Episode 33
Suite à l’audience du 08 février 2024 convoquée suite à la décision de l’Expert Sanzot de mettre un terme à la mission qui lui a été confiée, la Cour rend un arrêt le 07 mars 2024 qui démontre à quel point elle est prise au piège de ses propres turpitudes. Elle invoque, entre autres énormités, et pour la première fois, depuis le début de l’Expertise judiciaire décidée le 29 janvier 2015, les nécessités suivantes : limitation de la mesure d’instruction et de son contenu, proportionnalité entre coûts et enjeux et avantage à conférer à la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse.
Sommaire 1-Les points 7 et 8 de l’arrêt interlocutoire du 07 mars 2024. 1-1 Leur contenu 1-2 Pourquoi, soudainement, une telle référence à l’article 875 bis alors que l’Expertise en cours a été décidée le 29 janvier 2015 ? 1-3 L’arrêt du 07 mars 2024 entérine ce que l’arrêt du 29 juin 2023 laissait préfigurer avant que l’Expert ne mette fin à sa mission le 06 novembre 2023. 2- Le dernier arrêt interlocutoire constitue un empêchement à réaliser l’Expertise et donc une voie ouverte en faveur des consorts Verbruggen. 3- La proportionnalité invoquée entre les coûts attendus de l’Expertise et l’enjeu du litige est également un moyen pour la Cour de fixer au nouvel Expert, sans le dire, la méthode à utiliser pour mener sa mission. 4- L’Expertise la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse. 5- La Cour, ne se considérant pas comme tenue par les éléments factuels techniques démontrés par l’Expert dans ses deux rapports du 02 mars 2021 et du 23 août 2021, s’empêche d’ordonner la production des documents en rapport avec la liquidation de l’Anstalt Fidelec. ANNEXE I Chronologie des courriers et rapports de l’Expert judiciaire Sanzot, de son Sapiteur Réviseur et de son Sapiteur immobilier depuis l’arrêt prononcé par la 7ème Chambre civile de la Cour d’appel Bruxelles, le 29 janvier 2015. ANNEXE II Chronologie des courriers et conclusions des parties adverses (Me Hollanders et Fillenbaum pour les consorts Verbruggen, puis Me Fischer spécifiquement pour Monique Verbruggen, Me Masset pour Jack Verbruggen, Me Demartin pour l’Etat belge) |
1-Les points 7 et 8 de l’arrêt interlocutoire du 07 mars 2024.
1-1 Leur contenu
1-1-1 La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 875 bis du Code judiciaire, “le juge limite le choix de la mesure d’instruction et le contenu de cette mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, à la lumière de la proportionnalité entre les coûts attendus de la mesure et l’enjeu du litige et en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse”. Elle précise ensuite que « Ces principes sont également applicables dans le cadre du suivi des opérations d’expertise, lorsqu’il apparaît nécessaire de modifier la mission originairement confiée à un expert en fonction de son évolution ou d’éléments nouveaux[1] ».
1-1-2 C’est l’arrêt du 29 janvier 2015 prononcé par la 7ème Chambre (civile) de la Cour d’appel de Bruxelles qui définit -entre autres- précisément l’organisation de l’Expertise judiciaire.
1-1-4 Cette référence aux principes de l’article 875bis du Code judiciaire est justifié selon la Cour « lorsqu’il apparaît nécessaire de modifier la mission originairement confiée à un expert en fonction de son évolution ou d’éléments nouveaux ».
L’arrêt du 29 janvier 2015 ne fait aucunement allusion à cet article 875 bis du Code judiciaire, mais en revanche il décide de la nomination de deux Notaires judiciaires et non d’un seul compte tenu de l’importance des travaux à laquelle il faut s’attendre, lesquels seront ensuite en mesure de s’appuyer sur les conclusions de l’Expert judiciaire que la Cour aura eu à apprécier.
L’arrêt du 29 janvier 2015 aurait pu faire référence à cet article 875 bis, comme Madame Sophie Van Bree, l’une des 3 juges siégeant au sein de la Cour depuis le 11ème arrêt interlocutoire du 15 septembre 2022, le précise et commente en ces termes dans un article[2] publié le 06 janvier 2012 par le site Justice-en-ligne intitulé « De la preuve à l’expertise : comment ça marche ? » :
« L’article 875bis du Code judiciaire énonce que le juge limite le choix de la mesure d’instruction à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse ».
En d’autres termes, si le juge estime qu’il existe une mesure plus appropriée à la solution du litige, moins coûteuse et plus rapide, il n’est pas tenu de désigner un expert judiciaire, même si les parties sont d’accord pour une telle désignation. Le législateur a entendu rappeler l’existence d’autres mesures d’instruction utiles, telles par exemple la descente sur les lieux (le cas échéant, avec l’accompagnement d’un expert dont la mission sera limitée à fournir les explications techniques utiles – article 986 du Code civil). Par exemple, si les parties ont déjà eu recours à un expert « amiable », il y a peu de chances que le juge désigne un expert judiciaire (sauf si une partie démontre l’existence d’un problème de respect de droit de la défense, tel que le non-respect du principe du contradictoire, le non-respect de la mission convenue, ou des conclusions incompréhensibles, etc.). Question de bon sens pratique et d’économie, au sens large du terme. Le juge ne pourra pas non plus désigner un expert judiciaire sans expliquer les raisons pour lesquelles il estime nécessaire de recourir à l’avis technique d’un spécialiste, ce qui, partant, limite à nouveau le recours à l’expertise : s’il n’y a pas suffisamment d’éléments qui la justifient, le juge n’y recourra pas et ce, dans l’intérêt même des parties. »
Non seulement la Cour semble adosser sa justification à une jurisprudence dont elle ne fait pas part, mais elle ne donne pas non plus de motivation pour expliquer en quoi la mission originairement confiée doit être modifiée, ni en quoi consistent cette évolution ou ces éléments nouveaux invoqués.
Il semble que cette évolution ou ces éléments nouveaux invoqués doivent être compris comme étant ceux exposés dans les deux premiers paragraphes du point 8 de l’arrêt, ainsi exprimés :
« En l’espèce, si l’Expert Sanzot n’a pu mener à son terme sa mission, les parties disposent à présent des éléments utiles à leurs éventuelles critiques quant à l’image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des trois sociétés concernées telle qu’elle est donnée par leurs comptes annuels, et dont il pourra être débattu au fond dans le respect des règles qui gouvernent la procédure de liquidation-partage.
Il a également été procédé par le Sapiteur M. Guibert de Crombrugghe à une estimation des immeubles dont les trois sociétés concernées étaient propriétaires aux dates visées par la mission d’expertise ».
