Le samedi 5 février 2022, la communauté yéménite de Belgique appelait tous les citoyen·ne·s yéménites, leurs soutiens et tous les citoyen·ne·s belges qui se préoccupent de la cause des civils blessés et tués à se rassembler, car la guerre s’intensifie au Yémen.
Depuis début janvier 2022, des affrontements accrus ont lieu au Yémen, où, depuis 2015, une guerre civile fait rage qui a déjà tué plus de 377.000 personnes. Dans différentes villes, la coalition menée par l’Arabie saoudite s’affronte aux milices rebelles yéménites houthi, mais bombardent aussi des maisons, des espaces publics, des femmes, des enfants. Des quartiers à très forte densité de population ont été ciblés. De nombreux civils ont été tués ou gravement blessés. Des familles sont endeuillées, des maisons détruites.
Le rassemblement ne se voulait pas partisan, mais appelait à commémorer les victimes de la guerre civile et à faire respecter le droit international et les droits fondamentaux. Il visait également à faire entendre la voix de ces personnes qui n’en ont plus. Quelle que soit la partie qui combat, il n’est pas normal que la population civile soit ciblée et victime des affrontements armés. Il appelait alors la communauté internationale et la Belgique à agir pour que les violences envers les civils cessent au plus vite. Il y a déjà eu trop de victimes au Yémen.
Plus de 70 personnes étaient présentes au rassemblement. Plusieurs personnes, Yéménites et Belges, ont pris la parole afin de témoigner de la situation au Yémen, de rendre hommage aux victimes, mais aussi d’appeler la Belgique à agir. Les organisateur.ice.s prévoient de nouveaux rassemblements au cours de l’année.
En 2011, une révolution de la jeunesse éclate dans la capitale et dans de nombreuses villes. Cette révolution est menée par le parti Islah (« Réforme », parti de l’opposition proche des Frères musulmans), pour exiger le renversement du régime et le départ du président Ali Saleh. Certains des camps de l’armée environnant la capitale sont également attaqués. Suite à cette révolution, le président Saleh est contraint d’abdiquer au profit de son vice-président Abd-Rabbo Mansour Hadi, qui est élu nouveau président du Yémen.
CROYEZ-VOUS QUE NOUS POUVONS VIVRE SANS VOUS ?
Vous ne pouvez lire cet article que parce que d’autres lecteurs se sont abonnés.
Vous aussi, soutenez une presse libre !
En même temps, dans le Sud, Al-Qaïda a attaqué des zones dans la ville de Shabwa, d’Abyan et d’Al-Bayda et a pris le contrôle de nombreuses zones et camps militaires. De plus, des manifestations qui éclatent à Aden, menées par le Southern Al-Hirak [2], exigent la séparation du Sud et du Nord[2]. Les forces du nouveau gouvernement réussissent à calmer relativement la situation, elles expulsent Al-Qaïda et négocient avec le reste des partis.
En juillet 2014, profitant de la faiblesse du nouveau gouvernement, la milice houthi se lance à la conquête de la capitale, Sanaa. Elle continue d’attirer les jeunes et ouvre de nombreux fronts jusqu’à ce qu’elle soit en mesure, le 21 septembre 2014, d’entrer dans la capitale, avec l’aide des forces de l’ancien président Saleh. Un accord est finalement conclu avec le président Hadi et en janvier 2015, les milices renversent celui-ci par un coup d’État : elles prennent le contrôle du palais présidentiel et assiègent le président dans sa résidence. A.M. Hadi réussit à s’échapper à Aden, mais les forces de Saleh et les milices réussissent à le rattraper et bombardent le palais présidentiel à Aden. Hadi s’enfuit à Oman et de là en Arabie Saoudite.
En mars 2015, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis mènent une coalition de 10 pays arabes pour replacer Hadi à Sanaa et éliminer les miliciens houthi. La guerre éclate alors à nouveau et les forces gouvernementales, avec l’aide de la coalition, récupèrent Aden et de nombreuses villes. La coalition continue de bombarder l’armée des milices, les installations gouvernementales, mais aussi les maisons privées.
Les Émirats arabes unis appuient le mouvement indépendantiste du Sud Al-Hirak avec de l’argent et des armes et créent des camps pour y établir un Conseil de transition du Sud. Ce dernier se retourne contre les forces gouvernementales du président Hadi et prend le contrôle d’Aden. La coalition aide le Conseil de transition et cible les milices houthi et les soldats des forces gouvernementales. Ainsi, la capitale économique et deuxième ville du pays passe aux mains de milices soutenues par les Émirats. La capitale Sanaa, elle, reste aux mains de milices houthi, soutenues par l’Iran.
