Mediator, un crime chimiquement pur

L’affaire du Mediator est sans doute le plus grand scandale sanitaire français depuis le Sang contaminé. Peut-être plus important même, au regard de son aspect international (les Etats-Unis sont largement touchés depuis les années 1970) et en ce qu’elle incarne l’achèvement d’un rêve capitaliste qui fait des pouvoirs publics et des organes de santé de simples courroies commerciales, convertissant la primeur de la protection des population en une protection des investissements et des profits avant toute autre morale.

Irène Frachon est aujourd’hui connue comme une des plus importantes lanceuses d’alerte de notre histoire moderne, à l’origine du développement médiatique et judiciaire de l’affaire, après notamment la publication de son livre Mediator 150 mg : combien de morts ?, paru en 2010. Elle s’associe au journaliste et scénariste BD (il est le nouvel auteur du blockbuster Largo Winch) Eric Giacometti et au dessinateur François Duprat pour proposer une immersion dans cette affaire, de ses origines sur l’affaire de l’Isoméride jusqu’au procès qui condamne le laboratoire Servier en 2021.

Dans une remarquable construction, les auteurs parviennent dans cet album à faire le tour de la question en faisant intervenir directement les personnages-auteurs pour des explications en aparté très ludiques, voir tout simplement Hippocrate lui-même! On pourra reprocher un prisme très orienté contre le fondateur Jacques Servier mais au vu de la réalité des faits et des conclusions judiciaires et médicales depuis cinquante ans on pourra aussi bien considérer que c’est factuel. Conscient de la propension à la plainte pour diffamation de l’empire Servier, les auteurs bardent leurs propos d’un nombre de références très important, que l’on retrouve en bas de page et en fin d’ouvrage de façon exhaustive, démontrant l’immense rigueur scientifique et journalistique du projet.

Car cet album s’inscrit dans une conviction profonde issue d’années de combat d’Irène Frachon, faisant confiance aux institutions de contrôle, avant de réaliser que seule la médiatisation et l’implication de la population dans cette affaire pouvait forcer les pouvoirs publics et la Justice à assumer leurs rôles. Dès les premières pages (comme on peut le voir dans le monument Le Choix du Chômage traitant finalement le même mal) on nous dit que Servier est un menteur narcissique sans foi ni loi. Ses déclarations sourcées sur l’essence du capitalisme et la primauté à la sécurisation des investissements sont éclairants sur une caste de l’élite économique hors sol et qui privatise le bien public.

Sans volonté d’enjoliver les faits, l’ouvrage vise surtout la plus grande didactique sur des sujets complexes qui mêlent biochimie, médecine, système de santé et du médicament mais aussi équilibres économiques et liens avec la sphère politique. La multitude d’affaires de corruption pourrait rendre cela banal mais l’ancienneté de la manipulation, le froid calcul de Servier et l’enchevêtrement de faiblesse de pontes du système de pharmacovigilance et de collusion d’hommes et de femmes de médecine qui ont mis leur compte en banque au-dessus de leur serment (et au premier chef les membres de l’Académie de Médecine qui ressort comme font du Mediator un cas d’école de tout ce qui dysfonctionne dans la fiction d’entreprises de médecine censément vertueuses.