Si la décision de l’Expert Sanzot de mettre un terme à sa mission (dont la Cour ne reprend dans son arrêt qu’une des raisons) constitue un élément nouveau, ce dernier concerne la forme de l’Expertise et non le fond. Le seul élément nouveau à considérer dans cette Expertise au long cours eût été celui consistant à voir les consorts Verbruggen produire les pièces constamment demandées par l’Expert et ses Sapiteurs, ce qui, si cela avait été le cas, aurait évité la longueur de l’Expertise et l’importance de son coût.
Quant à l’évolution de l’Expertise que la Cour invoque, elle n’est ni apparente, ni expliquée, sauf à considérer qu’elle se confond avec la décision de l’Expert Sanzot de mettre un terme à sa mission.
C’est pourtant ce que décide, subrepticement, la Cour dans le 3ème paragraphe du point 8 de son arrêt ainsi libellé :
« Tenant compte des éléments qui précèdent, la Cour désignera un nouvel Expert qui sera chargé de réaliser la partie de la mission visée à l’arrêt du 29 janvier 2015 portant sur l’évaluation des actions de ces sociétés aux dates indiquées ».
La Cour, sans apporter la moindre motivation, décide donc implicitement d’exclure de la mission du nouvel Expert ce qui ne porte pas « sur l’évaluation des actions de ces sociétés aux dates indiquées ». Elle ne précise pas non plus le contenu de la mission d’origine visé par l’exclusion. Elle le fait dans le cadre d’un arrêt interlocutoire qui vient donc modifier un arrêt qui ne l’était pas, en l’occurrence celui du 29 janvier 2015.
En procédant ainsi, la Cour semble ignorer que l’arrêt du 29 janvier 2015 stipulait que l’évaluation des actions des 3 sociétés était précédée « de sondages propres à révéler que les comptes annuels étudiés pour répondre à sa mission donnent une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées ». Le même arrêt stipulait bien qu’il s’agissait d’un préalable à cette partie de mission d’évaluation des actions des sociétés.
Il semble bien que la Cour exclut cette partie-là de la mission du nouvel Expert qu’elle nomme puisqu’elle considère que les parties disposent, grâce aux rapports de l’Expert Sanzot, des éléments utiles à leurs éventuelles critiques quant à l’image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation, financière et des résultats des 3 sociétés concernées telle qu’elle est donnée par leurs comptes annuels et qu’ils pourront en débattre.
Insistant sur « cette partie de la mission portant sur l’évaluation des actions », il semble même que la Cour exclut aussi de la mission du nouvel Expert nommé par elle « qu’il se fasse remettre les dossiers et toutes autres pièces utiles par les parties », comme le précisait l’arrêt du 29 janvier 2015.
La Cour ignore ce que l’Expert Sanzot avait pourtant conclu à propos de la partie préalable de sa mission telle que l’avait défini l’arrêt du 29 janvier 2015 :
« Il n’est pas possible d’utiliser les informations comptables pour donner un avis éclairé sur la valeur des actions des sociétés ».
La Cour, a contrario, considère donc implicitement dans son dernier arrêt qu’il est possible d’utiliser les informations comptables pour donner un avis éclairé sur la valeur des actions des sociétés. En ce sens, la Cour ne se considère donc pas tenue par la constatation matérielle faite par l’Expert quant au caractère non sincère et non véritable des comptes des 3 sociétés alors même qu’elle n’est pas compétente pour en juger, non-compétence qui justifie d’ailleurs la nomination d’un Expert.
Pourtant, si le juge n’est pas lié par les conclusions de l’Expert, il est tenu par ses constatations matérielles. C’est ce qu’écrit Madame Sophie Van Bree, Conseillère au sein de la Cour, en ces termes, dans le même article précédemment évoqué publié le 06 janvier 2012 par le site Justice-en-ligne intitulé « De la preuve à l’expertise : comment ça marche ? » :
« Si le juge est tenu par les constatations matérielles de l’expert, il n’est pas lié par ses conclusions, qui ont la valeur d’un avis technique et dont le juge pourra s’écarter, en motivant sa décision. Certes, c’est rare que cela se produise mais cela arrive néanmoins ».
La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 octobre 2013, n°P.12.1940.N, a jugé que « les constatations faites par un Expert, à savoir les faits précis qu’il a constatés personnellement dans le cadre de sa mission, ont une valeur probante authentique, que seule l’ouverture d’une procédure en faux peut contredire ». La valeur probante authentique des constatations faites par l’Expert est confirmée par d’autres arrêts tel celui de la Cour du Travail de Bruxelles du 16 février 2015 (R.G. 2012/AB/9212).
En omettant de formuler dans son dernier arrêt l’exhaustivité des raisons qui ont conduit l’Expert Sanzot à mettre un terme à sa mission, la Cour passe sous silence le fait qu’il ne peut conclure pour la simple et unique raison qu’il ne dispose toujours pas de certaines pièces essentielles à l’issue de près de 7 années d’expertise malgré les multiples demandes effectuées auprès des parties détentrices et malgré de nombreuses demandes faites à la Cour pour imposer des mesures de contraintes avec astreintes afin de les obtenir. En l’absence de ces pièces essentielles, tout rapport final qui aurait été rendu par lui l’aurait donc été de manière lacunaire et la Cour n’aurait donc pu l’avaliser. (Cour du Travail de Mons, 8 février 2023, R.G. 2018/AM/363).
Tout rapport d’Expert qui serait rendu en faisant fi de ces pièces essentielles sera par construction lacunaire et ne pourra donc être avalisé par la Cour. Il en est ainsi du rapport final du Sapiteur immobilier qui, lui aussi, n’a pu obtenir des pièces essentielles, mais que la Cour semble pourtant avaliser en écrivant que « le Sapiteur immobilier a procédé à une estimation des immeubles des 3 sociétés dont elles étaient propriétaires[4] aux dates visées par la mission d’expertise ».
La mission que la Cour assigne au nouvel Expert conduira donc nécessairement à un rapport lacunaire qui ne pourra être avalisé par elle ou qui, si il l’était, donnera lieu à cassation.
La Cour considère donc qu’il est possible de « débattre » de comptes qui ne donnent pas une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées : comme si cet état de fait pouvait se négocier alors même que l’énormité et la multiplicité des atteintes au droit comptable et au droit des sociétés mises en évidence par l’Expert Sanzot auraient conduit tout réviseur[5] d’entreprise à rejeter purement et simplement ces comptabilités.
La Cour, en procédant ainsi, va à l’encontre de l’arrêt du 29 janvier 2015 rendu par la 7ème Chambre. En page 32 de l’arrêt par laquelle elle justifie sa décision de recourir à une Expertise judiciaire, la 7ème Chambre expose les raisons pour lesquelles il n’est pas possible de se fonder sur des expertises précédentes que les consorts Verbruggen voudraient faire prévaloir et pointe notamment, pour les rejeter, le fait que deux Experts à l’origine de ces expertises passées « ont recouru à la technique de l’actif net corrigé, fondée sur la valeur comptable des sociétés, sans s’assurer de la fiabilité des comptes de celles-ci ».
