C’est l’histoire d’un gars qui, depuis près de 40 ans, roule avec une vieille guimbarde. Comme elle a souvent de plus en plus de pannes, il se demande depuis longtemps s’il ne devrait pas s’en débarrasser et adopter un autre mode de déplacement. Mais son garagiste, un gars pas très net, lui dit que ce modèle est increvable et qu’avec quelques petites réparations, il pourra continuer à utiliser son tacot. Il vient de faire de gros frais mais voici que le moteur vient de lâcher et que son garagiste lui demande d’encore consentir une grosse dépense pour encore faire rouler son tacot. Fauché, notre benêt devra attendre quelques mois avant d’avoir assez de flouze, soit pour encore bricoler son ancêtre, soit adopter un autre monde de transport. Toujours est-il qu’il ne sait plus comment il va pouvoir aller au boulot dans les mois qui viennent…
Vous l’aurez compris, ce petit récit qui se veut humoristique (l’humour n’est-il pas la politesse du désespoir ?) n’est que l’illustration de ce que, nous passagers du char de l’État belge, devons subir en matière de fourniture d’électricité, sans qu’on ne nous demande jamais notre avis… D’une manière plus sérieuse et argumentée, voyons comment l’asbl Fin du nucléaire détaille cette dernière mauvaise histoire belge dans un récent communiqué.
La débâcle du nucléaire annoncée, présente et à venir
Nous le savons, les 7 réacteurs nucléaires belges sont amortis depuis longtemps, 20 ans après leur mise en service[1], dûment payés par les consommateurs via des factures d’électricité élevées, sans qu’il n’y ait jamais eu de débat de société sur ce choix énergétique, ni sur son mode de financement à marche forcée. Grâce à ces réacteurs payés par les consommateurs, à partir de 1995 et plus encore de 2005, Engie Electrabel[2] a engrangé des bénéfices plantureux. Avec la bénédiction des gouvernements belges successifs qui, jouant à fond le jeu de la libéralisation du marché de l’énergie, n’en ont récupéré qu’une petite part, pour combler des déficits budgétaires…
Ce n’est pas tout. Depuis la mise en œuvre de la filière nucléaire, celle-ci a profité de toutes sortes de largesses, à commencer par l’accaparement d’une partie importante des budgets publics de recherche. Les provisions pour le démantèlement des centrales et le stockage des déchets sont insuffisantes et leur gestion sujette à caution : 75% de ces montants étant recyclés par Electrabel pour investissement propre et ils seraient perdus en cas de faillite. Aucune rémunération pour le risque d’accident nucléaire majeur n’est prélevée bien que le coût d’un tel accident pourrait dépasser les 5.000 milliards € alors que la responsabilité d’Engie Electrabel est limitée à 1,2 milliard[3]. Terminons par un exemple tout récent : la ministre de l’Énergie a attribué 10 millions € à des projets de recherche nucléaire, pris dans un fonds de 28 millions attribué à la transition énergétique[4].
Tant les dirigeants d’Engie Electrabel que ceux du pays ont considéré ces réacteurs comme une vache à lait personnelle qui durerait éternellement, malgré les avertissements d’associations citoyennes et de quelques rares représentants politiques. En 2005, dans un document émanant d’un groupe d’associations écologistes, on lisait : « Ce sont les responsables politiques qui seront au pouvoir entre aujourd’hui et 2015-2025 qui détermineront si la loi de sortie du nucléaire de 2003 sera effectivement mise en œuvre. Pour cela, ils doivent dès aujourd’hui mener une politique active pour que les 50% d’électricité d’origine nucléaire dans notre pays ne soient plus nécessaires ou soient produits autrement. Ceci ne pourra être réalisé que grâce à des choix réfléchis :
- Limitation de la demande grâce à l’utilisation rationnelle de l’énergie, amélioration de l’efficacité énergétique et comportements économes ;
- Implantation optimale des sources d’énergie renouvelables ;
- Utilisation de technologies de production d’électricité ayant des rendements élevés, comme la cogénération».
Ceci est resté lettre morte et, aujourd’hui, le fiasco nucléaire et énergétique est total : 5 réacteurs sur 7 à l’arrêt pour de nombreux mois, rejoints bientôt par un 6ème pendant plus d’un mois et, en conséquence, un risque de délestage et même de blackout. Une ministre de l’énergie qui improvise et rejette la faute sur autrui bien qu’elle soit aux commandes depuis 4 ans (avec le soutien du gouvernement). Une situation qui ne trouvera pas de solution avant plusieurs années pendant lesquelles notre sécurité d’approvisionnement sera à la merci des réserves de capacité des pays voisins, en déclin avéré ou probable[5].
