plan au niveau mondial, annonce la création du Libra, sa « monnaie » électronique basée sur la même technologie que le bitcoin (la blockchain) alors qu’Uber lance l’Uber-money. Cette monnaie pourra servir de moyen d’échanges entre toutes les personnes connectées au réseau social à travers le monde. Les banques commerciales, de leur côté, développent de plus en plus les moyens de paiements électroniques et nous incitent à shifter vers ceux-ci. La dernière initiative en date s’appelle « PEPSI » et vise à mettre en place un réseau de paiement pan-européen soutenus par les grandes banques européennes et la Banque centrale européenne. Les sociétés de services de paiement sont en plein développement, à l’image du compte Nickel en France qui a connu une croissance fulgurante ces dernières années en contribuant à la « débancarisation » d’une partie de la population. D’autres initiatives, parfois moins connues mais pas moins intéressantes sont lancées, les monnaies locales complémentaires sous forme électronique, la monnaie libre comme le June (Ğ1) inspirée de la théorie relative de la monnaie. Et last but not least, les Banques centrales réfléchissent au développement de la monnaie électronique de Banque centrale[1]. Bien que ces derniers travaux restent largement confidentiels, certaines d’entre elles, comme la Banque de Suède avec l’E-Krona, publient des papiers fort intéressants.

Bref, tout ce qui concerne la monnaie ou plutôt les monnaies et les paiements évolue rapidement et remet en cause des schémas bien établis depuis des dizaines d’années. Les banques commerciales ne sont plus incontournables en matière de paiement alors qu’elles ne l’étaient déjà plus en matière d’épargne. L’architecture monétaire pyramidale impliquant les Banques centrales et les banques commerciales est ébranlée, d’une part, les banques commerciales entendent totalement substituer leur monnaie électronique à la monnaie de Banque centrale sous forme de billets de banque et, d’autre part, le Libra entend se substituer à une échelle mondiale aux monnaies officielles pour les paiements au sein de l’écosystème Facebook composé du réseau social éponyme et d’entreprises associées. Cette dernière initiative souligne combien l’architecture monétaire mondiale, toujours basée sur les ruines des accords de Bretton Woods, est en retard sur la mondialisation telle qu’elle est conçue par des entreprises comme Facebook, Amazon, Google et autres. C’est peu dire que les Banques centrales nationales voient d’un mauvais œil se développer ces initiatives qui sont de nature à miner leurs politiques monétaires et à leur enlever ce qu’il leur reste comme souveraineté monétaire. Ce foisonnement d’initiatives monétaires se développe dans un contexte marqué par la digitalisation dans un monde globalisé qui implique recherche d’efficacité, diminution des coûts de transaction, économies d’échelle et rentabilité financière et qui se traduit par des restructurations intensives et la perte de millions d’emplois dans le secteur bancaire au travers de la planète.

II. L’institution monétaire contestée


By André Peters

Vivant dans la périphérie bruxelloise, André Peters se dit être « ket van Brussel et fils d’ouvrier ». Cadre à la Banque Nationale de Belgique en tant qu’analyste-statisticien, il est en charge de dossiers transversaux dans différents domaines : statistiques financières, balance des paiements et comptabilité nationale, méthodes statistiques d'estimation des revenus, principalement des dividendes et des intérêts, échanges de données entre institutions financières internationales. Il a été conseiller d’une ministre bruxelloise sur les matières budgétaires, finances publiques, statistique, informatique, fonction publique et organisation dans différents secteurs sociaux de la fédération Wallonie-Bruxelles (aide à la jeunesse, jeunesse et aide aux détenus), de la Cocof, (personnes handicapées) et de la Commission communautaire commune (Maisons de retraite bicommunautaires). Se présentant comme « sociologue de la monnaie », il travaille à de nouvelles règles indispensables au financement et à la réalisation de la transition écologique et solidaire