C’est une première dans notre pays : fin mars, une juge de la cour d’appel de Mons a utilisé la loi Stop Féminicide, adoptée en 2023, et plus précisément le concept de contrôle coercitif qui y est défini, pour constater l’existence de violences intrafamiliales dans une affaire de garde d’enfant.
La notion de contrôle coercitif
Dans la loi Stop Féminicide, le contrôle coercitif est défini comme “des comportements coercitifs ou de contrôle, continus ou répétés, qui causent un dommage psychique”. Les violences intrafamiliales ne se limitent pas à la violence physique ou sexuelle et comprennent aussi les différentes stratégies utilisées par les agresseurs pour instaurer un contrôle et une emprise sur leur partenaire ou ex-partenaire et leurs enfants. Certains comportements pris isolément ne semblent pas graves, mais lorsqu’ils se cumulent les uns aux autres et durent dans le temps, ils mettent la victime dans un état de tension permanente et de stress.
“Le contrôle coercitif élargit les représentations que l’on a des violences intrafamiliales, explique Marie Denis. C’est un ensemble de comportements violents et non-violents qui ont des conséquences lourdes sur les victimes. L’auteur rythme la relation et la victime ne peut qu’essayer de s’adapter. Les victimes subissent des insultes, des humiliations, des critiques, des intimidations, ainsi que du non-verbal plus subtil qui ne semble pas relever de violences et qui constitue pourtant le contrôle coercitif. Par exemple, critiquer sur le ton de l’humour tout ce que la victime fait, critiquer ses vêtements quand elle sort, etc., ce qui a comme conséquence que la victime se sent mal et culpabilise. C’est une définition qui a été pensée à partir du vécu des victimes, qui sont malheureusement expertes du sujet, et qu’il ne faut pas invisibiliser.”
“J’en ai bavé”
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Les ravages d’une théorie
Autre problème selon Mathilde, la théorie de l’aliénation parentale qui fait encore des ravages contre les mères lors de procédures judiciaires pour la garde des enfants. “L’idée subsiste que les enfants se construisent grâce à leurs deux parents, et qu’il faut préserver à tout prix cette relation, même avec un père violent, dénonce Mathilde. Quand une mère dénonce des violences, on l’accuse de manipuler l’enfant et de risquer de mettre à mal ses liens avec son père. Il existe une sorte de mythologie collective qui voudrait que les mères s’approprient les enfants en représailles lors de séparation… On m’a presque traitée de folle pendant la procédure, on m’a dit que ma fille était ma béquille, mon doudou. Je comprends que des mamans abandonnent. Les institutions ont cependant compris que la théorie de l’aliénation parentale était fort critiquée, elles se sont adaptées et utilisent parfois d’autres termes qui veulent dire exactement la même chose, comme “séparation conflictuelle” ou “conflit de loyauté”. On m’a dit que ma fille était prise dans un “conflit de loyauté” dont j’aurais été responsable au même titre que le père, et on a menacé de la placer à l’internat, voire pire… C’est une menace classique ; aussi, je comprends que des mamans finissent par abandonner, non par choix, mais par peur. Comme son père voulait la voir et demandait un hébergement égalitaire, comme il avait un discours qui ne détonne pas par rapport au reste des acteurs institutionnels, il était considéré comme un bon père qui voulait juste s’occuper de sa fille.”
Des violences secondaires
Les violences institutionnelles et judiciaires sont considérées comme des violences secondaires, c’est-à-dire qu’elles renforcent et empirent le problème en donnant une réponse insuffisante aux violences subies dans un premier temps. Dans les affaires où les mères essaient de protéger leurs enfants en faisant appel à la Justice, cette victimisation secondaire peut mettre en danger la vie des victimes. “Obliger les victimes à avoir des contacts avec l’auteur des violences réactive le stress chez elle, et crée même parfois une ambivalence : certaines retournent en couple avec un homme violent à la suite de ces décisions de justice parce qu’elles pensent qu’elles ne lui échapperont jamais. On ne sort pas des violences intrafamiliales, et de l’emprise, en un claquement de doigts, cela prend du temps. Beaucoup d’actes de violences se produisent lors de l’échange des enfants si une garde partagée a été instaurée. C’est dramatique pour les femmes et les enfants, même s’ils sont “seulement” témoins, les enfants sont considéré·es comme des victimes à part entière, notamment dans la Convention d’Istanbul”, précise Marie Denis.
La garde partagée des enfants, et notamment le moment où il faut remettre l’enfant ou venir le chercher, peut en effet donner lieu à des violences allant des agressions verbales jusqu’au féminicide. Il s’agit de violences post-séparation, dans lesquelles les enfants sont souvent “utilisé·es” par l’auteur des violences. C’est ce qu’il s’est passé lors du féminicide de Madisson Hamoir en septembre 2022 : cette maman de 27 ans s’était rendue dans la maison familiale qu’elle venait de quitter pour y voir ses deux filles de quatre mois et quatre ans après avoir récemment rompu avec leur père. L’homme a tué Madisson Hamoir pendant cette visite.
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Apprendre à se défendre
Mathilde, de son côté, souligne avoir été très épaulée par ses proches et aidée dans son parcours par une multitude de professionnel·les bienveillant·es (psychologues, médecins, services d’aide, policier, associations, etc.), au rang desquel·les l’association Les Mères Veilleuses, fondée par Fatma Karali. Des ateliers sont mis en place par l’association pour apprendre à se défendre, certains étant animés par l’avocate Me Selma Benkhelifa pour mieux connaître la Convention d’Istanbul.
“On n’a pas encore parlé de ma fille. Or, c’est elle l’actrice principale de cette histoire. Elle a eu le courage et l’intelligence de s’opposer à son père. J’ai mis des années à comprendre que nous étions face à des “violences intrafamiliales”, elle a compris que la situation était anormale avant moi, et je précise qu’elle a souffert aussi en raison des procédures. On lui a aussi demandé de ne pas faire d’histoires, de simplement aller chez son papa. Elle a résisté à cela aussi !”, insiste la maman. L’arrêt de la cour d’appel de Mons accorde d’ailleurs une place prépondérante à la parole de la petite fille. La juge a estimé que les besoins qu’elle exprimait étaient “un critère à part entière dans la prise de décision, et non un élément à prendre en considération parmi d’autres”.
La maman espère désormais que cette décision de justice fasse jurisprudence. Avec sa casquette d’avocate, elle analyse : “La jurisprudence des cours d’appel a plus de poids que celle des tribunaux de la famille. L’arrêt qui a été rendu dans mon affaire est d’autant plus important !”
Par Camille Wernaers
N°257 / p. Web • Mars-avril 2024
Cet article provient du site internet d’ axelle, un magazine féministe belge que nous vous convions vivement à aller visiter. Allez également jeter un oeil sur leur magazine du même nom, édité par l’asbl Vie Féminine. Ça vaut le détour ! |