La non-preuve de la fiabilité des comptes vaut écartement selon l’arrêt de la 7ème Chambre ; la preuve matérielle de la non-fiabilité des comptes apportée par l’Expert ne tient pas la Cour qui considère qu’elle peut être remise en cause : un paradoxe incompréhensible.
1-3 L’arrêt du 07 mars 2024 entérine ce que l’ arrêt du 29 juin 2023 laissait préfigurer avant que l’Expert ne mette fin à sa mission le 06 novembre 2023.
Il est vrai que dans son avant dernier arrêt du 29 juin 2023, la Cour avait déjà réservé un curieux sort aux conclusions de l’Expert Sanzot relatives à l’image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des trois sociétés concernées telle qu’elle est donnée par leurs comptes annuels. A propos de ces conclusions, l’Expert avait pourtant précisé :
« Le présent avis provisoire a été rédigé après m’être entretenu à plusieurs reprises avec le sapiteur Pascal LAMBOTTE, réviseur d’entreprises, sur certains points purement techniques. J’ai intégré les observations faites par Monsieur LAMBOTTE lorsque, après m’être entretenu avec celui-ci, nous avons estimé collégialement pouvoir retenir celles-ci ».
Dans ce même arrêt interlocutoire du 29 juin 2023, la Cour précisait que les parties auront jusqu’au 16 février 2024 pour faire part de leurs observations relativement à ce rapport provisoire complet en précisant un élément majeur qui est le suivant : « étant entendu que les parties pourront faire valoir telles observations qu’elles estimeraient utiles….sans être limitées aux seuls aspects de la valorisation des actions ». En décidant cela, la Cour indiquait à l’Expert Sanzot que les consorts Verbruggen pourront revenir sur la première partie de l’Expertise qui consistait à déterminer si les comptabilités des 3 sociétés étaient probantes (c’est-à-dire si elles reflétaient fidèlement le patrimoine, la situation financière et les résultats des sociétés).
« Il n’ y a rien à attendre de réunions techniques que sollicitent les consorts Verbruggen et les 3 sociétés, en tout cas, aucune plus-value par rapport à l’échange écrit et contradictoire d’arguments. Les parties adverses perdent de vue que toute avancée de l’expertise a été systématiquement discréditée par elles, culminant même par une procédure de récusation sur fond de scénario honteux de faux témoignages. Tout dans l’expertise fait difficultés aux parties adverses. Hors l’Etat belge, la présente procédure concerne 14 personnes physiques ou morales et l’intervention de nombreux avocats : organiser des réunions techniques par personne est le meilleur moyen d’enterrer l’avancement d’une expertise. A coup sûr, le PV de réunion ne conviendra pas et sera encore l’objet incessant de contestations, précisions, modifications,… : les parties adverses n’ont donné aucun gage de leur volonté de collaborer loyalement à la mission d’expertise ordonnée par la Cour…. ».
Tout est dit ! Sauf qu’à l’issue les frais d’expertise auront encore augmenté et qu’il sera demandé à Luc Verbruggen de les payer ! Sauf également que la Cour discrédite ainsi non seulement l’Expert judiciaire lui-même mais aussi le Sapiteur Réviseur.
En procédant ainsi, la Cour feint d’ignorer le processus défini par la 11ème Chambre dans son arrêt du 29 janvier 2015. L‘Expert avait pour mission préalable, avant de donner son avis sur la valeur des actions des sociétés, de statuer sur la question de savoir si les comptes annuels étudiés pour ce faire, donnaient une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées. L’Expert a conclu que ce n’était pas le cas, dans le cadre d’un processus contradictoire parfaitement respecté et après avoir entendu tous les arguments des parties adverses dont notamment le Conseiller technique des 3 sociétés, le Réviseur d’entreprise Fernand Maillard, alors Vice-Président de l’Institut des Réviseurs d’Entreprise (IRE).
Si les comptabilités des sociétés avaient été probantes, il aurait pu poursuivre sa mission de valorisation des actions des 3 sociétés en utilisant la méthode habituelle de valorisation des sociétés (méthode de l’actif net corrigé) sans devoir recourir à une méthode de valorisation qu’il n’utilise que pour la seule et unique raison que les comptabilités ne sont pas probantes. Rappelons à ce propos que l’Expert, face à cette situation, a proposé 3 approches possibles qu’il a exprimées en ces termes :
« Il n’est pas possible d’utiliser les informations comptables pour donner un avis éclairé sur la valeur des actions des sociétés.
Il convient par conséquent d’utiliser d’autres alternatives telles que :
➡️ 1• reconstituer la comptabilité dans son intégralité : en l’absence de toutes les pièces comptables, cela est impossible. En outre, refaire intégralement la comptabilité prendra un temps considérable et pèsera fortement sur le coût de l’expertise ;
Le refus des consorts Verbruggen de communiquer toutes les pièces comptables exclut de fait cette alternative.
➡️2• reconstituer les capitaux propres en y apportant les corrections constatées dans les sondages exposés ci-avant. Cette alternative est possible pour autant que les corrections soient toutes suffisamment précises en valeur ou que le seuil de matérialité (inconnu) que la Cour accepterait eu égard à la formulation « suffisamment fidèle » ne soit pas dépassé. Des travaux supplémentaires devront alors être envisagés. Ces travaux prendront du temps, coûteront sur l’expertise et la finalité restera incertaine. En outre, dans cette option, il reviendrait de revenir vers la Cour pour connaître le seuil de matérialité que celle-ci accepterait ».
L’Expert exclut même cette seconde possibilité pour la société Gérance de Biens sans en donner explicitement la raison. Elle découle vraisemblablement de l’état de la comptabilité tenue au crayon papier et dépassant tout ce que l’on peut imaginer en matière d’irrégularités (si cela est possible par rapport à l’immensité de celles constatées pour Saprotel et Gespafina !)
➡️3• considérer la valeur des sociétés comme étant égale à la valeur de ses immeubles, déduction faite des dettes financières qui y sont directement liées. Cette approche a le mérite d’être appropriée à la nature des activités de la société, plus aisée, et partant, plus rapide et moins coûteuse. La nature des activités immobilières des sociétés et les nombreuses irrégularités relevées, de même que la possibilité de recourir à un sapiteur expert-immobilier, justifient de favoriser cette troisième méthode. Pour la suite de l’expertise, c’est donc cette troisième méthode qui sera utilisée. »
La Cour, en ouvrant aux consorts Verbruggen et aux sociétés le possibilité de faire valoir toutes observations qu’ils estimeraient utiles sans être limités aux seuls aspects de la valorisation des actions, remet elle-même en cause non seulement la première phase de l’Expertise ayant abouti à conclure au caractère non probant des comptabilités mais aussi sa seconde phase, celle de la valorisation des actions et le choix de la méthode utilisée (la troisième mentionnée ci-dessus), cette dernière résultant du caractère non probant des comptabilités.