La coalition continue de bombarder au rythme de 10 raids par jour, sans faire de différence entre les civils et les militaires. Les milices houthi continuent, quant à elles, de bombarder des villes sous contrôle des forces gouvernementales. Elles commettent également des meurtres, des emprisonnements et des pillages qui sont des violations des droits et des libertés. Les Nations Unies, le Conseil de sécurité et de nombreuses superpuissances occidentales interviennent et apportent leur soutien à la coalition. Tout en fermant les yeux sur les différents crimes commis, en y vendant des armes par exemple.
La milice houthi profite également des programmes d’aide des Nations Unies. En effet, la majeure partie du soutien financier aux programmes et projets va aux milices sous le nom d’organisations locales. Les Nations Unies soutiennent également le programme de déminage, mais celui-ci sert à financer la mise en place de nouvelles mines. De plus, les Iraniens et les experts du Hezbollah entrent et sortent de Sanaa par des avions des Nations Unies.
La situation aujourd’hui au Yémen
Aujourd’hui, la situation au Yémen est considérée comme la pire crise humanitaire au monde selon l’ONU. En effet, plus de 20 millions de personnes (près de 70% de la population) dépendent de l’aide humanitaire et plus de 12 millions de personnes nécessitent un soutien d’urgence. La guerre et ses conséquences sont les causes de cette crise humanitaire sans nom.
Le conflit a déjà fait plus de 377.000 morts, victimes directes et indirectes d’une guerre qui dure depuis plus de 7 ans. La plupart des morts au Yémen résultent de causes indirectes dues à la famine, aux maladies et au manque d’accès aux soins. A côté, il y a les victimes directes, dues au conflit ouvert : bombardements, affrontements terrestres, victimes collatérales des balles perdues.
Des pays européens impliqués indirectement dans le conflit
La situation au Yémen est critique, pourtant de nombreux pays sont impliqués indirectement dans le conflit, notamment parce qu’ils vendent des armes à l’Arabie Saoudite. Ils aident et portent assistance à des actes internationalement illicites en violation du droit international. Ils soutiennent, tout en connaissance de cause, des crimes de guerre. En effet, des fuites inédites de documents « secret défense » et des enquêtes, ont révélé en 2019 l’usage massif d’armes européennes dans la guerre au Yémen. Après plusieurs mois d’enquête, le site d’investigation français créé en 2018, Disclose, a démontré que ces armes sont employées contre des civils. L’enquête révèle aussi que des navires de guerre français participent au blocus maritime qui affame la population, car il empêche l’aide humanitaire d’être acheminée.
Une autre enquête, #BelgianArms, documente quant à elle la présence d’armes belges, et en particulier wallonnes, au Yémen. En effet, des armes fabriquées par trois producteurs wallons – CMI Defence, FN Herstal et MECAR – y sont bien présentes, et ce malgré les assurances du Ministre-président wallon que ces armes ne sont “aucunement destinées à mener des opérations militaires en dehors de l’Arabie saoudite“. Elles ont été livrées à plusieurs reprises et pourtant, selon l’Observatoire des armes wallonnes, ces armes sont largement utilisées sur le terrain.
Les deux principaux pays qui vendent des armes à l’Arabie saoudite sont les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont exporté à eux seuls 84% d’entre elles, pour 21 milliards d’euros en 2017. La France quant à elle en exporte 4%. Les autres pays ont des contrats plus limités. La Belgique exporte en 2018 pour 225,7 millions d’euros d’armes vers l’Arabie Saoudite, ce qui représente 23,8% du montant total lié aux licences d’exportation cette même année, selon Amnesty International.
La pression d’ONG face au durcissement du conflit au Yémen
En 2017, la Coordination Nationale d’Action pour Paix et la Démocratie (CNAPD), la Ligue des Droits Humains (LDH), et Vredesactie ont, avec le soutien d’Amnesty International, attaqué la Région wallonne en justice pour qu’elle cesse ses exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et les autres États qui violent massivement les droits humains.
En 2019, à l’occasion du 7ème anniversaire du décret wallon sur le commerce des armes, les 9 organisations non gouvernementales signataires ont appelé la Wallonie à arrêter immédiatement ses ventes et ses exportations d’armes à destination des pays qui commettent de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains. Et en particulier l’Arabie Saoudite. Selon ces ONG, il devient urgent que le gouvernement wallon, ainsi que le gouvernement fédéral et l’Union européenne, cessent de faire passer leurs intérêts économiques avant les vies de civils et le respect de ses engagements internationaux, conformément au décret.
