Grand hôtel Europa de Ilja Léonard Pfeijffer

 Je réfléchis mieux un stylo à la main. 

 

Ilja, écrivain en pleine dépression, se réfugie au Grand Hôtel Europa dans le but de comprendre, en écrivant leur histoire, comment a bien pu survenir sa rupture amoureuse avec Clio, la femme de sa vie.

Chacun à sa manière, les résidents de cet hôtel naguère prestigieux l’aideront – peut-être – à y voir clair. Il y a Abdul, réfugié devenu groom, rescapé d’un naufrage en Méditerranée. Et Montebello, le majordome. Plus un étrange philosophe et une poétesse française insupportable. Et monsieur Wang, le nouveau propriétaire chinois rêvant de rendre à l’hôtel son lustre d’antan. Ilja va alterner conversations avec ces personnages hauts en couleur et retours sur sa grande aventure avec Clio. Ce qui nous donne un chef-d’œuvre.

 

Monoculture touristique

Toute destination de voyage se trouve gâchée aussitôt que surgissent d’autres touristes à l’horizon. D’un seul coup, l’expérience se voit dépouillée à la fois de son unicité et de son authenticité. Mais comme tous les touristes, dans leur chasse à l’expérience, authentique, essaient mutuellement de s’éviter, il devient de plus en plus difficile de trouver un endroit vierge de toute concurrence en short. 
Qu’est-ce qu’un touriste ? Que recherche-t-il ? L’authenticité ? Mais celle-ci existe-t-elle ? Cesse-t-on d’être un touriste si l’on remplace le short et les tongs par un smoking ou une veste Armani ?

L’Europe a-t-elle un autre avenir que de continuer à se muer en parc d’attractions – mais attention : culturelles – pour touristes américains et chinois ? La « monoculture touristique » de Venise montre-t-elle la voie ? Mais, au fond, le tourisme a-t-il un avenir ?

Le roman pose toutes ces questions et encore bien d’autres. Il nous plonge aussi dans le monde de l’art, Clio et Ilja se lançant à la recherche d’un mystérieux tableau du Caravage, dont on peut dire qu’il est un des principaux personnages du roman.

Mais qu’on ne se méprenne pas : loin d’être un pensum, Grand Hôtel Europa est un véritable « tourne-pages », comme disent les Anglo-saxons, et fourmille de séquences d’un humour décapant. On n’oubliera pas de sitôt le groupe de pieds nickelés de la culture et leur improbable projet de film postmoderne. Ni les considérations sur l’identité du touriste réduite aux selfies de voyage postés sur Facebook. Ou encore, les tentatives pathétiques des vacanciers pour ne pas être des touristes, mais des voyageurs. Sans oublier quelques passages d’un humour très noir…

Quelques villes européennes font l’objet de portraits brillants : Venise, évidemment, mais aussi Skopje et Amsterdam.

Humour, ironie, mais aussi suspense, érudition, érotisme : Grand Hôtel Europa réunit tous les ingrédients d’un grand livre. Oserais-je ajouter qu’il aide à la compréhension du monde dans lequel nous vivons ? Oui, j’ose.

Il est chez votre libraire. Courez-y !

Michel Brouyaux – mars 2022

 

Grand hôtel Europa

Ilja Léonard Pfeijffer

Presses de la Cité, 2020

531 pages, 23€