Pourtant, la Cour, dans son arrêt rendu le 28 octobre 2021, ne remet pas en cause le choix de cette troisième méthode imposée par le caractère non probant des comptabilités. Il en est de même des conclusions déposées par les consorts Verbruggen et les sociétés dans la perspective de l’audience du 07 octobre 2021 ayant donné lieu à l’arrêt du 28 octobre 2021. Il faut rappeler par ailleurs que cette troisième méthode était celle que les sociétés voulaient voir appliquées dès l’origine arguant du fait que des expertises des biens immobiliers avaient déjà été faites dans le passé et qu’il n’y avait pas lieu de procéder à de nouvelles expertises immobilières, sans compter que cela permettait à leurs yeux d’éviter de regarder de trop près le contenu des comptabilités ! La Cour disposait alors de toute la latitude pour questionner l’Expert, lui demander éventuellement telle ou telle analyse complémentaire, comme le lui permet le Code judiciaire et comme le professe l’une de ses juges, Sophie Van Bree[6], et elle ne l’a pas fait, lançant donc l’Expert dans une voie d’expertise qu’elle remet en cause de facto presque 3 années après. Que va-t-elle bien pouvoir apprécier à l’issue des réunions techniques, qu’elle ne pouvait pas faire au moment où se posait la question de la méthode à utiliser dans la situation de comptabilités non probantes ?
Mais l’Expert s’est expliqué on ne peut plus précisément quant au caractère non probant des comptes des sociétés, aucune des 3 n’y échappant, chacune pour des raisons extrêmement graves, la société Gérance de Biens battant tous les records en matière d’infractions à la loi et au droit comptable. La Cour a eu tout loisir d’examiner les 2 rapports préliminaires de l’Expert judiciaire qui le démontrent de manière implacable, tout comme ses nombreuses notes intermédiaires. Alors pourquoi cet usage du conditionnel ? Sinon pour réduire à néant les conclusions fatales quant au caractère non-probant ces comptes, prouvé depuis près de 3 ans ! La Cour cherche vraisemblablement, en réouvrant la question technique , à créer un contre-feu que les consorts Verbruggen et les Sociétés ne manqueront pas d’alimenter en s’offrant à coup de centaines de milliers d’euros (ils en ont déjà donné la preuve) les services de conseils prêts à semer le doute.
La Cour, elle, ne s’embarrasse pas de telles contraintes fixées par le Code judiciaire (il est vrai que nos différents articles, en ce compris le tout dernier, ont illustré le peu de cas qu’elle en faisait…). Dans son arrêt du 29 juin 2023, elle statue ainsi :
« la seconde réunion de conciliation proposée par l’Expert judiciaire paraît d’ores et déjà inutile, eu égard aux relations particulièrement difficiles entre certaines parties. Elle sera remplacée par la réunion technique légitimement demandée par certaines d’entre elles ».
L’Expert avait pourtant exposé à la Cour qu’il ne percevait pas l’utilité d’une telle réunion technique (non exigée par le Code judiciaire) demandée par les consorts Verbruggen, son futur rapport provisoire et les observations que les parties pourront y faire, sécurisant à suffisance, selon lui, la bonne démarche de l’expertise, en précisant par ailleurs, qu’il s’est adjoint les services d’un Réviseur d’entreprises , lequel Réviseur a approuvé le rapport de l’Expert du 23 août 2021 concluant au caractère non sincère et non véritable des comptes des 3 société de famille.
2- Le dernier arrêt interlocutoire du 07 mars 2024 constitue un empêchement à réaliser l’Expertise et donc une voie ouverte en faveur des consorts Verbruggen.
Revenons volontairement sur des points déjà explicités ci-avant.
La Cour ignore le processus que la 11ème Chambre a défini dans son arrêt (non interlocutoire) du 29 janvier 2015. Il ressort en effet de cet arrêt que l‘Expert avait pour mission préalable, avant de donner son avis sur la valeur des actions de la société, de statuer sur la question de savoir si les comptes annuels étudiés pour ce faire, donnaient une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées. L’Expert a conclu que ce n’était pas le cas, dans le cadre d’un processus contradictoire et après avoir entendu tous les arguments des parties adverses dont notamment le Conseiller technique des 3 sociétés, le Réviseur d’entreprise Fernand Maillard, alors Vice-Président de l’Institut des Réviseurs d’Entreprise (IRE).
Si les comptabilités des sociétés avaient été probantes, l’Expert aurait pu poursuivre sa mission de valorisation des actions des 3 sociétés en utilisant la méthode habituelle de valorisation des sociétés (méthode de l’actif net corrigé) sans devoir recourir à une autre méthode de valorisation qu’il a été finalement contraint d’utiliser pour la seule et unique raison que les comptabilités ne donnent pas une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées.
La Cour, comme toutes les parties, a pris connaissance de cet état de fait exprimée en ces termes par l’Expert :
« Il n’est pas possible d’utiliser les informations comptables pour donner un avis éclairé sur la valeur des actions des sociétés ».
« L’Expert judiciaire demande à la Cour de contraindre les parties concernées à lui communiquer certaines pièces et informations relatives essentiellement aux biens immeubles dont les sociétés Gespafina, Saprotel et Gérance de Biens étaient propriétaires (travaux réalisés, baux et demandes du Sapiteur immobilier). Ces sociétés, qui ne sont pas parties au litige successoral, affirment avoir déjà transmis antérieurement les pièces et informations dont elles disposent encore. La Cour ne peut que prendre acte et inviter l’Expert judiciaire à tirer les éventuelles conclusions qui, selon lui, s’imposeraient s’il ne dispose pas des informations qu’il demande ».
Les 3 méthodes possibles face à la situation « Il n’est pas possible d’utiliser les informations comptables pour donner un avis éclairé sur la valeur des actions des sociétés » se heurtent donc toutes à la volonté obstinée des consorts Verbruggen de ne pas communiquer toutes les pièces ce qui contrevient aux dispositions de l’article 972 bis du Code judiciaire qui stipule que les parties sont tenus de collaborer à l’Expertise, contravention que la Cour accepte sans réagir puisqu’elle-même ne tire pas les conséquences, comme le prévoit le même article, de cette volonté de ne pas collaborer.
Que peut faire le nouvel Expert dans le cadre que la Cour lui fixe, sachant qu’il n’existe pas d’autre méthode que celles définies par l’Expert Sanzot, toutes impraticables en l’absence des pièces nécessaires recelées par les consorts Verbruggen ? Rien d’autre que de se fonder sur des comptabilités qui ne reflètent pas une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées. En cela, outre le fait d’ignorer des faits établis qu’elle ne peut contester, la Cour invite, sans le dire expressément, à adopter la méthode la plus rapide et la plus usuelle, celle de l’actif net corrigé que l’Expert Sanzot n’avait pu appliquer compte tenu de l’état des comptes des sociétés, invitation corroborée par les délais exceptionnellement courts qu’elle fixe au nouvel Expert pour déposer son premier rapport. La Cour précise d’ailleurs
« il n’y a pas lieu d’imposer d’ores et déjà à l’Expert nouvellement désigné une méthode particulière d’évaluation. Il lui appartiendra de valider ou non la méthode de l’évaluation selon la technique des fonds propres corrigés, telle qu’elle avait été envisagée par le précédent Expert ».
