Serions-nous en train de faire face à une tentative de réécrire l’histoire de la prise du Palais de justice de Bogota par le Mouvement du 19 avril (M-19), en 1985, ceci dans le but de nuire à la candidature de Gustavo Petro aux prochaines présidentielles ?
Une véracité assez relative
L’une des séries les plus regardées actuellement sur la plateforme de distribution
Netflix est
Narcos, produite par la filiale de Gaumont (États-Unis) et réalisée par Chris Brancato, Eric Newman et Carlo Bernard, tous trois citoyens des États-Unis. Le quatrième épisode entend revenir sur l’émergence du Cartel de Medellin en nous contant la vie de Pablo Escobar «
basée sur des faits réels ». En réalité, la véracité de cette « reconstitution » est assez relative et une majorité de Colombiens ne se retrouve pas dans le pays où les scènes sont projetées. En effet, les héros de la série sont deux agents de la DEA (
Drug Enforcement Administration[1]) états-unienne qui parviennent à mettre en déroute les narcotrafiquants et en remportent tous les mérites.
[1] La DEA est une agence fédérale nord-américaine, créée sous Richard Nixon en 1973 et dépendant du ministère étasunien de la Justice. Elle est chargée, avec un budget annuel de 3 milliards $, de combattre le trafic et la distribution de stupéfiants aux États-Unis. L’Agence dispose de 10.784 employés, dont 5.235 “agents spéciaux”.
Le Cartel de Medellin
Le « Cartel de Medellin », terme forgé en 1986 par deux journalistes étasuniens, est une organisation criminelle spécialisée dans le trafic de cocaïne vers les États-Unis et développée au départ de la ville de Medellin, dans la province d’Antioquia, au centre de la Colombie. Il opéra au cours des années 1970 et 1980, quand il connut son apogée, dans divers pays d’Amérique du Sud et centrale, mais aussi aux États-Unis, au Canada et en Europe. Son plus célèbre dirigeant fut Pablo Escobar (1949-1993). À l’époque de sa plus grande prospérité, le cartel contrôlait 80% du marché et exportait chaque semaine plusieurs tonnes de cocaïne, pour une valeur de 25 milliards $ par an. (Wikipédia) |
Dépoussiérer la propagande politique
Mais il y a plus : plusieurs “faits réels” déforment en effet la réalité, soit en dépoussiérant la propagande politique des années 1980, soit en réinsérant des réécritures de l’Histoire relativement récentes. Par exemple, le pilote nord-américain qui transporte la cocaïne aux États-Unis fait escale à… Cuba et au… Nicaragua, à l’époque gouverné par les sandinistes qui affrontaient les raids de la
Contra mise sur pied par le gouvernement Reagan.
Jorge Magasich
*Cet article est la transcription de l’émission (en espagnol) Historia de América, du 27/3/2021, présentée le quatrième dimanche de chaque mois par le professeur et historien Jorge Magasich, dans l’espace Campus Latino sur Radio Campus de l’ULB (FM 92.1). Traduite et adaptée par Paul Delmotte. Les encadrés sont de la rédaction.
[1] Magazine colombien d’actualités, fondé en 1946, sa publication fut interrompue en 1961, puis reprise en 1982. Il est aujourd’hui dirigé par Alejandro Santos Rubino.
[2] L’interview peut être lue et écoutée sur le site NODAL.
[3] Ejercito de liberacion national (Armée de libération nationale), l’ELN est le deuxième mouvement de guérilla en importance en Colombie, après les FARC (Fuerzas armadas revolucionarias columbianas/Forces armées révolutionnaires colombiennes), avec quelque 2.000 combattants en 2016, selon les autorités, auxquels s’ajoutaient 7.500 « miliciens » (militants civils). L’organisation figure sur la liste des organisations « terroristes » des États-Unis, du Canada et de l’UE – Wikipédia)
[4] Le lieutenant-colonel Oliver Laurence North, membre du corps des Marines en tant que major pendant 20 ans, ancien du Vietnam, jouera un rôle clé dans l’Irangate (voir encadré). Il a été pendant un an (2018-2019) président de la National Rifle Association (NRA) et anime des émissions sur la chaîne Fox News qui a soutenu presque jusqu’au bout Donald Trump. Il sera nommé au Conseil de sécurité nationale en 1981.
[5] Le général Manuel Noriega fut « l’homme fort » du Panama de 1983 à 1989, en tant que chef de l’armée panaméenne. Formé au contre-espionnage et aux « opérations psychologiques » à l’École militaire des Amériques, de sombre réputation, il sera recruté par la CIA en 1967 et travaillera pour elle jusqu’aux années 1980. Il facilitera les livraisons d’armes à la Contra nicaraguayenne. Agent double, il collaborera aussi aux services cubains et nouera des accointances avec le Cartel de Medellin (voir encadré). L’administration Regan, qui avait empêché le Congrès d’enquêter sur le meurtre d’un opposant panaméen, « lâchera » Noriega en 1987. L’année suivante, un tribunal états-unien l’accusera de trafic de drogue et de racket. Il sera également accusé d’avoir livré à Cuba des informations classées secrètes, d’avoir transféré au Bloc de l’Est des technologies sensibles et vendu des armes à des guérillas « communistes », comme les sandinistes. L’administration Reagan lui reprochera ensuite d’avoir fait annuler l’élection présidentielle de 1989 pour s’autoproclamer président. Noriega se risquera alors à une « déclaration de guerre » aux États-Unis. Sous prétexte de l’exécution d’un soldat américain par des soldats panaméens, le président George H.W. Bush ordonnera l’invasion de Panama en décembre 1989. Emprisonné aux États-Unis pour « trafic de drogue » et « blanchiment », Noriega le sera pour « meurtres » dans son pays, où il mourra le 29 mai 2017 (d’après Wikipédia).
[6] Basé sur Wikipédia.
[7] Menée par Hachemi Rafsandjani, alors président du Parlement qui allait devenir président de la République islamique de 1989 à 1997. H. Rafsandjani est mort en 2017.
[8] De 1985 à 1985, 2.500 missiles antichars TOW furent livrés à l’Iran.
[9] Démissionnaire fin 1985 « pour raisons familiales » et remplacé par l’amiral John Poindexter.
[10] Les Gardiens de la révolution islamique.
[11] Forces armées révolutionnaires de Colombie.
[12] Ejercito popular (Armée populaire), communiste, associée aux FARC.
[13] Celles des militants du M-19 Otty Patiño, Evert Bustamente et Arjaid Artunduaga.