Bloquer l’économie et interrompre les flux : une nouvelle boussole politique ?

Comment s’opposer à une réforme gouvernementale à l’image de celle des retraites ou faire bifurquer l’ordre social dans une perspective écologiste ? Du Comité Invisible aux Gilets Jaunes, en passant par les actions des Soulèvements de la Terre, le sabotage des flux semble constituer à l’échelle internationale une nouvelle grammaire militante. Cette idée est-elle si nouvelle ? Quel intérêt présente ce mode d’action au regard des autres formes de protestation et de subversion? Retour sur l’histoire du sabotage et son actualité.

Entretien réalisé par Quentin Hardy et Pierre de Jouvancourt, avec Dominique Pinsolle, historien à l’Université Bordeaux Montaigne, co-directeur avec Nicolas Patin du livre Déstabiliser l’État en s’attaquant aux flux. Des révoltes antifiscales au sabotage, XVIIe-XXe siècles, Nancy, Arbre bleu éditions, 2020.

Depuis une quinzaine d’années, on observe un retour de l’imaginaire et des pratiques du sabotage. Vous rappelez pourtant qu’au début du XXe siècle, au moment de l’instauration des grands réseaux techniques, le syndicalisme révolutionnaire promeut le sabotage et met au cœur de son action l’interruption des fils télégraphiques, des réseaux électriques et des chemins de fer. Un siècle plus tard, est-ce si nouveau de souligner que le pouvoir repose sur des flux vulnérables et de parier sur le blocage des infrastructures ?

A première vue, il n’y a pas grand-chose de nouveau : si on lit, par exemple, le livre Comment nous ferons la révolution, écrit par les syndicalistes révolutionnaires Émile Pataud et Émile Pouget en 1909, il est déjà question de blocage général de l’économie, en ciblant particulièrement les flux essentiels aux pays : chemins de fer, télécommunications, gaz, électricité…

Mais si on examine dans le détail la manière dont cette idée a été remise au goût du jour depuis une quinzaine d’années, les différences avec la CGT de la Belle Epoque sautent aux yeux : alors que le sabotage des réseaux et des infrastructures était étroitement lié à un mouvement de masse dans la théorie de la grève générale à la fin des années 1900, le blocage tel qu’il a été défendu par le « Comité invisible » ou même une partie des Gilets Jaunes reposait plutôt sur l’idée qu’il suffirait de concentrer les efforts sur certains points névralgiques et stratégiques du système économique pour le paralyser, sans véritablement se préoccuper de construire un mouvement de grève massif parmi les travailleurs en partant des lieux de production.


By Terrestres

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