Une manière habile d’imposer « la méthode » à suivre dans les délais impartis.
3- La proportionnalité invoquée entre les coûts attendus de l’Expertise et l’enjeu du litige est également un moyen pour la Cour de fixer au nouvel Expert, sans le dire, la méthode à utiliser pour mener sa mission.
« Le concluant ne peut être que scandalisé par les attaques dont a fait injustement preuve l’expert judiciaire SANZOT, au point que ce dernier essuie des procédures mettant en cause sa vie privée, sa probité et se trouve confronté au dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile en qualité de suspect du chef de corruption active et passive et faux en écritures.
Sous le bénéfice de l’immunité des écrits de procédure de l’article 452 du Code pénal, le concluant relève le plan à nouveau machiavélique développé par les parties adverses qui ont intérêt à bloquer le cours de la justice et l’avancement judiciaire de la présente procédure en étant confortablement assis, depuis de trop nombreuses années, sur des matelas financiers plus que confortables, soustraits notamment au concluant, et en s’évitant de la sorte de rendre des comptes ».
Cette référence à la proportionnalité que la Cour invoque si tardivement fait écho aux multiples écrits des consorts Verbruggen, dont la Cour dispose , par lesquels ils considéraient que les travaux d’expertise entrepris étaient disproportionnés.
La Cour qui avait tout loisir, durant les années d’expertise écoulées, de faire référence à cet article du Code judiciaire ne l’a pas fait. Non seulement, elle ne l’a pas fait mais elle n’a jamais décidé de remettre en cause les honoraires de l’Expert Emmanuel Sanzot, en fonction depuis le 14 septembre 2017 et a accepté chacune de ses demandes de provisionnement, pour in fine libérer le montant de la dernière provision demandée (100.500,00 euros) et inviter l’Expert à transmettre à la Cour et aux parties son état de frais et honoraires définitifs, ce qui vient d’être fait pour un montant de 19.386,22 euros Tva comprise. La Cour avait aussi les moyens de faire en sorte, c’est l’une de ses missions, que l’Expertise se déroule de manière fluide, alertée comme elle l’a été à de multiples reprises par l’Expert judiciaire. C’est tout l’inverse qui s’est passé puisque la Cour n’a pas pris les mesures qui auraient permis de contrecarrer les incessantes actions d’obstruction des consorts Verbruggen au point d’attenter fondamentalement au principe du contradictoire puisque des pièces essentielles à la conclusion de l’Expertise réclamées à maintes reprises par l’Expert demeurent détenues par eux, sans que la Cour n’use de ses pouvoirs pour les faire délivrer.
De deux choses l’une :
-pour atteindre cette proportionnalité, le nouvel Expert utilisera les données établies par le précédent Expert, dont, entre autres, le caractère non sincère et non véritable des comptabilités confirmé par le Sapiteur Réviseur
-le nouvel Expert n’utilisera pas les données établies par le précédent Expert car, si il le fait, les consorts Verbruggen s’y opposeront et la Cour ira dans leur sens puisqu’elle s’est bien gardée de préciser au nouvel Expert d’utiliser les conclusions du précédent Expert sur le caractère non sincère et non véritable des comptes des 3 sociétés. Il devra alors repartir de zéro et passer au travers des multiples obstacles que les consorts Verbruggen ne manqueront pas de dresser et que la Cour ne combattra pas sauf à se mettre en contradiction avec son comportement constant durant les années d’Expertise Sanzot.
Dans le premier cas, le nouvel Expert n’aura pas le choix de la méthode d’évaluation : celle de la méthode des fonds propres corrigés (ou actif net corrigé) est impossible à mettre en œuvre sur base de comptes non sincères et non véritables. Quant à la seconde, celle fondée sur la valeur des biens immobiliers, il ne pourra pas non plus l’appliquer puisque le rapport du Sapiteur immobilier est lacunaire à cause, notamment, du refus des consorts Verbruggen de communiquer les pièces demandées par l’Expert et lui-même sans que la Cour ne les y oblige. Il lui faudra alors utiliser la 3ème méthode évoquée en son temps par l’Expert Sanzot, celle consistant à reconstituer les comptabilités, méthode non retenue pour cause de coût et de longueur et du refus des consorts Verbruggen de communiquer l’intégralité des pièces comptables.
Cette référence soudaine à l’article 875 bis ne constitue-t-elle pas une injonction déguisée faite au nouvel Expert de procéder pour valoriser les sociétés sans se préoccuper de la véracité des comptes ? Cela apparaît plus que probable dans la mesure où la Cour écrit « qu’il n’y a pas lieu d’imposer d’ores et déjà (au nouvel Expert) une méthode particulière d’évaluation » et « qu’il lui appartiendra de valider ou non la méthode de l’évaluation selon la technique des fonds propres corrigés, telle qu’elle avait été envisagée par le précédent Expert ». Les délais fixés au nouvel Expert vont dans ce sens puisque la Cour demande au nouvel Expert de rendre son avis provisoire dans les 3 mois du début des opérations ce qui est strictement impossible (mais cohérent avec la référence à l’article 875 bis), notamment au regard de l’expérience passée sauf à se « contenter » de prendre pour argent comptant les comptes des 3 sociétés tels qu’ils avaient été publiés ! Les délais que la Cour fixe aux parties pour faire valoir leurs observations sur le rapport provisoire vont dans le même sens puisque ces dernières auront 2 mois pour faire valoir leurs observations, délai lui-même disproportionné par rapport à celui accordé au nouvel Expert pour déposer son rapport provisoire, délai dont la Cour sait que les consorts Verbruggen l’utiliseront pour utiliser leur armée d’avocats et de conseillers techniques pour ne pas avoir de comptes à rendre.
L’arrêt précisant qu’ « il n’y a pas lieu d’imposer d’ores et déjà à l’Expert nouvellement désigné une méthode particulière d’évaluation » pourrait s’écrire ainsi :
« le nouvel Expert devra conclure le plus rapidement possible c’est à dire dans les 3 mois en acceptant de ne pas demander les pièces que le précédent Expert avait demandé pour pouvoir conclure ».
4- L’Expertise la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse.
