De tous temps, à travers la plupart des civilisations, les femmes ont peiné à faire reconnaître leurs compétences. Mais elles ont toujours combattu pour leurs droits et, aujourd’hui, elles ont compris que les nouvelles technologies peuvent devenir un outil puissant pour combattre les stéréotypes et induire le changement social. Cela passe par les médias et la communication digitale. Et par la formation. Ainsi l’a bien compris l’ONG Le Monde selon les Femmes.
Le terme « mentrification »est loin d’être connu de tous. Il faut dire qu’il vient de sortir sur Internet ! Ce néologisme désigne l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire. En langage simple, « c’est quand les femmes font tout le boulot et qu’on ne parle ou ne se souvient que des hommes ! » Il y a heureusement une certaine prise de conscience et on commence à extraire de l’oubli quelques personnalités importantes comme Ada Lovelace qui, au XIXe siècle, a développé le premier programme informatique. Comme la physicienne Lise Meitner (1878-1968) découvreuse de la fission nucléaire mais dont seul le partenaire masculin a obtenu le prix Nobel pour leurs travaux. Et puis aussi Hedy Lamarr dont la beauté et la liberté ont fasciné au point d’oublier qu’elle a inventé la technique du saut de fréquence, utilisée dans le GPS et le Wifi (1930). Ceci pour information rudimentaire.
L’histoire ingrate jusqu’à nos jours
Notre société de prospérité médiatique tourne à plein. Les médias remplissent à fond leur rôle de transmettre des informations, lesquelles reflètent les activités et les modèles culturels en place. La multiplicité des communications et les messages à tout va qu’ils véhiculent posent question sur le tri et la qualité des informations. Celui ou celle qui lit ou écoute, regarde et fait l’effort de s’intéresser et comprendre au moins une part des nombreux messages qui envahissent sa vie, a-t-il conscience de l’influence des différents médias qu’il subit ou consulte ? Ces médias qui se disputent l’audience selon des critères apparentés à des options politiques, économiques, sociales ou financières. Comment, de fait, rester critique face à cette opulence médiatique, et ce compris les réseaux sociaux et les diverses applications et fantaisies consultés sur les mobiles. Se place ici la question cruciale : qu’en est-il de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ?
Non seulement les écrits, visuels, audio et électroniques marquent le présent mais ils laisseront des traces et marqueront les connaissances du siècle prochain. Du fait divers au dossier instruit, tout fait farine au moulin de l’histoire. Dans cette importante infrastructure psycho-sociale médiatique, entre l’écrit et l’oral, en passant par le virtuel et l’image, où se trouvent les femmes ? Vont-elles encore se laisser nier ou berner ? Non bien sûr. Elles savent que ce sont leurs réflexions d’aujourd’hui, leurs productions littéraires, leurs découvertes scientifiques, leurs positions politiques qui s’inscriront dans l’Histoire. Elles doivent donc s’y faire une place : celle qui leur fut refusée trop longtemps et qui a presque laissé croire qu’elles n’ont pas participé à la construction du monde. Il s’agit aujourd’hui que leur rôle enfin se voie. Et qu’on ne dise plus que les femmes ne savent pas faire ceci ou cela et qu’elles ne sont pas douées pour ceci ou cela. Basta !
Une ONG féministe
Avec son prometteur intitulé, Le Monde selon les Femmes, une ONG internationale créée en 1986, tient les fenêtres grandes ouvertes sur le monde et agit pour que les relations y soient construites sur une base d’égalité, de diversité et de solidarité. Elle propose des formations, modulaires et à la carte, pour diverses organisations du Nord et du Sud. Elle fait des recherches et des plaidoyers thématiques (santé, droits sexuels et reproductifs, développement durable …). Elle développe des actions de sensibilisation sur l’approche genre et développement et organise des rencontres. Elle assure des consultances spécifiques dans de nombreux pays »[i]. Et surtout, elle estime « qu’un développement sans les femmes est un développement contre les femmes ». Et veulent influencer en profondeur les opinions, les attitudes et les idées.
