L’Afrique du Sud est-elle un “État en faillite” ? Devant les coupures d’eau et d’électricité en série, la question est régulièrement posée par la presse du pays.
“Cela a été dit à l’infini, mais cela vaut le coup d’être répété parce que c’est vrai : les élections de cette année sont les plus importantes depuis 1994. Pourquoi ? L’ANC a mal gouverné l’Afrique du Sud pendant trente ans, au point de provoquer l’effondrement de la société.” Si le constat du rédacteur en chef du média sud-africain News24 peut sembler excessif, il est globalement partagé par le reste de la presse du pays, qui, ces derniers mois, se pose régulièrement la question suivante : l’Afrique du Sud est-elle un “État en faillite” ?
Sans en être rendu à ce stade, le pays s’enfonce dans une multitude de crises qui se nourrissent les unes des autres. Corruption, gestion incompétente, criminalité record, chômage massif, services publics en déshérence… Pas une journée sans que les médias locaux se fassent l’écho de ces maux, qui figurent parmi les préoccupations majeures des électeurs à l’approche du scrutin qui doit se tenir le 29 mai prochain.
Symbole le plus évident de ce déclin, les coupures d’électricité récurrentes devenues nécessaires pour éviter l’effondrement du réseau alors que la compagnie publique d’électricité est incapable de faire face à la demande. “Un manque d’entretien et de bonne gouvernance et la corruption ont laissé la compagnie d’électricité Eskom dans un état critique”, résumait récemment le quotidien The Citizen.
Ces coupures de courant ont atteint un niveau record en 2023, avec trois cent trente-cinq jours de délestages, parfois jusqu’à douze heures par jour, avant de cesser à la surprise générale deux mois avant les élections – “le résultat de plus d’une année de travail acharné”, selon le gouvernement. Reste à savoir si ce progrès s’inscrira dans le temps.
Quoi qu’il en soit, les chantiers ne manquent pas, car, après la crise énergétique, le pays est désormais confronté à des coupures d’eau de plus en plus fréquentes jusque dans la capitale économique, Johannesburg. “Après des dizaines d’années de négligence des infrastructures et une décennie de pillage pur et simple sous l’administration Zuma, […] la crise de l’eau est là”, écrivait à la mi-mars le quotidien économique Business Day dans un éditorial.
Pillage et corruption
Au début de mai, le média d’investigation sud-africain Daily Maverick examinait également le cas de l’effondrement du réseau ferré, lié, là encore, au “pillage” de la compagnie publique de transport, Prasa. “Cette corruption a détruit le service de transports de passagers d’Afrique du Sud”, commente le Daily Maverick, qui note que le nombre de trajets annuels assurés par l’entreprise publique est passé de plus de 500 millions en 2010 à 19 millions en 2022.
Le transport de marchandises, supervisé par la compagnie publique Transnet, qui gère également les ports du pays, est dans le même état. “L’incompétence du gouvernement, la corruption et la paralysie politique ont laissé en lambeaux les infrastructures critiques du pays le plus industrialisé d’Afrique”, résumait Bloomberg en juillet 2023.
Les coupures d’électricité et les dysfonctionnements, en particulier, du circuit logistique (transport de marchandises et ports) plombent la croissance, et par ricochet l’emploi : plus de 30 % de la population est au chômage. Le taux monte à plus de 60 % au sein des 15-24 ans. Des chiffres parmi les plus élevés au monde qui expliquent en partie le taux de criminalité élevé – en moyenne, 84 personnes ont été tuées chaque jour au troisième trimestre 2023, d’après les statistiques officielles.
Un constat sombre qui agace le président sud-africain, rapporte la chaîne eNCA. Le 27 avril, alors que le pays célébrait les 30 ans de la démocratie, Cyril Ramaphosa a vanté le bilan de l’ANC en rappelant que son parti a “construit des maisons, des cliniques, des hôpitaux, des routes, des ponts, des barrages et beaucoup d’autres infrastructures”. N’en déplaise aux critiques, l’Afrique du Sud est “un endroit infiniment meilleur qu’il y a trente ans”, a-t-il souligné.
Courrier international
Source : https://www.pressegauche.org/La-deliquescence-des-services-publics-sud-africains-reflet-d-un-pays-en-crise