Alors qu’au début de la décennie, le « capitalisme vert » semblait inéluctable dans l’UE, le vent a tourné. De nombreux signes indiquent un retour de bâton politique visant à promouvoir la compétitivité au détriment de la durabilité écologique et sociale. Nous assistons au retour d’un libéralisme autoritaire sous une nouvelle forme, qui vise à libérer l’économie nationale des contraintes bureaucratiques et à laisser la protection du climat principalement aux mains du libre jeu des forces du marché et du progrès technique. Comment expliquer ce « grand retour en arrière » et qu’est-ce que cela signifie pour les syndicats et les représentants des intérêts des entreprises ?
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La crise mise en scène
Les politiques centrées sur le marché qui visent à protéger le climat par le biais du commerce des certificats ne sont pas sans poser problème. Si le prix du CO2 est trop bas, il n’a aucun effet incitatif. S’il est trop élevé, ce sont surtout les revenus moyens et faibles qui sont disproportionnellement pénalisés. À cela s’ajoute désormais un autre problème. Une grande partie de l’industrie déclare que la hausse des prix du CO2 constitue un désavantage concurrentiel qui pèse davantage sur l’économie, déjà affectée par les droits de douane américains, la concurrence chinoise, la pénurie de matières premières et les perturbations des chaînes d’approvisionnement. Au lieu de s’attaquer aux causes structurelles de la crise, on assiste à la résurgence d’un modèle de gestion de crise qui attribue la responsabilité de la situation économique difficile principalement aux syndicats, à une réglementation étatique excessive et au manque de motivation des travailleurs. Cela montre, selon la thèse n° 2, que la crise économique actuelle est également orchestrée sur le plan politique.
Prenons l’exemple de l’industrie automobile et de ses sous-traitants. Chez VW, comme chez d’autres constructeurs basés en Allemagne, la chute des ventes et des bénéfices est liée à un modèle économique qui n’est plus viable dans les nouvelles conditions du marché mondial. Dans le passé, les constructeurs allemands ont réalisé des bénéfices élevés principalement grâce aux services financiers et au segment haut de gamme des véhicules luxueux, coûteux et gourmands en carburant ou en énergie. Cela était relativement facile, car les acheteurs fortunés étaient prêts depuis longtemps à payer n’importe quel prix pour une voiture neuve. La situation a désormais changé, car le « Made in Germany » n’est plus sans concurrence, même dans le segment du luxe et surtout dans celui des voitures électriques. La crise de VW résulte essentiellement de la baisse des ventes des marques haut de gamme Porsche et Audi, ainsi que du recul des bénéfices dans le domaine des services financiers. Le groupe VW paie aujourd’hui le prix de son incapacité à proposer une voiture électrique compétitive à moins de 20 000 euros. En raison de leur retard dans le domaine de la mobilité électrique et des difficultés rencontrées dans la numérisation du produit, les constructeurs automobiles allemands ont perdu leur position de leader dans le développement technologique. Néanmoins, les dirigeants du groupe affirment que la crise du secteur, et en particulier chez VW, résulte d’un problème de coûts causé par un filet de sécurité que les syndicats, les comités d’entreprise et l’État auraient tendu au-dessus du personnel. Ce filet de sécurité empêcherait les ajustements urgents nécessaires au marché et serait la principale raison du déclin de la compétitivité du groupe VW et, en fin de compte, de l’ensemble du secteur.
De telles attributions détournent l’attention des échecs de la direction et masquent les faiblesses en matière d’innovation. Au lieu d’admettre que des modèles commerciaux obsolètes et des lacunes dans le développement technologique ont déclenché une évolution disruptive, comme le prédisent les experts depuis de nombreuses années, les syndicats et l’État social sont à nouveau désignés comme boucs émissaires par les politiques et les médias.
De l’eau au moulin de l’extrême droite
Selon la thèse trois, les changements de pouvoir dans les relations de travail font le jeu de l’extrême droite. Ainsi, en Allemagne, l’AfD s’allie à divers groupes d’opposition de droite, tels que le pseudo-syndicat « Zentrum », pour se présenter comme le défenseur des travailleurs dont les intérêts seraient délibérément sacrifiés au profit de la folie climatique des Verts. Lors des élections fédérales de 2025, l’AfD a remporté des succès électoraux spectaculaires, précisément dans les régions où la prospérité économique dépend essentiellement de la réussite de la décarbonisation. Dans la circonscription électorale de Zwickau, où se trouve une usine VW spécialisée dans les véhicules électriques qui emploie jusqu’à 10 000 personnes en période de forte activité, près de 40 % des électeurs ont voté pour l’AfD.
L’AfD et ses alliés d’extrême droite se présentent comme une force proche du peuple, promettant aux salariés une protection efficace, une reconnaissance sociale et la préservation de leur identité culturelle. Dans le même temps, les intérêts sécuritaires des « travailleurs qualifiés » locaux sont présentés de manière à ce qu’ils puissent s’opposer avec succès à une politique climatique qui viserait prétendument à appauvrir les travailleurs. La relativisation ou le déni du changement climatique sert l’intérêt du maintien du statu quo.
