La RAI a déprogrammé le 20/04 la lecture par Antonio Scurati d’un texte qui devait être lu dans le cadre de l’anniversaire le 25/04 de la victoire sur le facisme italien. Dans ce monologue, censuré par la RAI (la télévision publique italienne), Scurati accuse Giorgia Meloni et son parti, Fratelli d’Italia, de réécrire l’Histoire. Il revient également sur les liens entre l’extrême droite italienne et la tradition fasciste. Le monologue a été lu à l’antenne par la présentatrice de l’émission « Chesarà… » et a ensuite circulé sur Internet, à la radio et sur les réseaux sociaux. Scurati dénonce l’incapacité de Giorgia Meloni à revendiquer l’antifascisme, soulignant que tant que ce terme ne sera pas prononcé par ceux qui gouvernent, le spectre du fascisme continuera de hanter la maison de la démocratie italienne. Nombreux sont ceux qui ont apporté leur soutien à Scurati. Nous publions à notre tour une traduction du discours de Scurati (version abrégée du texte publié la veille sur le journal la Republica – version italienne ci-dessous) :
“Giacomo Matteotti a été assassiné par des tueurs fascistes le 10 juin 1924. Cinq d’entre eux l’attendaient devant sa maison, tous des escadristes venus de Milan, des professionnels de la violence engagés par les plus proches collaborateurs de Benito Mussolini. L’honorable Matteotti, secrétaire du Parti socialiste unifié, dernier parlementaire à s’opposer encore ouvertement à la dictature fasciste, est enlevé en plein centre de Rome, en plein jour. Il s’est battu jusqu’au bout, comme il l’avait fait toute sa vie. Ils l’ont poignardé à mort, puis ont démembré son cadavre. Ils l’ont replié sur lui-même pour pouvoir l’enfoncer dans une fosse mal creusée avec une lime de forgeron”.
“Mussolini est immédiatement informé. En plus du crime, il s’est rendu coupable de l’infamie d’avoir juré à la veuve qu’il ferait tout son possible pour lui ramener son mari. Pendant qu’il jurait, le Duce du fascisme gardait les papiers ensanglantés de la victime dans le tiroir de son bureau”. “En ce faux printemps, nous ne commémorons pas seulement l’assassinat politique de Matteotti, mais aussi les massacres nazis-fascistes perpétrés par les SS allemands, avec la complicité et la collaboration des fascistes italiens, en 1944. Fosse Ardeatine, Sant’Anna di Stazzema, Marzabotto. Ce ne sont là que quelques-uns des lieux où les alliés démoniaques de Mussolini ont massacré de sang-froid des milliers de civils italiens sans défense. Parmi eux, des centaines d’enfants et de nourrissons. Beaucoup ont même été brûlés vifs, certains décapités”. “Ces deux anniversaires funèbres concomitants – printemps 24, printemps 44 – proclament que le fascisme a été tout au long de son existence historique – et pas seulement à la fin ou occasionnellement – un phénomène irrémédiable de violence politique systématique meurtrière et massacrante. Les héritiers de cette histoire le reconnaîtront-ils pour une fois ? Tout porte malheureusement à croire que non. Le groupe post-fasciste au pouvoir, après avoir remporté les élections d’octobre 2022, avait deux voies devant lui : renier son passé néo-fasciste ou tenter de réécrire l’histoire. Il a sans aucun doute choisi la seconde voie”.
“Après avoir évité le sujet pendant la campagne électorale, le Premier ministre, lorsqu’il a été contraint de l’aborder à l’occasion d’anniversaires historiques, s’est obstinément tenu à la ligne idéologique de sa culture néo-fasciste d’origine : elle a pris ses distances avec les actes de cruauté indéfendables perpétrés par le régime (la persécution des juifs) sans jamais répudier l’expérience fasciste dans son ensemble, elle a reporté sur les seuls nazis les massacres perpétrés avec la complicité des républicains fascistes, et enfin elle a renié le rôle fondamental de la Résistance dans la renaissance italienne (au point de ne jamais prononcer le mot ‘antifascisme’ à l’occasion du 25 avril 2023).” “Au moment où je vous parle, nous sommes à nouveau à la veille de l’anniversaire de la Libération du nazi-fascisme. Le mot que le Premier ministre a refusé de prononcer résonnera encore sur les lèvres reconnaissantes de tous les démocrates sincères, qu’ils soient de gauche, du centre ou de droite. Tant que ce mot – antifascisme – ne sera pas prononcé par ceux qui nous gouvernent, le spectre du fascisme continuera à hanter la maison de la “démocratie italienne”.
Une vidéo de 53 écrivains italiens lisant le monologue de Scurati a été réalisée et hébergée sur Lucy, une revue culturelle multimédia.
Le texte de Scurati en italien :
«Giacomo Matteotti fu assassinato da sicari fascisti il 10 di giugno del 1924. Lo attesero sotto casa in cinque, tutti squadristi venuti da Milano, professionisti della violenza assoldati dai più stretti collaboratori di Benito Mussolini. L’onorevole Matteotti, il segretario del Partito Socialista Unitario, l’ultimo che in Parlamento ancora si opponeva a viso aperto alla dittatura fascista, fu sequestrato in pieno centro di Roma, in pieno giorno, alla luce del sole. Si batté fino all’ultimo, come lottato aveva per tutta la vita. Lo pugnalarono a morte, poi ne scempiarono il cadavere. Lo piegarono su se stesso per poterlo ficcare dentro una fossa scavata malamente con una lima da fabbro. Mussolini fu immediatamente informato.
Oltre che del delitto, si macchiò dell’infamia di giurare alla vedova che avrebbe fatto tutto il possibile per riportarle il marito. Mentre giurava, il Duce del fascismo teneva i documenti insanguinati della vittima nel cassetto della sua scrivania. In questa nostra falsa primavera, però, non si commemora soltanto l’omicidio politico di Matteotti; si commemorano anche le stragi nazifasciste perpetrate dalle SS tedesche, con la complicità e la collaborazione dei fascisti italiani, nel 1944. Fosse Ardeatine, Sant’Anna di Stazzema, Marzabotto. Sono soltanto alcuni dei luoghi nei quali i demoniaci alleati di Mussolini massacrarono a sangue freddo migliaia di inermi civili italiani. Tra di essi centinaia di bambini e perfino di infanti. Molti furono addirittura arsi vivi, alcuni decapitati.