CROYEZ-VOUS QUE NOUS POUVONS VIVRE SANS VOUS ?
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Mais rappelons-nous toujours de René Girard (Achever Clausewitz) : « L’apocalypse n’annonce pas la fin du monde ; elle donne une espérance. Qui voit tout à coup la réalité n’est pas dans le désespoir absolu de l’impensé moderne, mais retrouve un monde où les choses ont un sens. L’espérance n’est possible que si nous osons penser les périls de l’heure. À condition de s’opposer à la fois aux nihilistes, pour qui tout n’est que langage, et aux « réalistes », qui dénient à l’intelligence la capacité de toucher la vérité : les gouvernants, les banquiers, les militaires qui prétendent nous sauver, alors qu’ils nous enfoncent chaque jour un peu plus dans la dévastation ». Je répète souvent cet extrait : il est nécessaire pour comprendre le « droit à la pauvreté ».
Une vaste foire à l’incompétence, à la malhonnêteté, à la lâcheté
Pendant ce temps-là, on lit par-ci par-là qu’en termes d’émission de gaz à effet de serre, un Américain des États-Unis vaut plus de 100 Nigériens (c.-à-d. citoyens du Niger)[2]. On peut sans doute remplacer « Américain », par « Européen », ou par « Chinois ». On voyait à la télévision un reportage montrant des touristes chinois[3] à Paris (c’était avant les gilets jaunes, avant le COVID, avant l’Ukraine) qui se plaignaient de ne pas pouvoir dépenser tout leur argent parce que ces feignants de Parisiens fermaient leurs commerces de luxe le dimanche (ces Chinois pensaient sans doute que tous les Français perdaient leur temps et leur argent en allant à la messe du dimanche matin). Et ces Chinois d’agiter tristement devant la caméra des billets de 100€, ou de 200€, voire 500 -€[4] (je ne sais pas où ça s’arrête), qu’ils sont obligés de rempocher tristement : personne n’en veut. Naïf, je pensais que ce peuple quatre fois millénaire (donc rien que de vieux sages de génération en génération) ne suivait que Bouddha, ou Confucius, ou Lao Tseu. Pas du tout. Ils nous imitent dans ce qu’on a produit de pire : le nouveau riche à Rolex. Pfouh… !
- Par exemple à partir de Ch. Péguy : « On confond presque toujours la misère avec la pauvreté ; cette confusion vient de ce que la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont voisines sans doute, mais situées de part et d’autre d’une limite ; et cette limite est justement celle qui départage l’économie au regard de la morale… Quand tout homme est pourvu du nécessaire, du vrai nécessaire, le pain et les livres, peu nous importe la répartition du luxe».
- Par « pauvreté », nous entendons avoir assez d’argent pour vivreOu à partir de Virginia Woolf (Trois guinées)[5]: « Les quatre grands maîtres des filles cultivées sont : la pauvreté, la chasteté, la dérision et la liberté à l’égard des loyautés idéalistes. Par « pauvreté », nous entendons avoir assez d’argent pour vivre, c’est-à-dire que vous devez gagner assez d’argent pour être indépendante de tout autre être humain et pour acheter ce minimum de santé, de loisir, de connaissance, etc., nécessaires à l’épanouissement total de votre corps et de votre esprit. Mais pas plus. Pas un sou de plus… Par « chasteté », nous entendons qu’après avoir gagné suffisamment d’argent pour vivre de votre profession, vous devrez refuser de vendre votre cerveau pour des raisons financières. Par « dérision », nous entendons qu’il vous faudra refuser tout système tendant à afficher vos mérites : que vous devez avoir la conviction que, pour des raisons psychologiques, le ridicule, l’obscurité et la censure sont préférables à la célébrité et aux louanges. Si l’on vous offre des insignes, des titres ou des diplômes, jetez-les immédiatement à la tête de celui qui vous les offre. Par « liberté à l’égard des loyautés artificielles », je veux dire qu’il vous faudra vous débarrasser en premier lieu de tout orgueil… »
Armés de cela, nous pouvons commencer à définir ce que nous entendons par « droit à la pauvreté[6] » (comme rempart contre la misère et contre la démesure), en nous inspirant d’abord de Bruno Latour d’Ivan Illich. En vrac :
- Le droit de ne pas traverser la route quand on nous dit qu’il y a du travail de l’autre côtéLe droit que la production ne définisse plus notre seul horizon, et le droit de ne plus se laisser définir par la seule économisation. Le droit de se protéger contre une pauvreté modernisée (misère des pays riches), et contre une nouvelle misère des pauvres (misère des pays pauvres).
- Le droit de s’imposer des limites (en se méfiant de tous ceux qui nous veulent du bien). Établir, par accord politique, une autolimitation. Donc le droit de désobéir à nos Magistrats qui se réduisent à un corps d’ingénieurs de la croissance.
- Le droit de lutter par tous les moyens pour maintenir les conditions d’habitabilité du monde
- Le droit de rester immobile quand le mot d’ordre est « En avant».
- Le droit de ne pas traverser la route quand on nous dit qu’il y a du travail de l’autre côté. De l’autre côté de la route, je ne vois qu’un trottoir. Avons-nous envie de faire le trottoir ?
- Le droit de travailler à un renversement et non de subir des « transitions ». Le droit de définir notre sens de l’histoire, vers le vivant. De laisser les « morts enterrer les morts». Le droit de circonscrire le champ de la survie humaine.
- Le droit de protéger l’abeille plutôt que l’apiculteur.
- Le droit de renverser les étals des marchands du temple.
- Le droit de ne pas croire en des jours meilleurs, mais simplement d’espérer des jours futurs.
- Le droit de ne plus être la matière première que travaille l’outil. Le droit d’opter pour une société conviviale où c’est l’homme qui contrôle l’outil. Une société conviviale qui repose sur des contrats sociaux. Une société conviviale qui écoute le réalisme des humbles.
- Le droit à une santé qui ne soit pas considérée comme une marchandise. Le droit de refuser de cotiser pour une recherche scientifique qui ne se concentre que sur les maladies qui frappent les Blancs vieillissants et surnourris. Le droit de ne pas être manipulé par les multitudes de thérapies pédagogiques, médicales et
Marc Réveillon
Parution sur L’Escargot Déchaîné,
newsletter du mouvement politique des objecteurs de croissance.
[1] Mais les Nations Unies disent que la pauvreté diminue. À qui se fier ? Ils oublient de préciser que la pauvreté diminue à mesure que la misère augmente.
[2] En termes démographiques, il vaut donc mieux laisser les Nigériens continuer de se reproduire comme des lapins, et empêcher les pays riches d’avoir des enfants. Nos enfants sont de grands consommateurs d’énergie fossile et de plastique… On est tellement heureux quand ils nous ressemblent…
[3] Je dis « chinois », mais, bon, je ne leur ai pas demandé leur passeport. Je juge sur la mine.
[4] Jusqu’où la propagande va se nicher… !
[5] Ce qu’elle dit en substance est : « Pourquoi voudriez-vous que je réclame l’égalité avec les hommes ? Mes pères et frères éduqués, avec leurs diplômes de grandes écoles, ne sont finalement que des brutes épaisses… Pourquoi en faire des références en quoi que ce soit ?»
[6] Ces droits doivent être inscrits dans des lois, évidemment, pas dans des plans ou des programmes. (Voir Alain Supiot – La gouvernance par les nombres-)