4-1 Quant à la nécessité de privilégier l’Expertise la plus simple, la Cour omet de préciser que cela doit s’inscrire dans le cadre de ce qui est précisément défini par l’arrêt du 29 janvier 2015 et, dans cette mesure, la solution de la valorisation des 3 sociétés de famille selon la méthode de l’actif net corrigé apparaît effectivement comme étant la plus simple. Encore faut-il que les comptes des 3 sociétés en question soient, pour reprendre l’expression consacrée, « sincères et véritables ». Or ces comptes ne le sont pas. C’est précisément parce qu’ils ne le sont pas que l’Expertise judiciaire a dû s’orienter vers une autre méthode, la seule encore possible qui n’a pourtant pas pu aller au bout compte tenu, là encore, du refus des consorts Verbruggen de communiquer les pièces essentielles demandées.
4-2 La Cour semble considérer que l’Expertise conduite par l’Expert Sanzot depuis le 14 septembre 2017 n’a pas été suffisamment rapide.
L’Expert Sanzot a rendu un premier rapport en date du 03 août 2021 et un second en date du 23 août 2021. Le temps nécessaire à la production de ces deux rapports résulte de l’obstruction systématique des consorts Verbruggen pour communiquer les pièces demandées en bonne et due forme par l’Expert au début de son Expertise.
La Cour disposait des pouvoirs suffisants pour empêcher que l’Expertise ne traîne en longueur du fait de l’obstruction systématique des consorts Verbruggen. Elle a été à de maintes reprises saisie par l’Expert, par voie de multiples courriers et requêtes , sans pour autant mettre un terme à la véritable guérilla à laquelle les consorts Verbruggen se sont livrés de manière incessante. La Cour n’a pas non plus pris les mesures de contraintes avec astreintes qu’elle avait le pouvoir d’imposer, ce qui a laissé l’Expert seul face à la résolution d’un véritable puzzle comptable et financier.
Pourquoi la Cour ne les a-t-elle pas exercés ?
La longueur des Expertises a déjà suscité des réactions de la part de justiciables. C’est ainsi que la Commission des pétitions de la Chambre des Représentants a transmis le 05 juillet 2022 à la Commission de la Justice de cette même Chambre ainsi qu’au Vice-Premier Ministre et Ministre de la Justice et de la Mer du Nord une pétition[7] exprimée en ces termes :
« Dans le cas de litige avec un entrepreneur ou en architecte il faut nommer un expert judiciaire et seul lui déterminer le temps nécessaire pour réaliser son travail. Si les parties ne sont pas de bonne foi la procédure s’éternise sans délais clairs ce qui augmente le préjudice pour les parties et les frais en découlant. De plus cela laisse largement le temps à l’entrepreneur de se déclarer en faillite une fois la procédure judiciaire entamée. Entre temps il continue à travailler comme si de rien ne se passait. De plus les personnes qui ne sont pas honnêtes profitent du système car dès lors, l’entrepreneur ne paie plus rien au niveau social, fiscal ou autre laissant l’ardoise à la collectivité ce qui n’est pas normal. Il faut limiter les expertises dans le temps ce qui limitera les abus et les coûts supportés par les victimes et la collectivité. Merci à vous”
La réponse du vice-premier ministre et ministre de la Justice et de la Mer du Nord communiquée le 01 septembre 2022 est la suivante :
« Le pétitionnaire souhaite attirer l’attention sur le fait que dans des litiges immobiliers impliquant un entrepreneur ou un architecte dans lesquels un expert judiciaire est nommé, la procédure prend beaucoup de temps car l’expert détermine lui-même le temps dont il a besoin pour rédiger un rapport. Ce qui entraîne des coûts supplémentaires et parfois des abus des entrepreneurs qui organisent leur faillite. Il suggère de limiter dans le temps la durée des expertises dans de tels litiges.
Le siège de la matière se situe aux articles 962 et suivants du Code judiciaire. L’expertise peut effectivement avoir un impact négatif sur le déroulement de la procédure en terme d’allongement de la durée et d’accroissement de la charge financière pour le justiciable. Néanmoins, dans notre monde moderne, pour certains litiges très techniques, le juge n’a d’autres choix que de demander un rapport d’expertise afin de rendre une décision la plus « éclairée » possible. La loi du 15 mai 2007 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l’expertise et rétablissant un article 509quater dans le Code pénal a modifié de manière assez substantielle les règles du Code judiciaire relatives à l’expertise, de façon à accroître le pouvoir de contrôle du juge et en accélérer le cours. Cette loi a elle-même fait l’objet d’une « loi réparatrice » du 30 décembre 2009 contenant des dispositions diverses en matière de Justice (II), qui a apporté quelques précisions et corrigé certains problèmes pratiques. Les mesures qui ont été prises sont notamment les suivantes : – Article 875bis : il définit le caractère subsidiaire de la mesure d’instruction [Cet article a été inséré par la loi du 15 mai 2007 et visait notamment l’expertise même si elle n’est pas limitée à cette dernière]. Lors du choix de la mesure d’instruction, le juge doit se limiter à ce qui est « suffisant pour la solution du litige » et privilégier la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse. Cela vaut pour le recours à l’expertise mais également à la mission de l’expert qui doit être limitée à ce qui est nécessaire [H. Boularbah, Les lignes de force de la loi du 15 mai 2007 et de la loi de réparation du 30 décembre 2009, in Le nouveau droit de l’expertise judiciaire en pratique, Série unité de droit judiciaire de l’ULB, Larcier, 2010, p. 13]. – Le juge doit motiver spécialement le choix de l’expertise (art. 972, § 1er, C. jud.) ou de la décision de recourir à plus d’un expert (art. 982, alinéa 1er, C. jud.). – La saisine permanente du juge est instauré à l’article 973, § 2, C. jud. Ce qui signifie que le juge reste saisi et assure ainsi le contrôle de l’expertise et veille au respect des délais. Les parties peuvent se plaindre des éventuels incidents ou défauts de l’expertise par simple lettre. – Le juge a la seule maîtrise du délai fixé pour le dépôt du rapport final (art. 974, § 2, C. jud.). – L’article 986 C. jud. prévoit la possibilité pour le juge de recourir à l’expertise « simplifiée » [L-M. Henrion et S. Dufrene, Le déroulement de l’expertise dans une perspective systémique, in Le nouveau droit de l’expertise judiciaire en pratique, Série unité de droit judiciaire de l’ULB, Larcier, 2010, p. 88 à 90](assistance de l’expert à une mesure d’instruction ou rapport de l’expert à l’audience) plutôt qu’une expertise complète permettant ainsi une intervention rapide et moins coûteuse del’expert. – Selon l’article 972bis, § 1er, alinéa 1er, le juge peut tirer « toute conséquence qu’il jugera appropriée » du défaut de collaboration des parties à l’expertise. Ce qui signifie concrètement que le juge peut condamner au paiement de dommages et intérêts ou d’amendes civiles en vertu de l’article 780bis du C. jud. ou encore imposer une astreinte dans l’hypothèse où une partie ne produirait pas des documents ou des informations demandés par l’expert. À la lumière de ce qui précède, j’estime dès lors que, dans l’état actuel de la législation, des garanties suffisantes ont été instaurées afin que l’expertise ne soit ordonnée que lorsqu’elle est nécessaire et que son déroulement reste sous le contrôle permanent du juge dans le respect du principe du contradictoire. Il ne semble pas souhaitable de prévoir des délais dans la loi pour limiter la durée de l’expertise. Vu la diversité des matières dans lesquelles les experts interviennent et la variété des situations concrètes, prévoir un délai strict pour rendre un rapport d’expertise n’aurait pas de sens et risquerait au contraire d’avoir un impact négatif sur le travail de l’expert et en conséquence, sur la décision finale du juge. Les mesures mises en place depuis 2007 et 2009 permettent au juge de contrôler le déroulement de l’expertise en accélérant si besoin la procédure et d’éviter les abus de procédure en obligeant les parties à collaborer à cette dernière. |
Madame Sophie Van Bree qui siège au sein de la Cour écrit dans l’article intitulé « De la preuve à l’Expertise : comment ça marche) qu’elle a publié le 06 janvier 2012 sur le site Justice-en-ligne :
« Le rôle du juge est, clairement, de débloquer les situations litigieuses, d’éviter tout procès dans le procès et de tenter d’éviter des retards dans le traitement du dossier ».
