La liste des proscrits est loin d’être terminée, elle s’allonge presque chaque jour. Les cinéastes Yuval Abraham d’Israël et Basel Adra de Palestine, qui ont reçu le prix du documentaire de la Berlinale pour leur film “No Other Land” sur les expulsions en Cisjordanie, ont été accusés d’antisémitisme par les politiques et les principaux médias parce qu’ils ont demandé la fin des livraisons d’armes allemandes à Israël, qui avaient été multipliées par dix pendant la guerre. En plus, ils ont osé prononcer le mot “apartheid”, que les deux principales organisations mondiales de défense des droits de l’homme, Amnesty International et Human Rights Watch, utilisent depuis des années à propos d’Israël, après avoir mené des études approfondies sur le terrain pendant de longues années.
Aujourd’hui, en Allemagne, quiconque se réfère à l’ONU, au droit international et aux organisations de défense des droits de l’homme reconnues est déclaré
, détracteur d’Israël, antisémite.
Et ce n’est pas tout : maintenant, il doit même s’attendre à une interdiction d’entrée et d’activité, comme l’ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis et le chirurgien britannico-palestinien de renommée mondiale et recteur de l’université de Glasgow, Ghassan Abu Sittah, qui a été retenu plusieurs heures à l’aéroport de Berlin avant d’être renvoyé. Sittah avait travaillé pour Médecins Sans Frontières en octobre et novembre à l’hôpital Al-Shifa de Gaza, aujourd’hui détruit, pendant la première phase des bombardements, et a fait part de son expérience à la Cour internationale de justice en janvier. Le gouvernement à Berlin ne voulait apparemment pas que le public allemand entende ses témoignages. Tous deux, Varoufakis et Sittah, avaient été invités à prendre la parole lors d’une conférence sur la Palestine à Berlin, à laquelle participaient également de nombreux juifs.
Le congrès de trois jours a été interrompu pourtant au bout de deux heures par la police, qui a coupé le courant. Motif officiel : la diffusion d’une contribution en ligne du chercheur et auteur palestinien Salman Abu Sitta, âgé de 87 ans. Auparavant, une interdiction d’activité et d’entrée sur le territoire avait été prononcée à l’encontre de Sitta parce qu’il avait fait remarquer dans un article qu’il aurait pu faire, en tant que jeune homme, partie de ceux qui ont perpétré l’attentat sanglant du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.[2] La base juridique sur laquelle on peut supprimer tout un congrès parce qu’un seul orateur a tenu des propos douteux reste un secret des autorités.
Alors que, selon les sondages, 69 % des Allemands considèrent les actions israéliennes à Gaza comme injustifiée, la politique continue de miser sur un soutien inconditionnel à Israël.
Alors que, selon les sondages, 69 % des Allemands considèrent les actions israéliennes à Gaza comme injustifiée
[3], la politique continue de miser sur un soutien inconditionnel à Israël. Ce faisant, elle prend des mesures de plus en plus draconiennes contre les critiques et s’engage sur une voie de confrontation dangereuse avec la liberté d’expression et les normes du droit international. L’Allemagne risque ainsi de glisser de plus en plus vers un ordre autoritaire et répressif.
D’un point de vue international, l’Allemagne est de toute façon depuis longtemps en train de perdre sa réputation.
D’un point de vue international, l’Allemagne est de toute façon depuis longtemps en train de perdre sa réputation. Cela se traduit notamment par la plainte déposée par le Nicaragua contre l’Allemagne devant la Cour internationale de justice pour complicité de génocide, un procès qui a reçu un large soutien dans le Sud mondial. Face à la généralisation d’une “cancel culture” à l’égard des manifestations critiques d’Israël, de plus en plus d’artistes et d’intellectuels internationaux se détournent également de l’Allemagne. La lauréate française du prix Nobel de littérature Annie Ernaux, par exemple, s’est jointe à une initiative appelant au boycott des institutions culturelles publiques allemandes, car l’Allemagne mène une politique de “style McCarthy” qui réprime la liberté d’expression.
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La vérité et le droit sont actuellement à l’envers en Allemagne et le reste du monde observe en secouant la tête.
Pour justifier l’errance du gouvernement fédéral, on ne cesse de répéter que l’Allemagne, en raison de son histoire, doit se tenir fermement aux côtés d’Israël. Mais prendre position contre le droit international, les droits de l’homme et la liberté d’expression peut-il être la bonne leçon à tirer du plus grand crime de l’histoire de l’humanité ? Est-ce la bonne conséquence éthique d’assurer une solidarité éternelle et inconditionnelle à un
État, indépendamment de qui le gouverne (dans le cas d’Israël, ce sont actuellement des extrémistes de droite) et de ce qu’ils font ? Notre solidarité ne doit-elle pas plutôt aller aux
êtres humains concernées, à savoir les 1200 victimes israéliennes et les 33.000 victimes palestiniennes ? La culpabilité du passé n’implique-t-elle pas que le gouvernement allemand devrait protéger les droits des personnes contre les persécutions, les traumatismes et la mort, indépendamment de leur origine, de leur nationalité, de leur couleur de peau et de leur religion ? Mais pourquoi la politique allemande n’accorde-t-elle pas cette protection aux habitants de Gaza ? Pourquoi ceux qui défendent ces droits et veulent empêcher de nouvelles tueries sont-ils ostracisés et bannis de la vie publique allemande ? La vérité et le droit sont actuellement à l’envers en Allemagne et le reste du monde observe en secouant la tête.