Trump veut que les Etats européens portent à 5% du PIB leurs dépenses militaires.
En décembre, le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a déclaré vouloir doubler le financement de l’OTAN en réduisant les montants consacrés aux retraites, à la santé et à la sécurité sociale pour financer le réarmement européen face à la « nouvelle menace » russe. Ce 5 mars, les 27 Etats membres de l’Union européenne se sont accordés sur le principe d’un plan de réarmement à 800 milliards d’euros, qui grèvera plus encore leurs finances tandis que continueront les coupes claires dans les autres budgets.
Réarmer sur de telles bases ne fera qu’accroître la méfiance de la majorité des populations. Pourquoi accepteraient-elles une telle ponction et de verser une goutte de leur sang pour défendre une Europe des banques et du profit ?.
La question du financement d’une meilleure défense moyennant un nouveau recul social se pose avec d’autant plus d’acuité que les Etats de l’UE membres de l’OTAN paient ensemble deux fois plus pour leur défense en termes courants que la Russie. Qu’en parité de pouvoir d’achat, celle-ci dépenserait aujourd’hui 1,4 fois plus que les 27 pour sa défense (CESD 2025, CAPRI 2025) ne change rien à ce qu’elle doit couvrir 20.000 km de frontières terrestres contre moins de 5.000 pour les 27, dont l’espace aérospatial est bien moindre à sécuriser que le russe. Il n’est donc pas nécessaire d’accroître les dépenses militaires, mais de mieux utiliser les moyens disponibles dans la voix gaullienne d’une dissuasion du faible au fort.
Dans le même sens, il s’agit de ressusciter la Doctrine Harmel et de rétablir des relations de bon voisinage mutuellement profitables avec la Russie sur la base d’une nouvelle architecture de sécurité, qui garantisse la paix et la prospérité sur notre continent. C’est la solution proposée par Dominique de Villepin, Premier ministre français (gaulliste) de 2005 à 2007. Concernant l’Ukraine, chacun sait en Suisse que la neutralité (fût-elle imposée, comme à la Belgique en 1830, amputée de 15% de son territoire en 1839) n’a jamais empêché un pays de s’enrichir. L’Ukraine peut aussi le faire. Les décideurs devraient s’inspirer de ces précédents.
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Bref, il importe de refinancer l’Etat providence, la transition énergétique et l’impérieuse préservation de la biodiversité conjointement avec une défense européenne autonome et crédible.
Faut-il ajouter qu’un autre danger – au moins aussi grand que la « menace » russe ou le réchauffement climatique – guette en effet l’UE, à savoir les tensions croissantes entre les élites dirigeantes et la majorité de la population, de plus en plus tentée par l’extrême droite et le populisme.
Autrement dit, l’UE et ses Etats membres doivent renouer avec l’esprit du pacte qui a défini la politique sociale après 1945.
A ces fins, plusieurs conditions doivent être réunies.
Tout d’abord, les dépenses militaires des Etats de l’UE doivent servir à développer l’industrie de défense européenne et non à nourrir le complexe militaro-industrielétats-unien. Plus généralement, les Européens doivent assurer eux-mêmes leur propre défense sans plus compter sur un allié qui les traite plus en sujets qu’en partenaires égaux.
Ensuite, il faut réindustrialiser l’Europe. Cet objectif passe par un renforcement du contrôle public de secteurs définis comme stratégiques. Il convient aussi d’envisager un grand plan européen d’investissement dans la recherche, l’intelligence artificielle et les industries de pointe sur base de plans pluriannuels indicatifs afin d’assurer à terme l’autonomie dans tous les domaines clefs. Ces objectifs passeront par un protectionnisme intelligent aux frontières de l’UE, la restauration du contrôle des changes et une mise à plat des politiques fiscales et des sanctions contre les paradis fiscaux tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la zone euro.
Enfin, il s’avère nécessaire d’abroger l’article 123 du Traité de Lisbonne qui interdit aux Etats de l’UE d’emprunter directement auprès de la Banque centrale européenne et qui a contribué à creuser un déficit abyssal dans les finances publiques, pour le plus grand bonheur des marchés financiers. De même, il y a urgence à annuler partiellement ou totalement la dette publique des Etats de l’UE. On songera particulièrement à la dette Covid détenue par la BCE. Des précédents existent, comme la réduction des 2/3 de la dette de l’Allemagne en 1953. L’enjeu était de taille : arrimer celle-ci au camp occidental. Tout est possible quand la volonté politique existe : pareille réduction libérerait près de 2.000 milliards d’euros pour la France, 1.700 pour l’Allemagne, 400 dans le seul petit cas belge.
Si la Russie est aussi menaçante que le dit Rutte, alors l’enjeu vaut bien une diminution drastique de la dette. Des propositions existent. Ainsi l’appel de 150 économistes émis le 5 février 2021 pressant les autorités d’annuler les dettes publiques que la BCE détient (environ 2.500 milliards d’euros en 2020). Cela permettrait de refonder le fédéralisme européen sur la solidarité. A défaut, on peut craindre que l’UE finisse par imploser.
Voilà des pistes que nos dirigeants feraient bien d’examiner sérieusement au lieu de s’employer à démanteler les acquis sociaux et de prendre ainsi le risque d’une paupérisation et d’une polarisation sociale croissantes, qui feront tôt ou tard le jeu d’un pays membre de l’internationale réactionnaire, qu’il s’agisse de la Russie ou des USA.
Xavier Dupret, économiste, et Léon Saur, historien
Arricle proposé par Xavier Dupret.