Inévitablement, leur positionnement critique rencontre de plein fouet la question du genre et du concept gender mainstreaming, ce qui veut dire l’intégration systématique des questions de genre dans l’élaboration et le suivi d’un projet (cf.Pékin 1995). « C’est la (ré)organisation, l’amélioration, le développement et l’évaluation des processus politiques afin que l’égalité hommes-femmes soit incorporée dans toutes les politiques, à tous les niveaux et à tous les stades, par les acteurs qui participent normalement à l’élaboration des politiques »[1].
Médias ! Quelle société nous proposez-vous ?
En Europe, les femmes représentent seulement environ un quart des personnes que l’on entend, voit ou dont on parle dans les nouvelles. L’Association des Journalistes Professionnelles en Belgique démontre que l’on trouve moins de 18% de femmes dans la presse écrite.[ii] Il y a une surreprésentation des hommes dans les médias et les femmes sont presque absentes des éditoriaux, des chroniques, des billets d’humeur, de articles d’opinion. Le champ sémantique associé aux femmes est extrêmement réduit par rapport à celui attribué aux hommes. Donc, si l’on veut que les médias, internet, la presse, la publicité, le cinéma… développent une représentation équilibrée de la diversité de la vie des femmes et de leur contribution à la société, il faut qu’elles s’y mettent et refusent de laisser passer les images pornographiques ou violentes, les propos dégradants. Pour ce faire, il est urgent de travailler à la promotion d’images non stéréotypées des femmes et des hommes et de créer un environnement qui encourage la formation et l’utilisation de réseaux constructifs.
Alternative positive
« Depuis quelques années, explique Claudine Drion, chargée de mission au MSF, le secteur associatif et les ONG nous appellent régulièrement pour mieux intégrer une perspective de genre dans leur communication interne et externe. Comment développer une expression non sexiste sur leurs visuels, leurs vidéos ou adopter l’écriture inclusive ? Quel que soit leur métier, et même dans l’asbl la plus soucieuse d’équité, les gens ne sont pas conscients des stéréotypes sexistes qu’ils ou elles véhiculent. Un exemple récent ? Une association vigilante sur sa politique égalitaire découvre, dans son travail de décryptage sur le genre, que ses illustrations représentent dans 80% des cas des filles ridiculisées ou dans un rôle subalterne ».
D’où la décision de formaliser, dans un petit manuel de formation, une procédure et des outils qui permettent d’analyser l’objectif d’une communication, le type de langage et les éléments contextuels qui entrent en jeu sur les plans sociologique et historique et selon des facteurs économiques et culturels. Avec ce livret intitulé « Genre et communication. Décrypter les médias », les animat∙eur∙rice∙s décryptent ce qui a été fait avant, repèrent les bonnes pratiques et font apparaître ce qui ne va pas dans l’organisation analysée. Se crée un croisement entre l’approche genre qui est une déconstruction des rôles stéréotypés et la communication proprement dite dont on approfondit les moyens et modes utilisés qui influencent la représentation qu’on a des hommes et des femmes. Il s’agit tout autant des messages que des manières d’écrire. Il est recommandé aussi de faire appel à une expertise féministe qui amène une déconstruction des rôles. Le souci de ce carnet récemment publié, dont tout le monde peut s’approprier, est de débusquer le sexisme partout où il peut toucher le grand public.
Partagé en cinq chapitres, il se consulte aisément. Le travailler en petits groupes permet une dynamique qui mène à la fois à la déconstruction des stéréotypes et à une reconstruction positive par un choix des mots et des images plus appropriées aux objectifs de réappropriation sociale. Il se termine par un savoureux contre-argumentaire féministe destiné aux réfractaires du changement et de l’évolution de la langue française qui est une langue sexiste.
De l’analyse du langage des médias à la prise de parole citoyenne en passant par la pub, il y a de quoi s’informer, réfléchir et agir. N’est-ce pas ces trois capacités croisées à la question du genre et de la citoyenneté qui pourra lancer la solidarité mondiale dans la justice et le respect pour tous les êtres humains vivant sur cette planète.
Godelieve Ugeux
[1]La stratégie pour la gouvernance de l’internet du Conseil de l’Europe 2016-2019 vise par exemple à assurer le suivi des mesures prises pour protéger toute personne, en particulier les femmes et les enfants, contre les abus commis en ligne tels que le cyber-harcèlement, le sexisme et les menaces de violence sexuelle.
[i]http://www.mondefemmes.be/ – 18 rue de la Sablonnière – B-1000 Bruxelles.