De par son invisibilité, la mafia est un phénomène complexe méconnu par tous ceux qui ne vivent pas sous son joug. De nombreux clichés la concernant circulent par le biais des œuvres littéraires ou cinématographiques dans lesquelles sont figurés des individus en costard dont le pouvoir fait fasciner autant que la violence dont ils sont rois.
Elles apportent une image déformée de la réalité de ce phénomène. Elles peuvent par exemple laisser penser que la mafia est culturellement établie en Italie et que la politique fonctionne fatalement ainsi dans ce pays. Or cela serait une insulte à tous ceux qui lutte contre ce pouvoir étouffant. Cela serait aussi négliger les principes moraux et démocratiques italiens, fruits de l’histoire complexe d’une société et de ses réflexions intellectuelles.
La mafia représente aujourd’hui une culture du silence, une éthique prédatrice et une morale du pouvoir sans limite.
La mafia n’est pas qu’un phénomène criminel à part entière. Elle évolue avec le développement de nos sociétés et reflète des réalités politiques et économiques très diverses. Néanmoins il existe des points communs aux différents phénomènes qu’elle englobe, notamment une volonté organisée de profiter des failles et faiblesses du système pour accroître richesses et pouvoirs au dépend de l’intérêt commun.
En effet, la mafia représente aujourd’hui une culture du silence, une éthique prédatrice et une morale du pouvoir sans limite qui insuffle ses prérogatives dans chaque acte criminel dits « mafieux », ainsi que dans chaque individu qui participe à son organisation. Tout cela n’est évidemment pas sans rappeler la culture, l’éthique et la morale, tantôt voilées tantôt assumées, des élites de nos sociétés néolibérales modernes.
Le déploiement de la logique mafieuse semble en effet aller de pair avec l’évolution de la pensée du néolibéralisme prédateur.
Reconnaître ces liens et les accointements des élites néolibérales et mafieuses, c’est comprendre le monde politico-économique d’aujourd’hui et surtout, le fonctionnement psychique de ceux qui en sont les instigateurs, ou du moins, les principaux intéressés d’un système qui protège leurs intérêts au détriment du peuple et du vivant dans son ensemble.
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Qu’est-ce que la mafia ?
De manière caricaturale, nous pourrions dire qu’une mafia est une organisation criminelle régie par ses propres règles et ses propres lois, poursuivant un objectif essentiellement financier, et dans laquelle on entre par un rite d’initiation. Cette brève description a le grand désavantage de nous ramener à des stéréotypes issus de l’imagerie cinématographique ou littéraire que nous avons tous à l’esprit. Ceux-ci sont bien souvent les seules images à partir desquelles nous nous faisons une idée de ce phénomène étant donné sa relative discrétion.
Pourtant, la mafia est un phénomène complexe qui ne peut se réduire à sa dimension criminelle ou à ce genre d’idées préconçues. En effet, la mafia n’est pas qu’une organisation rassemblant différentes activités criminelles sous une même autorité. Cette criminalité organisée a besoin d’asseoir son pouvoir dans un territoire bien défini, ce qui l’oblige à avoir un certain contrôle sur le tissu social local, et la pousse par exemple, à s’immiscer dans la vie politique du dit territoire.
Il n’existe pas de définition exacte ou scientifique de ce qu’est une mafia. Néanmoins nous pouvons tenter d’en esquisser une. L’Italie a été l’un des premiers pays à avoir reconnu l’existence de la mafia sur son territoire. Celle-ci y serait née au XIXe siècle. Le droit italien est donc d’une grande fécondité en matière de juridicisation du phénomène mafieux. Ainsi il est utile de se pencher sur la manière dont son code pénal définit le crime mafieux :
L’association est de type mafieux quand ceux qui en font partie se servent de la force d’intimidation du lien associatif et de la condition d’assujettissement et d’omertaL’omerta se traduit par « loi du silence ». Véritable culture dans certaines régions italiennes, elle impose de taire ce que l’on a vu ou entendu, et qui pourrait compromettre certaines personnes. qui en dérive pour commettre des délits, pour acquérir de façon directe ou indirecte la gestion ou du moins le contrôle sur des activités économiques, des concessions, des autorisations, adjudications et services publics ou pour réaliser des profits ou des avantages injustes pour soi ou pour autrui, ou encore dans le but d’empêcher ou de gêner le libre exercice du vote ou de procurer des voix à soi ou à d’autres à l’occasion de consultations électorales.Article 416 bis, paragraphe 3, du Code de procédure pénal italien.
Cette loi inédite montre qu’il s’agit bien ici d’une organisation – que le droit italien appelle « association » – se basant sur la puissance de ses liens associatifs et sur l’existence d’intérêts communs, pour prendre le contrôle de certaines activités économiques. Il va sans dire que celles-ci peuvent être aussi bien légales qu’illégales ; l’important étant qu’elles engrangent des bénéfices pour l’organisation et ses différents associés.
Il n’existe pas une mafia mais plutôt des mafias. Celles-ci varient en fonction du contexte sociopolitique de leur territoire et des logiques qui leur sont propres.
En effet, le but premier de telles associations est l’intérêt financier. C’est lui qui stimule la volonté et les agissements mafieux. Certes, nous pourrions parler du désir d’acquérir toujours plus de pouvoir, mais nous risquerions de rester bloquer dans une circularité inextricable en cherchant à déterminer lequel du pouvoir et de l’argent constitue la fin première de toute mafia alors que ces deux fins se rejoignent et se complètent tout à fait.
Il n’existe pas une mafia mais plutôt des mafias. Celles-ci varient en fonction du contexte sociopolitique de leur territoire et des logiques qui leur sont propres. Rien qu’en Italie, on compte quatre grandes mafias qui ont toutes des caractéristiques diverses : La Cosa Nostra en Sicile, la Camorra en Campanie, la ‘Ndrangheta en Calabre et la Sacra Corona Unita dans les Pouilles. Leur structure et leurs activités diffèrent substantiellement.
Si le terme « Mafia » déterminait à l’origine les groupes criminels italiens, aujourd’hui les triades chinoises, les yakuzas au Japon ou encore la criminalité organisée en Albanie, sont quelques autres exemples de groupes criminels dits « mafieux ».
La mafia est donc une organisation criminelle structurée et hiérarchisée, qui se sert de son contrôle du territoire et de son influence sur la vie sociale et politique de celui-ci, pour acquérir des activités économiques légales ou illégales en vue d’enrichir ses membres.