Je suis le souverain d’un petit pays et de petites gens
Quand on traite une race composée de cannibales depuis des milliers d’années, il est nécessaire d’utiliser des méthodes qui secoueront au mieux leur paresse
Léopold II [1]
Le nationalisme n’épargne aucun pays, pas même la Belgique, pourtant née d’un compromis entre les grandes puissances européennes. Dans tous les États, il vient à l’esprit de la classe dirigeante de créer un sentiment de fierté collective autour de personnages supposés prestigieux. Ces « mythes » nationaux, figures d’« excellence », ont pour fonction d’incarner l’essence ou le génie d’une population. En Belgique, il est curieux qu’une partie substantielle de la population reste attachée à la figure du roi Léopold II. Un mythe national est en effet supposé véhiculer des valeurs positives. Pourtant, lorsqu’on s’intéresse de plus près aux positions politiques du roi, à son action coloniale ou à ses relations sociales, il devient difficile de dire qu’il représente une quelconque inspiration pour l’Humanité.
Un roi peu démocratique
Léopold II rêve d’une monarchie absolue telle que l’Empire austro-hongrois
Le roi Léopold II a peu de considération pour la démocratie, ou en tout cas de la démocratie « parlementaire » telle qu’elle existe en Belgique à cette époque. Pour rappel, lors de son accession au trône, la Belgique est sous un régime de vote censitaire, où seuls les plus nantis ont les moyens de voter. À cette époque, c’est la fusion de l’ancienne aristocratie et de la nouvelle bourgeoisie belge, particulièrement dynamique, qui dirige le pays, au grand dam du souverain. En effet, loin de se prononcer pour le suffrage universel auquel aspire la majorité de sa population, Léopold II rêve d’une monarchie absolue telle que l’Empire austro-hongrois. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il fera marier ses deux filles, Louise et Stéphanie, avec des princes autrichiens.
Cette tendance despotique s’est révélée au grand jour au Congo, dont le roi Léopold II avait songé se faire appeler « empereur ». Dans ses lettres à l’explorateur Stanley, il développait sa manière d’administrer ses nouveaux « sujets » congolais :
Il est indispensable que vous achetiez […] autant de terres que possible et que vous placiez sous (…) suzeraineté de ce comité (…) dès que possible et sans perdre une minute tous les chefs des tribus installées entre l’embouchure du Congo et les Stanley Falls [près de l’actuelle Kisangani] et Les traités doivent être aussi courts que possible, et tout nous donner en deux articles .
Au début de la décennie 1890, le Congo se militarise rapidement : la moitié du budget de la colonie est attribuée à la Force Publique, l’armée de Léopold II. Le roi, qui se targue sur la scène internationale de « délivrer » les Congolais des griffes esclavagistes, va en fait contraindre les hommes libérés à servir dans son armée. Bientôt, il utilisera cette force comme un féroce instrument répressif pour contrôler les populations rebelles, et comme moyen de contrainte à la récolte du caoutchouc.
Romain Compère
[1] Tous les extraits de cet article sont issus du livre d’Adam Hoschild, Les fantômes du roi Léopold. La terreur coloniale dans l’Etat du Congo, 1984-1908), [1998], Tallandier Texto 2007, 2019, 624 pp., 12€.
[2] Selon l’empereur Guillaume II, le roi Léopold II incarnait la fusion de « Satan et Mammon en une seule personne ».