À la mi-octobre, pendant plus d’un mois, la Belgique ne disposera que du seul réacteur Doel 3, le réacteur trop vieux de 36 ans aux 13.000 « micro-fissures », qui, en Europe, est certainement le réacteur ayant la probabilité la plus élevée d’un accident majeur, comme ceux de Tchernobyl et Fukushima[6] ; il est de plus situé dans la zone la plus densément peuplée d’Europe avec, en prime, une concentration record d’usines chimiques Seveso dans son voisinage immédiat. Si le gigawatt de puissance électrique de ce réacteur devait être perdu du fait de sa cuve défectueuse, la première question qui se poserait ne serait pas comment alimenter la Belgique en électricité mais comment et où évacuer des millions de personnes.
Aujourd’hui, le consommateur belge est le triple dindon de cette farce gigantesque :
- Il a été spolié d’un juste retour financier qui a essentiellement profité à Engie Electrabel et à ses actionnaires.
- Par manque d’investissement et de prévoyance, il devra non seulement payer son électricité encore plus cher mais risque de ne plus pouvoir en disposer à un moment ou un autre dans les mois qui viennent et aussi dans les prochaines années.
- Enfin, il hérite du risque, croissant, d’un accident majeur et de ses conséquences incommensurables.
Malgré ce constat renouvelé du manque de fiabilité du parc nucléaire belge[7], il en est encore qui sont prêts à parier pour un avenir énergétique sur base de ces réacteurs vétustes et dangereux. De fait, la NVA, certains membres du MR et les « grands » patrons se sont prononcés pour la prolongation de 2 ou 3 réacteurs au-delà de 2025 ; à côté de ces derniers, il y en a qui se taisent tout en contribuant à la mise en place des conditions pour une nouvelle prolongation, comme cela a été fait en 2003, 2012 et 2015[8].
Souhaitons que la débâcle actuelle du nucléaire belge fasse réfléchir nos concitoyens en vue des élections communales de ce mois et des élections fédérales et régionales de 2019. Souhaitons que cela les incite à participer aux nombreuses actions antinucléaires qui voient le jour, depuis la chaîne humaine de 50.000 personnes de juin 2017 jusqu’à l’actuelle campagne d’interpellation des collèges communaux, lancée par l’asbl Fin du nucléaire, à propos du plan d’urgence en cas d’accident atomique et de son inutilité en cas d’accident grave ou majeur.
Contact : Bouli Lanners, Francis Leboutte – info@findunucleaire.be – T. 04/277.06.61
[1] 1975 pour les trois premiers (D1, T1 et D2 – D pour Doel, T pour Tihange), ensuite D3 (1982), T2 (1983) et enfin D4 et T3 en 1985.
[2] Electrabel est devenue une filiale de Suez à 100 % en 2005. Suez étant ensuite devenue GDF Suez, finalement rebaptisée Engie en 2015.
[3] Moins que le bénéfice du groupe certaines années.
[4] Un fonds alimenté par la redevance annuelle de 20 millions d’euros d’Engie pour la prolongation des réacteurs D1 et D2. Son objectif : financer « la recherche et le développement dans des projets innovants dans le domaine de l’énergie et notamment pour développer la production et le stockage d’énergie » (2015).
[5] L’Allemagne est en train de fermer tous ses réacteurs, le dernier le sera en 2022, tout en réduisant la part du charbon et de la lignite dans sa production d’électricité. Le parc nucléaire allemand ne fournit plus que la moitié de l’électricité qu’il fournissait en 2001. En 2016, les exportations nettes allemandes ont tout de même atteint les 55TWh (térawatt-heure), plus que la France avec 38TWh, en forte diminution sur ce plan. À comparer au 82TWh de la consommation annuelle de la Belgique.
[6] « Un accident nucléaire majeur ne peut être exclu nulle part », Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN, France). Le Monde du 22 avril 2016.
[7] Par exemple, 3 réacteurs à l’arrêt pendant 16 mois en 2014 et 2015. Des taux d’utilisation en baisse depuis 6 ans.
[8] Respectivement, par les gouvernements Verhofstadt (tous les réacteurs), Di Rupo (T1) et Michel (D1 et D2), à chaque fois pour une durée de 10 ans.