Le cas italien, aux origines de la mafia

Salvatore Lupo dans son livre « Histoire de la mafia des origines à nos jours » dépasse les fantasmes et fascinations de ses prédécesseurs. D’après ses recherches, la notion de mafia serait apparue au XIXe siècle en Italie, au départ de la Sicile.

En 1862, le mot est utilisé pour la première fois dans le titre d’une comédie populaire intitulé : « I mafiusi di la Vicaria ». Le terme ressortira par la suite dans de nombreux rapports de préfectures, et désignera sans distinction aussi bien des brigands que des conscrits réfractaires, des notables locaux, de petits délinquants, etc. Et Lupo de préciser :

 

Parmi tous ces sujets si dissemblables, le seul trait unifiant est le contexte dans lequel ils vivent, entendu dans son acception la plus large, celui d’une société violente, barbare et primitive, et ce à tous les échelons de la hiérarchie sociale : les préfets, les commandants militaires, les préfets de police, les commissaires estiment qu’ils ne peuvent trouver là un interlocuteur pour l’Etat libéral […]  Salvator Lupo – Histoire de la mafia des origines à nos jours

 

Ceci illustre le contexte post unitaire italien dans lequel les Siciliens sont considérés comme des adversaires de l’Etat libéral ; leur mode de gestion social et politique irait à l’encontre de ses intérêts. Ce concept de mafia désigne donc à ses débuts, plus une contestation politique de l’Etat central italien qu’une réelle organisation criminelle comme le résume le passage suivant :

Entre le premier usage italien et le premier usage américain du terme, il y a donc des points communs : la mafia est la métaphore d’une incompatibilité avec les valeurs affirmées de l’Etat au XIXe siècle ; en cela, elle apparaît vaguement liée à la subversion politique et, plus encore, elle reflète la crainte de la permanence d’un passé obscur, d’un code culturel hostile à la modernité. Salvator Lupo – Histoire de la mafia des origines à nos jours

 

Une brève généalogie de la mafia

Ce concept désigne dès lors, autant les opposants à la République que les criminels locaux. Il permet ainsi à ceux qui l’utilisent – les acteurs de cette République – de confondre les récalcitrants au pouvoir central et les bandits, et ce, grâce à un concept flou encore indéfini. Il servira aux Etats-Unis, à la fin du XIXe siècle, à discréditer la deuxième vague d’immigration italienne en dénonçant cette forme de criminalité archaïque que renvoyait alors le stéréotype mafieux. Cette incompatibilité avec les valeurs de l’Etat va évoluer au XXe siècle pour devenir une parfaite compatibilité avec le système politico-économique libéral puis néolibéral.

En 1876, la mafia apparaît aux yeux de tous grâce à des commissions parlementaires qui visent à donner une réponse à ce phénomène qui jusque-là semblait uniquement d’ordre politique – comme si la Sicile n’acceptait pas l’autorité de l’Etat central. En cette fin du XIXe siècle, des voix s’élèvent pour dénoncer les accointances entre les autorités locales – préfets de police, propriétaires terriens, garde nationale, etc. – et les bandits ou autres campieri (gardiens privés) dans la région sicilienne. On parle désormais « d’association de malfaiteurs »

La mafia est une organisation criminelle structurée qui nécessite l’assistance de la classe politique et des institutions publiques

La justice a alors du mal à faire son travail étant donné l’infestation mafieuse dans les villes siciliennes, et jusque dans les villages les plus reculés. L’Etat central va alors compter sur des préfets n’ayant pas peur d’user de la violence ou de sortir des carcans législatifs (menace, résidence forcée ou passage à tabac, etc.) pour lutter contre ce problème. Il va dès lors tenter d’imposer son monopole dans l’exercice de la violence sur le territoire sicilien.