Le climat et les gilets

Ce dimanche, des dizaines de milliers d’entre nous iront manifester à Bruxelles pour exiger de nos gouvernants qu’ils s’attaquent enfin aux changements climatiques qui menacent notre planète. Depuis deux semaines, des milliers de citoyens, en France et en Belgique, crient leur détresse devant la paupérisation croissante dont ils sont victimes et leurs difficultés insurmontables à boucler leurs fins de mois; ils s’attaquent notamment à l’augmentation des taxes appelées “environnementales” par ces mêmes gouvernants. Y a-t-il des liens entre ces deux démarches ?

En 2015, la Belgique était la risée de la COP21, cette conférence internationale sur le climat qui décidait d’une série de mesures visant à limiter le réchauffement climatique et à sauver la planète d’une lente destruction qui menace directement des centaines de millions de personnes à cause de la montée des eaux. Jusqu’à la veille de la conférence, les ministres de l’environnement du gouvernement fédéral et des entités fédérées ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur des objectifs même minimalistes. Depuis cette fameuse COP21, les principales décisions de nos gouvernants ont été de tenter de reporter à plus tard les engagements pris en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Aucun investissement dans la mobilité et les transports publics qui permettraient de réduire drastiquement les émissions de CO2 par les voitures; pire, une réduction catastrophique des budgets de la SNCB. Aucune politique d’isolation massive des habitations privées et des bâtiments publics; pire, une suppression par le gouvernement fédéral des primes à l’isolation qui existaient précédemment. Aucun plan énergétique durable; pire, des prolongations successives de nos centrales nucléaires qui sont parmi les plus vieilles du monde et qui, après plus de 40 ans de fonctionnement, ne peuvent que tomber de plus en plus fréquemment en panne.

Depuis deux ans, les rapports des experts du climat se font de plus en plus alarmistes et, en dehors des discours officiels qui se doivent d’être rassurants, ces experts admettent que l’objectif de limiter l’augmentation de température à 2° n’est déjà plus atteignable. Et ce qui était prévision de scientifiques est devenu réalité tangible pour les populations du monde entier : températures jamais atteintes dans certains pays, cyclones de plus en plus violents, périodes de sécheresse de plus en plus longues, forêts et villes détruites par le feu.

Et que font nos gouvernants ? Ils introduisent des taxes qu’ils appellent « environnementales » qu’ils ont le culot de faire payer non pas aux responsables de la pollution, mais à toute la population, y compris la plus précarisée, en osant affirmer qu’elles sont nécessaires pour assurer la « transition écologique ». C’est un peu comme si, face aux incendies qui ont ravagé des villes en Californie, on exigeait de chaque Californien qu’il aille personnellement jeter une cuillerée d’eau sur l’incendie.

Aujourd’hui, les 100 entreprises les plus polluantes au monde produisent à elles seules 70% des émissions de CO2 industriel. Une personne faisant partie des 1% les plus riches au monde génère en moyenne 175 fois plus de CO2 qu’une personne se situant dans les 10% les plus pauvres. Mais nos gouvernants, qui font tout pour favoriser l’évasion fiscale massive de ces entreprises et de ces super-riches, demandent qu’un pensionné ou un travailleur qui gagne moins de 900€ par mois paie une taxe pour assurer la « transition écologique ». Les Macron et autre Michel, qui ont si largement contribué à abaisser les impôts des plus riches et des multinationales, viennent raconter la main sur leur cœur devenu écologiste que, même si c’est difficile pour les gens à faible revenu de payer encore un impôt de plus, c’est la seule manière de contribuer à sauver la planète.