Changement de perspective : l’émancipation par la transformation
La quatrième thèse est la suivante : une politique d’intérêts tournée vers l’avenir doit opérer un changement de perspective qui associe transformation et émancipation. Les syndicats sont les seules organisations démocratiques pertinentes capables de promouvoir un esprit de révolte dans le monde du travail, qui peut devenir une ressource de pouvoir social.
C’est pourquoi il n’est pas judicieux de vouloir renouveler les syndicats en s’adaptant au virage à droite de la société. Au lieu de se concentrer principalement sur les segments de la classe ouvrière qui sympathisent avec l’extrême droite, la politique syndicale dans le monde du travail devra s’appuyer avant tout sur ceux qui s’opposent activement au virage à droite et qui soutiennent de manière constructive et critique la transformation de l’économie et de la société. Il s’agit de leur apporter notre soutien. Il s’agit principalement de salariés qui, comme cela s’est déjà produit dans le secteur de la santé ou de l’économie sociale, prennent de plus en plus conscience de la valeur de leur travail pour la société. Dans le même temps, ce sont de minuscules minorités au sein de la classe dirigeante qui monopolisent les décisions relatives aux modèles commerciaux, aux produits et aux processus de production. Même les comités d’entreprise et les organisations syndicales les plus puissants sont largement exclus de ces décisions. Cette exclusion est totalement taboue dans les débats politiques qui se concentrent uniquement sur les modes de consommation. Pour corriger cela, il faudra recourir à des alliances et des coalitions qui font avancer avec détermination la transformation sociale et écologique.
Dans ce contexte, il ne faut pas passer sous silence ce qui sape actuellement la crédibilité de toute politique climatique : l’obsession politique d’augmenter considérablement les budgets de la défense. Quiconque souhaite une transformation sociale et écologique de l’économie et de la société ne peut passer sous silence le réarmement. D’autant plus que tout semble actuellement possible pour l’industrie de l’armement, ce qui ne devrait pas être le cas pour l’économie civile : un financement généreux au prix d’un déficit public croissant, une planification à long terme, des garanties d’achat par l’État et une monopolisation délibérée qui fausse les mécanismes du marché.
L’alternative à l’économie de guerre peut être un État social écologique qui fait participer les riches aux coûts de la transformation sociale et écologique en fonction de leur empreinte écologique et climatique. En principe, le principe suivant doit s’appliquer au niveau de la répartition sociale : plus l’empreinte climatique est importante, plus la contribution au financement d’un État social écologique doit être importante. C’est la seule façon de corriger ce que les recherches sur la relation entre les inégalités sociales et les émissions nocives pour le climat ont démontré : les émissions disproportionnées des élites capitalistes, qui pèsent principalement sur les populations les plus pauvres.
Notons bien que les syndicats sont actuellement confrontés à d’énormes défis. « Ouvrière et fière de l’être ! » : telle est la phrase avec laquelle les femmes de PRO-GE s’attaquent avec succès au cercle vicieux de l’affaiblissement du pouvoir syndical. Les t-shirts et les sacs portant cette inscription se sont avérés être un véritable succès. Cela montre symboliquement ce qui doit être fait pour priver le nouvel autoritarisme de son terreau fertile parmi les travailleurs. « Gardez la tête haute ! » : tel est le message que la politique syndicale émancipatrice doit transmettre malgré toutes les difficultés du quotidien. Les personnes dépendantes de leur salaire sont généralement conscientes de leur situation difficile. Ce dont ils ont besoin, c’est d’une confiance fondamentale dans leurs propres capacités, qu’ils possèdent sans aucun doute. Renforcer cette confiance fondamentale grâce à des relations sociales solidaires est une tâche que la politique émancipatrice de classe, syndicale et de transformation doit réapprendre à accomplir. Il reste à espérer que cela réussira le plus rapidement possible.
Klaus Dorre
Klaus Dorre est professeur émérite de sociologie du travail, industrielle et économique à l’Université d’Iéna (Allemagne, Thuringe). Depuis avril 2025, il est également professeur invité à l’Institut du Développement Durable de l’Université de Kassel (Allemagne, Hesse).
Outre sur les aspects financiers du capitalisme, il écrit également sur les questions d’inégalités.
De 2011 à 2021, il a été un des directeurs du groupe de recherche DFG sur les sociétés postcroissance. Il a dirigé le Centre de Transformation Numérique de Thuringe. Il a été rédacteur en chef du Berliner Journal fur Soziologie. De 2018 à 2022, il a été un des rédacteurs du Global Dialogue.
Ses ouvrages sont édités en allemand, certains traduits en anglais, notamment aux USA, aucun en français.
Il collabore notamment épisodiquement avec la Fondation Rosa Luxembourg.
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Traduction POUR Press.
Travail, Salariés, Syndicats, Climat, énergie, Protection du climat, Crise, Économie