À qui profite l’Exil ?

La journaliste finlandaise Taina Tervonen s’intéresse depuis longtemps aux migrations et propose avec « À qui profite l’exil » le rassemblement de plusieurs reportages réalisés pour La Revue dessinée. Une remarquable synthèse qui fait le tour de la question de l’Europe, des frontières, des migrations et de l’exploitation.

Si l’attrait d’une vie meilleure depuis l’Afrique est ancien, la crise migratoire commence véritablement en 2010 à l’occasion des guerres civiles libyenne et syrienne ainsi que des Printemps arabes, avec un pic en 2015 qui correspond au plus grand nombre de morts en Méditerranée suite au durcissement des frontières des Balkans. Taina Tervonen commence son récit sur la terrible récupération d’un tombeau flottant en Italie. En n’oubliant jamais de rester à hauteur d’homme, notamment les européens chargés de récupérer les corps, de les identifier, mais également des responsables “techniques” qui ne cessent de parler du rôle des politiques, la journaliste va progressivement décortiquer les causes de ces migrations (désormais majoritairement économiques) et le jeu pervers de l’Union Européenne où ce contexte est un bon prétexte pour faire exploser les dépenses militaires et de sécurité au fil de programmes qui feraient passer Big Brother pour un grand naïf.

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Sans tomber dans une mièvrerie à sens unique, Tervonen explique que les grosses sommes dépensées pour l’aide au Développement en Afrique sont accaparées par des régimes pas toujours démocratiques et presque toujours corrompus, mais aussi que l’Europe a une responsabilité directe dans certaines migrations, comme ces rapines des pécheurs au large des côtes atlantique qui laissent les petits pécheurs africains les filets vides. Des textes interdisent ces navigations mais faute de volontés des polices locales d’intervenir les petits n’ont que leurs yeux pour pleurer.

Poussée par des électeurs européens de plus en plus xénophobes les administrations de l’UE se retrouvent dans le paradoxe de refuser de secourir les bateaux en détresse dans le plus grand cimetière naturel au monde mais dépensent sans compter pour surveiller, récupérer les corps et les identifier. Morale chrétienne contre réalisme économique… pourtant on voit dans la dernière partie de l’album la réalité des vies des migrants qui ont réussi à passer.

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Travailleurs de nuit à Paris, ils gardent les gamins des français, nettoient leurs rues, travaillent dans les cuisines de leurs restaurants sans que les patrons n’oublient de leur attribuer des régimes dérogatoires en matière de protection santé et de salaire. Les sans-papiers sont connus mais ne peuvent réclamer leur dû. Le risque pour l’emploi est-il réel lorsque l’on constate le type de travail dont personne ne veut ? Sans doute pas, mais le discours populiste instrumentalisant le chômage fait mouche.

Passionnant et très agréable à lire grâce à des planches d’une grande variété de style et à une narration dynamique qui relie les dossiers sans verser dans le pamphlet, A qui profite l’Exil est une nouvelle lecture obligatoire pour tous les citoyens qui s’interrogent sur ces “vagues” migratoires annoncées et le décompte morbide régulier des naufrages en Méditerranée. Un ouvrage salutaire pour qui souhaite garder une âme humaine en cette triste époque.

 

Sofiene Boumaza

Le billet a été publié sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com


A qui profite l’Exil

de Taina Tervonen et Jeff Pourquié

Nombre de pages : 176p. couleur

Date de sortie (France) : 29 mars 2023
Éditeur : Delcourt – La Revue dessinée.

 

 

 

 

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