« Le juge veille activement à ce que l’Expertise se déroule sereinement et dans les délais ».
« D’un point de vue procédural, l’Expertise judiciaire est sans doute plus lourde qu’une Expertise amiable. A l’inverse, elle offre plus de garantie en cas d’incidents, le juge se voyant reconnaître un rôle actif, permettant contrôle et contrainte. Contrairement à une idée répandue, elle ne coûte pas plus cher au justiciable »
Pourquoi la Cour n’a-t-elle pas exercé ses pouvoirs ?
5- La Cour ne se considérant pas comme tenue par les éléments factuels techniques démontrés par l’Expert dans ses deux rapports du 02 mars 2021 et du 23 août 2021 s’empêche d’ordonner la production des documents en rapport avec la liquidation de l’Anstalt Fidelec.
– Dans son arrêt du 29 janvier 2015, la 11ème Chambre civile de la Cour d’appel de Bruxelles écrit en page 45 :
« …et dit n’y avoir lieu, en l’état, d’ordonner la production forcée de documents en rapport avec cette opération »
– Dans son rapport du 02 mars 2021 intitulé « Rapport d’expertise- Actualisation du rapport préliminaire du 12 juillet 2019, par sondages des sociétés Saprotel et Gespafina », l’Expert judiciaire dresse un constat accablant dont quelques éléments sont repris ci-dessous, 10 en l’occurrence parmi tant d’autres :
1- L’expert précise qu’il détaille les points pour lesquels il attend impérativement des réponses. A défaut, il indique « demander expressément à la Cour d’astreindre les sociétés ou mettre les moyens en œuvre afin d’obtenir ces informations capitales pour atteindre l’objectif qui m’a été fixé par la Cour ».
2- L’Expert s’étonne à nouveau auprès de la Présidente de la Cour que malgré ses multiples demandes tant verbales qu’écrites, les plumitifs d’audience ne reprennent pas les propos qu’il a tenus, alors que ces derniers sont proprement accablants pour les actionnaires des 3 sociétés et pour l’héritière réviseure d’entreprise Chantal Verbruggen, auteure des manipulations comptables et financières.
5- l’Expert indique qu’il va falloir questionner de manière appropriée le fonds d’investissement allemand Westinvest ayant procédé au rachat du « Jolly Hôtel ».
7- l’Expert écrit qu’il s’est vu refuser la communication du nom du comptable en charge des 3 sociétés malgré l’évidence démontrée qu’il s’agit de Chantal Verbruggen, Réviseure d’entreprise et héritière, présente à chacune des audiences tenues par la Cour, mais jamais questionnée précisément par la Cour.
8- l’Expert judiciaire souligne que des flux financiers colossaux sont comptabilisés en opérations diverses, sans pièces justificatives apportées, et rappelle à nouveau que le recours aux opérations diverses n’est pas approprié comme mode de comptabilisation des journaux financiers, le droit comptable imposant de recourir à une comptabilité appropriée à la nature des opérations enregistrées. Il qualifie de proprement « hallucinant » un tel usage.
10- l’Expert s’interroge sur les flux financiers faramineux vers l’avocat bruxellois A. de Caluwé.
-Dans son rapport du 23 août 2021 intitulé « Rapport d’Expertise, avis provisoire partiel », l’Expert judiciaire, conclut au fait que :
« Il n’est pas possible d’utiliser les informations comptables pour donner un avis éclairé sur la valeur des actions des sociétés ».
Entre autres éléments accablants, 4 d’entre eux méritent d’être repris ici :
2- Les comptes annuels ne donnent pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés ; il n’est donc pas possible de donner le moindre avis sur la valeur des actions des sociétés.
3- La personne qui tenait les comptabilités (le nom de Chantal Verbruggen, Réviseure d’entreprise n’est pas cité) a manifestement commis des manquements graves qui ont des conséquences très importantes sur les capitaux propres. L’expert constate également des opérations qui sont en contravention des dispositions du Code des Sociétés, notamment en matière de conflits d’intérêts.
4- L’expert met en évidence que la société de droit liechtensteinois Fidelec, dont il fallait nier l’existence selon le notaire Dechamps ou n’en point parler selon le professeur de droit à l’Université Me Emmanuel de Wilde d’Estmaël, a des liens très importants avec les sociétés de droit belge qu’il a en charge d’expertiser, liens qui ont un impact « significatif » sur leurs comptes.
– Dans son arrêt interlocutoire du 15 avril 2021 qui suit donc de peu sa prise de connaissance du rapport de l’Expert du 02 mars 2021, la Cour écrit :
« Compte tenu de l’état d’avancement de la mission d’expertise, il n’apparaît pas qu’à ce stade, il y ait lieu de faire droit aux demandes de M. Luc Verbruggen en rapport avec l’Expertise en cours ».
Ces demandes listées au point 4 de l’arrêt comprenaient notamment :
-la mise en œuvre d’une astreinte de 5.000 € par jour à défaut de communication dans les 8 jours de tous les éléments demandés par l’Expert judiciaire, ainsi que la prise de mesures coercitives les plus fortes si cette injonction n’était pas respectée
-la prise en compte de tous les écrits de l’Expert judiciaire à la Cour et aux parties sur les obstructions dont il est toujours victime à ce jour
Dans ce même arrêt interlocutoire du 15 avril 2021, la Cour rejette la demande de M. Jack Verbruggen en rapport à l’Anstalt Fidelec.
