Donc, les deux coprésident·es d’Ecolo ont démissionné. Marie et Sam ne se parlaient plus. Pourquoi ? Mystère. La presse est réduite à compiler des bruits de couloir qui n’éclaircissent rien du tout. On avait bien remarqué que « l’écologie populaire » au nom de laquelle le duo avait fait campagne pour gagner la coprésidence était désormais remplacée par « l’écologie des libertés », un gadget chassant l’autre sans aucune explication.
Certains observateurs prédisent déjà à Ecolo le même sort que Défi, promis à une disparition inéluctable. OK pour Défi dont le combat francophonissime pour Bruxelles a fait son temps. Mais les raisons qui ont donné naissance à Ecolo n’ont sans doute jamais été aussi actuelles. Ce parti ne peut pas disparaître.
Pour parler d’Ecolo, je n’ai peut-être pas la distance qui convient. J’ai été longtemps membre de ce parti et j’en suis encore proche à de nombreux égards. Voilà pourquoi, dans la suite de ce billet, je vais devoir évoquer mon propre parcours, sans doute partagé par d’autres de ma génération. Génétiquement, j’appartiens à la gauche historique, dans sa version radicale. Par mes parents juifs immigrés de Pologne, artisans dans la confection, résistants courageux contre le nazisme et rescapés d’Auschwitz, par le Vietnam et l’Algérie, par le Chili d’Allende et le Portugal des œillets, par Mai 68, par Bella Ciao et Le temps des cerises. Mais je n’ai pas l’obsession de l’étiquette. Celle-ci a recouvert tant de marchandises indigestes, de Staline à Mao, de Tony Blair à François Hollande, que je comprends trop bien les réticences qu’elle suscite. Si je persiste à m’en réclamer, c’est bien par fidélité à une histoire séculaire, celle de l’émancipation du genre humain – des esclaves face à leurs maîtres, des colonisés face aux colonisateurs, des travailleurs face aux capitalistes – et par reconnaissance pour les services publics et la sécurité sociale, ces admirables conquêtes de la solidarité qui ne sont pas tombées du ciel et qui sont aujourd’hui en grand danger [1].
Du rouge au vert
Mais cette gauche, même quand elle est restée fidèle à ses valeurs, fut aveugle à la crise écologique. Trop longtemps, elle a fait découler mécaniquement le bien-être général du plein développement des forces productives portées par le progrès des sciences et des techniques. J’ai été moi-même éduqué dans cette illusion. Il aura fallu l’émergence de l’écologie politique, née en dehors du périmètre de la gauche traditionnelle, pour formuler une critique radicale du productivisme qui conduit la planète – et l’humanité qui l’habite – à la catastrophe. Aujourd’hui, cette prise de conscience semble partagée par la gauche labellisée, mais sa conversion verte est encore trop récente pour être parfaitement digérée, ce que l’actualité nous rappelle régulièrement.
C’est pour cette raison que je me suis rapproché des Verts. Le dernier épisode de ce rapprochement fut ma participation, comme candidat d’ouverture, à la campagne bruxelloise de 2019. J’étais alors persuadé, en inversant un slogan repris par le PTB, que « green is the new red ». L’accumulation du capital, qui est le moteur de l’économie capitaliste, est incompatible avec une utilisation parcimonieuse des ressources naturelles et avec une économie ralentie donnant la priorité aux biens immatériels – la culture, la santé, le temps libéré, la convivialité, la beauté des paysages…– sur la surproduction de biens de consommation à l’obsolescence programmée. André Gorz m’a appris que le capitalisme ne s’accommodera jamais de l’écologie, sauf à des doses cosmétiques.
Je ne suis pas sûr qu’à Ecolo, tout le monde ait rompu avec les illusions du capitalisme vert et reconnaisse que « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage » selon la formule de Chico Mendès. Non, mettre fin à la course folle du productivisme n’est pas dans l’intérêt de tous. La question écologique est une nouvelle dimension, peut-être même la principale, de la conflictualité sociale.
Le morcellement des gauches politiques ne devrait pas empêcher qu’elles s’identifient comme partenaires dans la résistance à la pente naturelle du capitalisme financier.
Cette prise de conscience a aussi fait de moi un unitaire de gauche compulsif. D’où la création en 1997 de la revue PolitIque qui partage encore aujourd’hui cette préoccupation. Le morcellement des gauches politiques ne devrait pas empêcher qu’elles s’identifient comme partenaires dans la résistance à la pente naturelle du capitalisme financier. La nécessité d’une convergence des gauches – des gauches politiques entre elles et en partenariat avec le mouvement social – est encore plus forte aujourd’hui pour faire barrage à l’ascension des populismes identitaires, ce plan B préparé par les forces de la finance pour bazarder les fondations de l’État social.
Dans cette convergence des gauches, on a besoin d’un équilibre programmatique entre un pôle social, orienté vers la justice sociale et fiscale, et un pôle environnemental, orienté vers la gestion du territoire et la préservation de la santé publique (soin des plus fragiles, refus des nuisances et des pollutions, préservation du cadre de vie, souci des générations futures). Ces deux pôles, aussi nécessaires l’un que l’autre, sont souvent en tension. Si Ecolo n’est plus là pour le rappeler, je n’ai qu’une confiance modérée dans le PS et le PTB – qui ont d’autres qualités – pour ne pas sacrifier systématiquement le deuxième pôle au premier. C’est pourquoi ce parti me semble toujours indispensable pour équilibrer une gauche politique qui doit pouvoir avancer sur ses deux jambes.
Bref, personne à gauche n’a intérêt à la disparition d’Ecolo. Sa base électorale n’atteindra sans doute plus jamais les 18%, une anomalie qui est montée à la tête de beaucoup, mais son socle d’environ 10% n’est pas récupérable par les autres partis de gauche. J’espère que ses membres feront le nécessaire pour préserver leur outil. Et qu’ils et elles feront preuve de plus de maturité que lorsqu’ils ont donné à la hâte les clés du parti à un duo à l’unité factice, sans aucun débat préalable sur les causes de la défaite de juin 2024, débat qui aurait pu tracer les pistes d’un possible redressement.
Henri Goldman
{1] Cette profession de foi se retrouve dans les balises de la revue Politique.
En manchette : manifestation pour le climat, 23 octobre 2025, Bruxelles ©Ecolo
Publication intégrale autorisée par l’auteur.
Source : https://leblogcosmopolite.mystrikingly.com/blog/ecolo-va-t-il-disparaitre