Sauver la planète demande d’abord une vraie volonté de changer complètement de système économique et demandera aussi des investissements substantiels, d’ailleurs massivement créateurs d’emplois. Or ce n’est pas l’argent qui manque pour ces investissements. Mais il faut vouloir le capter et ce gouvernement De Wever-Michel a tout fait pour le laisser filer. En 4 ans de temps, il a éliminé des centaines de postes du Ministère des Finances alors que chaque agent rapporte en impôts prélevés environ 10 fois son salaire. Il a supprimé l’Office Central de lutte contre la Délinquance Economique et Financière Organisée (OCDEFO), l’organe le plus efficace de lutte contre la criminalité financière. Il s’est opposé à la restitution au trésor belge de centaines de millions d’euros résultant de tax rulings déclarés illégaux par la Commission Européenne. Le juge Michel Claise, spécialisé dans les grands dossiers de criminalité financière, situe les pertes annuelles au budget de l’État, dues à l’évasion et la fraude fiscale, entre 22 et 31 milliards. Imaginez ce qu’on pourrait faire avec ces montants en termes de transports publics, de réduction de la pauvreté, d’économies d’énergies, d’accès retrouvé aux soins de santé pour les plus précarisés.

Car dans le même temps où ce gouvernement De Wever-Michel a refusé de s’intéresser à la crise climatique et où il a multiplié les efforts en faveur des plus riches, il a mené une politique systématique de démantèlement des services publics et de détricotage de la sécurité sociale. À la manière d’un rouleau compresseur, il s’est attaqué à toutes les catégories les plus faibles de la population : les pensionnés, les chômeurs, les malades, les femmes, les travailleurs pauvres qu’il oblige à accepter des jobs-jobs-jobs sans sécurité sociale et dont les salaires ne permettent pas de nourrir une famille au-delà du 20ème jour du mois. Depuis 2 ans, le taux de pauvreté a augmenté de 6,7% en Belgique, passant de 14,9% à 15,9%; les CPAS n’ont plus assez de personnel pour faire face à l’accroissement de leur « clientèle » et le nombre d’étudiants devant faire appel au CPAS explose.

Dans ce contexte, l’explosion de colère des gilets jaunes n’a rien d’étonnant et doit être soutenue. Elle couvait depuis longtemps; il ne manquait que l’étincelle. Car comment oser demander à un ménage qui habite en milieu rural, qui calcule au litre près son achat d’essence pour encore pouvoir conduire ses enfants à l’école dans la dernière semaine du mois, qui se voit obligé d’annuler son rendez-vous chez le médecin, mais qui est obligé de se rendre à la convocation du Forem, comment oser lui demander de payer des taxes supplémentaires pour son carburant en lui faisant croire que c’est pour assurer la « transition écologique » ? Prétendre assurer l’avenir de la planète par une taxation qui frappe indistinctement les possédants et les précarisés est insupportable, car si pour les riches elle est indolore, elle enfonce encore plus les précarisés dans la misère. Et la manière dont Macron et Michel tentent de dresser l’opinion publique contre les gilets jaunes en les présentant comme des adversaires de la transition écologique est tout aussi insupportable.

On ne peut se battre pour l’écologie que si on se bat contre l’évasion fiscale. Car il n’y a pas de transition écologique sans justice sociale. Et la justice sociale n’est pas possible sans transition écologique. Car ce sont les investissements dans les transports publics, dans l’isolation, dans la santé alimentaire, dans le rétablissement des droits à la santé qui permettront de sortir des catégories entières de la population de la précarité.

Pour tenter de faire oublier son inaction totale sur le climat et pour masquer l’accroissement spectaculaire de la pauvreté et des inégalités que ses politiques ont engendrées, le gouvernement, soutenu par les médias, a inventé de toutes pièces la « crise migratoire ». Quelques milliers de migrants entrent chaque année en Belgique; il y a plus d’un million et demi de belges qui sont en risque de pauvreté; il y a des centaines de millions de personnes sur la planète qui sont menacés de disparition ou de migration forcée à cause du réchauffement. Le phénomène migratoire en Belgique est donc dérisoire par rapport à la pauvreté et à la crise du climat. Arrêtons de nous laisser distraire des vrais problèmes. Participons massivement à la marche pour la planète en obligeant nos gouvernants à s’occuper des urgences du moment : le sauvetage de la planète et la réduction des inégalités.

Michel Gevers
pour la rédaction de POUR


Rendez-vous ce dimanche à la manifestation pour le climat !