La pression semble fonctionner, mais le combat doit continuer
Face à l’augmentation des conflits et une pression plus grande sur les pays exportateurs, certains pays ont fait le choix d’arrêter leurs ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Notamment grâce à des campagnes de longue haleine d’ONG comme Amnesty International. De nombreux États européens ont déjà annoncé la suspension des transferts d’armes. Depuis la mi-juin 2019, les autorités et les tribunaux de 6 autres pays ont pris des décisions positives en ce sens. Il s’agit du Danemark, de la Norvège, de la Suisse, de l’Italie, de l’Espagne et des Pays-Bas.En Belgique, en 2020, le Conseil d’État a suspendu 17 licences d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et, en 2019, celui-ci avait déjà décidé d’annuler plusieurs licences d’exportation d’armes octroyées à ce même pays par la Région wallonne en 2017. Ces décisions font suite à l’action de la Ligue des droits humains, de la CNAPD et de Vredesactie, soutenues par Amnesty International.[3]
Dans le rapport annuel 2020 concernant le commerce des armes wallonnes, on ne voit plus apparaître l’Arabie Saoudite dans la liste des clients wallons. Selon François Graas d’Amnesty International toutefois, « l’absence de vente vers l’Arabie Saoudite en 2020 n’est clairement qu’une parenthèse. Notre action en justice au Conseil d’État contre des licences d’armes vers l’Arabie Saoudite a mis en pause les ventes en 2020, mais on voit déjà, à travers les chiffres de la Banque Nationale, que les ventes vers l’Arabie Saoudite ont repris en 2021“. Un élément que refuse de confirmer le cabinet Di Rupo.[3] Et puis, s’il n’y a pas eu de ventes directes en 2020, il y a eu les ventes indirectes. En effet, en 2014, la Wallonie a signé un contrat avec le groupe canadien General Dynamics pour la fourniture, pendant 10 ans, à l’Arabie Saoudite, de tourelles et de canons qui vont équiper plusieurs centaines de chars d’assaut. Ce contrat fait du Canada le principal importateur d’armes wallonnes avec 1,8 milliard d’euros en 2020, soit 69% du total des exportations[5]
Les rôles que peuvent jouer la Belgique et L’Europe
La Belgique et l’Europe ont un rôle à jouer dans les réponses à apporter à cette crise humanitaire. Plusieurs niveaux d’action existent pour venir en aide à la communauté yéménite. D’abord, le gouvernement belge peut se positionner face à cette crise humanitaire. La question de la guerre au Yémen doit être portée au niveau européen et à l’ONU pour favoriser la mobilisation de la communauté internationale afin d’organiser l’aide humanitaire et faire reculer la famine, la pauvreté et la précarité des Yéménites.
La Belgique et l’Europe peuvent également agir en cessant leur implication dans le conflit, en arrêtant de livrer des armes à l’Arabie saoudite qui ne respecte pas les droits fondamentaux et le droit international. Ce commerce est mortel. Ce commerce c’est la honte. Il est inacceptable que des armes belges permettent la mort de civils yéménites innocents. Ne laissons pas passer cette situation sous silence.
Enfin, la Belgique peut agir en participant davantage au financement du soutien des ONG qui y réalisent des actions humanitaires en vue de protéger la santé des Yéménites, reconstruire les bâtiments essentiels détruits et y faire reculer la pauvreté.
Mohamed Al-Olofi, Marine Gaillard, Merlin Gevers*
* Respectivement, réfugié yéménite en Belgique depuis 2019, travailleuse associative, travailleur au Réseau wallon de lutte contre la pauvreté.
[1] Les houthi, tirent leur nom de leur leader, Hussein Badreddine Al-Houthi et de ses frères, fondateurs d’une milice armée de rite zaïdite, active initialement dans le gouvernorat de Saadah (Nord-ouest) avant de d’étendre ses forces à la quasi-totalité du pays.
[2] Colonie britannique de 1839 à 1967, le Yémen du Sud s’est unifié au Yémen du Nord en 1990
[3]
https://www.amnesty.be/campagne/pour-controle-ventes-armes/campagne-wallonie-immorale/lawallonieimmorale
[4]
https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/petite-pause-dans-la-vente-d-armes-wallonnes-vers-l-arabie-saoudite/10367107.html
[5]
https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/petite-pause-dans-la-vente-d-armes-wallonnes-vers-l-arabie-saoudite/10367107.html