Le mouvement pacifiste italien a des racines profondes qui vont puiser à la fois dans la tradition du Parti communiste italien et dans celle du mouvement catholique. Historiquement, c’est sans doute en Italie que le mouvement pour la paix a été le plus présent et le plus massif. Lors des guerres d’Irak, Rome a été la capitale de la protestation contre les interventions étrangères et pour la paix, mobilisant des centaines de milliers de manifestants. Et dans les années 80, c’est aussi en Italie que les manifestations contre l’installation des missiles américains et russes en Europe ont été les plus nombreuses et les plus suivies[i].
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Après que l’Italie ait décidé, comme les autres pays européens d’envoyer des armes à l’Ukraine, Landini a déclaré : « Il n’y a pas de guerres justes ni de bombes intelligentes (…) On n’arrête pas la guerre avec d’autres guerres et on ne l’arrête pas en envoyant des armes au peuple ukrainien ». Comme bien d’autres qui défendent cette position, Landini a été traîné dans la boue et accusé de ne pas faire de différence entre agresseurs et agressés, alors que sa solidarité avec le peuple ukrainien et sa condamnation de Poutine est sans failles. Landini n’est pas le seul à être victime de ce type d’attaques qui prend des allures de chasse aux sorcières[v]. Lors d’un débat télévisé, le professeur Alessandro Orsini, directeur de l’Observatoire de la Sécurité internationale à la Luiss (la Business School romaine), après avoir formellement condamné la guerre de Poutine, avait mis en cause la responsabilité de l’élargissement de l’OTAN dans les causes du conflit. Il a été rappelé à l’ordre par son université qui lui intime de s’abstenir désormais de tout commentaire personnel sur la situation en Ukraine. À l’université Bicocca de Milan, c’est le cours de l’écrivain Paolo Nori sur Dostoïevski qui a été annulé pour « éviter des tensions »… Ou encore le correspondant de la RAI à Moscou accusé par le PD de complaisance avec Poutine pour avoir fait son métier en exposant les positions russes[vi]. Il faut dire que l’Italie qui était un partenaire privilégié de la Russie (et qui, en matière énergétique, dépend pour 40% du gaz russe) a considérablement durci sa position à l’égard de Moscou notamment sous la pression du PD (centre gauche) d’Enrico Letta au premier rang des discours « va-t-en-guerre ».
De son côté, Luciana Castellina appelle aussi à une autocritique du mouvement pacifiste italien qui s’est endormi au cours des dernières années : « Si nous ne voulons plus considérer la guerre comme un instrument de la politique étrangère – et nous le devons –, il faut empêcher que le mouvement pacifiste soit seulement une protestation intermittente. Les guerres peuvent être arrêtées seulement en combattant celui qui la prépare ».
Ce débat sur le pacifisme est fondamental dans le contexte actuel[ix]. Il est clairement posé en Italie qui constitue une exception en la matière : aucun autre pays n’a connu jusqu’ici une telle mobilisation qui se construit en opposition au discours politique et médiatique dominant. Mener ce débat, dans ces conditions, est extrêmement difficile, mais il est indispensable – on peut dire « vital » dans ce cas – si l’on veut avoir une chance de mettre un terme aux souffrances du peuple ukrainien et éviter l’apocalypse nucléaire.
* Paru sur le blog-note de Hugues Le Paige : https://leblognotesdehugueslepaige.be/le-pacifisme-a-litalienne-un-exemple-et-un-defi-vital/
[i] Avec aussi, il faut le rappeler, la Belgique où en 1981 et 1983 le mouvement pacifiste belge a réussi à faire descendre dans la rue respectivement 200 et 400.000 manifestants contre la présence des missiles en Europe. Pour un pays comme la Belgique avec une population, à l’époque, de moins de 10 millions d’âmes, ces chiffres sont considérables.
[ii] Notamment pour protester sur l’enseignement en alternance et les conditions de stage en entreprise, après la mort de deux lycéens lors de ces stages.
[iii] Associazione Nazionale Partigiani d’Italia est une association fondée par des participants de la résistance italienne contre le régime fasciste italien et l’occupation nazie.
[iv] Fondée au lendemain du Concile Vatican II, notamment par Andrea Riccardi, cette communauté est engagée dans lutte contre la pauvreté, le travail pour la paix, mais aussi la solidarité avec les migrants. https://www.santegidio.org/pageID/30056/langID/fr/PAIX.html .
[v] Voir à ce sujet mon Blog-Notes du 27 février : https://leblognotesdehugueslepaige.be/ukraine-pour-la-solidarite-contre-la-chasse-aux-sorcieres/
[vi] En Belgique, la RTBF développe aussi sa conception de « l’information de guerre ». « Vu les circonstances », les « hautes autorités de la RTBF » ont décidé de censurer un débat où intervenait Pierre Galand, figure historique du mouvement pacifiste. Le débat suivait la diffusion d’un documentaire sur le mouvement pacifiste des femmes qui avaient lutté contre l’installation des missiles en Grande-Bretagne en 1983. Le débat avait été enregistré avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le JT de la RTBF s’est ensuite distingué en diffusant sans la moindre restriction le portrait d’un militant d’extrême droite partant combattre en Ukraine.
[vii] https://ilmanifesto.it/la-pace-deve-combattere-la-guerra-prima-che-scoppi/ .Luciana Castellina, militante et responsable du PCI jusqu’à son exclusion en 1969 avec le groupe du Manifesto, ensuite cofondatrice et élue du PDUP (Parti d’Unité Prolétarienne pour le communisme). Elle réintégrera le PCI en 1985 à la demande d’Enrico Berlinguer. Par ailleurs très active dans la défense du cinéma européen.
[viii] Le Soir (Bruxelles) du 7 mars 2022
[ix] Voir aussi à sujet, l’excellente et récente analyse de Gregory Mauzé : « Le mouvement pour la paix, l’autre victime de Poutine ». https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/03/0.