ALARMES À AMMAN

JORDANIE : PARTIE I

 

Exagérées ou pas, les rumeurs de tentative de coup d’État entendues dans la capitale jordanienne au cours des premiers jours de ce mois d’avril ont engendré une série de questions et d’hypothèses d’interprétation. Une chose apparaît comme difficilement contestable : les mutations géopolitiques entraînées récemment au Proche-Orient par la diplomatie états-unienne ont remis en question le rôle traditionnel du Royaume hachémite de Jordanie, au demeurant secoué par les crises sociales.

Quelle a été la fonction assignée à cet État, créé de toutes pièces en 1921 par les Britanniques ?

Perfide Albion

Il suffit de regarder les tracés de frontières rectilignes dessinés sur les cartes du Proche-Orient en 1916 par le diplomate anglais Mark Sykes et son interlocuteur français François Georges-Picot pour se rendre compte du côté « artificiel » – mais quel territoire étatique ne l’est pas ? – de ce qui fut d’abord l’Émirat de Transjordanie

En créant ex-nihilo un État, en grande partie désertique[1], les Britanniques entendaient mettre en place, au lendemain de la 1ère Guerre mondiale, un « État tampon » susceptible de freiner à la fois les ambitions de son alliée et rivale, la France ; celles de ses alliés de guerre, les Hachémites[2], qu’ils venaient de trahir ; celles du royaume saoudien en cours de formation et même celles du mouvement sioniste, leur allié pourtant.

La France s’était en effet installée au Liban et en Syrie, conformément aux Accords Sykes-Picot. Elle n’en demeurait pas moins une rivale, qui plus est désormais à proximité du canal de Suez ! C’est en fonction de cette appréhension des Anglais qu’il faut comprendre à la fois la création de l’Émirat et la Déclaration Balfour[3], à l’origine de l’État d’Israël.

Fayçal, placé par Londres sur le trône d’Irak, un « lot de consolation »
Les Hachémites, dynastie régnant sur le Hejjaz, la province de la péninsule Arabique où se trouvent les Lieux saints de l’islam (La Mecque et Médine) avaient, dès les débuts de 1914-18, accepté l’alliance britannique contre l’Empire ottoman, par l’entremise, e. a., du colonel Thomas Edward Lawrence, dit d’Arabie. En échange de la création, après la victoire, d’un grand royaume arabe au Proche-Orient. Lawrence allait accompagner la Grande révolte arabe menée par les fils du cherif [4] Hussein de La Mecque jusqu’à Damas. Mais les Anglais durent alors tenir compte des promesses qu’ils avaient faites aux Français en 1916, c. à d. les laisser instaurer leur mandat au Liban et en Syrie. C’en était fini des promesses de Londres et du colonel : chassé de Damas par les Français, l’aîné des fils de Hussein, Fayçal, allait être placé par Londres sur le trône d’Irak. La création de l’Émirat de Transjordanie fut en fait un « lot de consolation » pour le frère puiné de Fayçal, Abdallah, futur premier roi de Jordanie et grand-père du roi Hussein[5] qui, d’abord intronisé à Bagdad, avait dû faire place à son aîné. Il est vrai qu’Abdallah menaçait Londres de lui créer des problèmes avec les Français en s’attaquant à la Syrie…


By Paul Delmotte

Professeur de Politique internationale, d'Histoire contemporaine et titulaire d'un cours sur le Monde arabe à l'IHECS, animé un séminaire sur le conflit israélo-palestinien à l'ULB. Retraité en 2014.