Cette demande (point 11 et 12 de l’arrêt) consistait à ce que la Cour invite les notaires liquidateurs à solliciter auprès de divers tiers (Fonds de pension public allemand West Invest, acheteur de l’hôtel vendu par la SA Saprotel, M.Philippe Steiger gestionnaire de fortune à Bâle , Me Giesbers notaire à Maastricht, l’administration fiscale néerlandaise) avec pièces justificatives, et « le tout certifié conforme à la vérité », des explications concernant le montant perçu par Mme Claire Gram suite à la liquidation de l’Anstalt Fidelec. La demande faisait aussi état d’astreintes de 1.250 € par jour à fixer par la Cour jusqu’à obtention de plusieurs documents à produire.
-Ces demandes rejetées, touchant notamment à l’Anstalt Fidelec et à la nécessité de prendre des mesures coercitives avec astreintes, par l’ arrêt interlocutoire du 15 avril 2021 n’ont pas donné lieu dans les arrêts postérieurs de la Cour (14 juin 2021, 28 octobre 2021, 25 mars 2022, 12 mai 2022, 15 septembre 2022, 29 juin 2023 et enfin 07 mars 2024) à quelque nouvelle appréciation que ce soit. Les choses sont donc restées en l’état selon la Cour. Le rapport de l’Expert du 03 mars 2021, antérieur à l’ arrêt du 15 avril 2021, n’a pas entraîné la Cour à ordonner la production forcée de documents complémentaires en rapport avec la liquidation de l’Anstalt Fidelec , pas plus, ensuite que le second rapport de l’Expert du 23 août 2021.
En cela, la Cour perpétue, à sa manière, le diktat imposé par le planificateur successoral Emmanuel de Wilde d’Estmaël : l’Anstalt Fidelec n’existe pas ou il ne faut point en parler.
Pour ce qui concerne les informations à obtenir relativement à la liquidation de Fidelec, le refus de la Cour est d’autant plus interpellant que l’Expert a expressément demandé que la Cour se mette en contact avec les notaires judiciaires.
En page 24 de l’arrêt du 29 janvier 2015, point 17.1.1.les juges de la 7ème Chambre écrivent :
« La problématique de l’ampleur et de la distribution des sommes issues de la liquidation de l’Anstalt Fidelec n’est pas intégralement couverte par l’autorité de la chose jugée au pénal en tant qu’elle concerne la succession de Claire Gram. Tout au plus la 11ème Chambre de la Cour a-t-elle, dans son arrêt du 18 septembre 2012, ….. ».
Les refus d’agir « à ce stade » de la 43ème Chambre et son tout dernier arrêt du 07 mars 2024 encadrant étroitement la mission du nouvel Expert nommé sont autant d’éléments prouvant que la « réouverture » du dossier Fidelec par les deux Notaires judicaires est empêchée par la Cour.
Christian Savestre
Voir le dossier complet : |
Notes
[1] les termes, extraits des arrêts rendus, soulignés et écrits en caractères gras le sont , tout au long de cette requête, à mon initiative.
[2] https://www.justice-en-ligne.be/De-la-preuve-a-l-expertise-comment
[3] 29 septembre 2016, 14 septembre 2017, 30 janvier 2020, 12 novembre 2020, 11 mars 2021, 15 avril 2021, 14 juin 2021, 28 octobre 2021, 25 mars 2022, 12 mai 2022, 15 septembre 2022, 29 juin 2023)
[4] L’utilisation du mot « propriétaire » est simplificateur et ne rend pas compte de la situation juridique de certains biens. Le livre de l’Expert Sanzot « Les droits réels démembrés. Aspects civils, fiscaux, comptables et financiers » analyse en détails comment le droit de propriété peut être démembré en ayant reccours à différentes formules d’ingénierie.
[5] Les sociétés ont considéré ne pas avoir l’obligation de recourir à un réviseur d’entreprise pour certifier leurs comptes , ne dépassant pas alors, selon elles, deux des trois seuils qui les y auraient obligées (total bilan, effectifs et chiffre d’affaires). A noter que les sociétés publient des bilans abrégés malgré l’importance de leutr totaux bilan et ne communiquent donc pas leur chiffre d’affaires.
[6] « Le juge pourra aussi demander un rapport complémentaire à l’expert s’il estime ne pas avoir les renseignements suffisants …» publication du 06 janvier 2012 par le site Justice-en-ligne intitulé « De la preuve à l’expertise : comment ça marche ? » https://www.justice-en-ligne.be/De-la-preuve-a-l-expertise-comment
[7] https://dekamer.mijnopinie.belgium.be/initiatives/i-668
[8] Note de la rédaction
[9] Par rapport à la procédure amiable
[13] Marianne De Graef
[14] Article 973 Code judiciaire §1 Les experts exécutent leur mission sous le contrôle du juge, qui peut à tout moment, d’office ou à la demande des parties, assister aux opérations. Le greffier en informe les experts, les parties et leurs conseils par lettre missive, et, le cas échéant, les parties qui ont fait défaut, par pli judiciaire.
§ 2. Toutes les contestations relatives à l’expertise survenant au cours de celle-ci, entre les parties ou entre les parties et les experts, y compris la demande de remplacement des experts et toute contestation relative à l’extension ou à la prolongation de la mission, sont réglées par le juge.
A cet effet, les parties et les experts peuvent s’adresser au juge par lettre missive, motivée. Le juge ordonne immédiatement la convocation des parties et des experts.
Dans les huit jours, le greffier notifie la convocation aux parties, à leurs conseils et à l’expert par pli simple.
Par dérogation à l’alinéa 3, le greffier notifie la convocation dans les huit jours par pli judiciaire :
1° aux parties qui ont fait défaut;
2° aux experts judiciaires dont le remplacement est demandé ou contesté;
3° aux experts judiciaires qui font l’objet d’une demande d’élargissement ou de prolongation de leur mission, ou d’une contestation de cette demande.
La comparution en chambre du conseil a lieu dans le mois qui suit la convocation. Le juge statue, par décision motivée, dans les huit jours.
Le greffier notifie cette décision conformément aux alinéas 3 et 4. En cas de demande de remplacement , de refus de l’expert d’accomplir la mission ou d’absence injustifiée de l’expert lors de la réunion d’installation, la décision est notifiée, selon le cas, à l’expert confirmé, ou à l’expert déchargé et au nouvel expert désigné par pli judiciaire.
[15] Masset conclusions
[16] Page 22, partie II de la requête du 15 mai 2023
[17] Nos articles précédents mettent en évidence que l’Expert judiciaire s’est adressé de nombreuses fois à la Cour pour lui demander la production de pièces indispensables, malheureusement sans succès.
[18] Page 8, note complémentaire du 25 mai 2023
[19] En mars et août 2021
[20] En avril 2023
[21] il fait allusion aux très grandes difficultés d’obtention
[22] Lorsqu’un juge statue sur une affaire, il doit connaître les circonstances des faits, déterminer le rôle et l’intention de chacune des personnes impliquées. Pour ce faire, il posera des questions précises, émettra des suppositions et remettra votre parole en doute.