Imaginez que la Belgique dispose d’un outil de financement capable de financer des projets essentiels d’un point de vue économique, écologique et social : infrastructures, logements, énergie, production alimentaire, … Imaginez qu’au total cet outil ait une capacité de prêt de 120 milliards d’euros, et qu’il soit suffisamment profitable pour alimenter les budgets publics chaque année, à hauteur de 400 millions d’euros par an. Qu’il soit suffisamment étendu pour être mobilisé tant à l’échelle locale que fédérale, et qu’il puisse financer des projets de particuliers, d’entreprises et de communes.
Imaginez maintenant que, pris d’une zine, un gouvernement décide, sans discussion ni concertation avec la population, ni même avec ses représentant.es, de le vendre. Comme ça, juste pour rentrer de l’argent dans les caisses, parce « qu’il faut financer la défense » (comprenez l’armement) et réduire la dette publique.
Est-ce qu’on ne se dirait pas « ils sont tombés sur la tête ? Arrêtons cela tout de suite ! » . C’est pourtant cette folie que le Ministre des Finances Jan Jambon se propose de commettre avec la banque Belfius : nous priver et priver les générations futures d’un bien commun et d’une manne financière appréciable dont elles auront tant besoin pour affronter les difficultés qui s’amoncellent, et détourner ces richesses communes pour participer à une course à l’armement. Osons le dire: c’est un véritable vol vis-à-vis des générations futures que commettrait le gouvernement fédéral s’il se livrait à une telle opération. Sur le seul plan économique, si le baron Albert Frère avait été le propriétaire de Belfius et Jan Jambon son conseiller financier, ce dernier se serait fait virer sur le champ s’il avait proposé une opération aussi stupide financièrement.
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Belfius, un joyau de l’État
Rappelons quelques faits. Belfius appartient à tous les citoyens et citoyennes de Belgique – c’est écrit dans son nom : « Bel » pour Belgique, « Fi » pour finance, « us » pour nous en anglais. La banque a été achetée en 2011 par l’État belge suite à la faillite de Dexia, pour un montant total de 4 milliards. Aujourd’hui, elle nous a déjà rapporté près de 3 milliards de dividendes, sa valeur comptable est évaluée à plus de 12 milliards, et elle nous appartient toujours à 100%.
La dette publique de la Belgique se situe à 660 milliards. Même si le gouvernement Arizona vendait la totalité de Belfius, il ne réduirait cette dette que de 1,8 %. Dans le même temps, cette vente priverait les budgets publics de plusieurs centaines de millions de dividendes par an. Pour s’en défendre, les protagonistes de cette vente affirment que, si on ne vendait « que » 20 % de la banque, l’État pourrait conserver le même dividende même en ne possédant plus que 80% des actions, mais n’est-ce pas tenter de nous faire croire au Père Noël ? D’abord, on le sait, une vente partielle mène in fine à une vente totale (comme on l’a vu avec la CGER ou Bpost), et tirer les mêmes revenus en étant propriétaire de moins ne pourrait se faire qu’en mettant plus de pression encore sur la banque, ses travailleur.euses, et ses usager.es.
Le rôle d’un gouvernement est de prévoir et d’anticiper les besoins futurs, pas de faire une opération comptable vite-fait aujourd’hui qui se paiera cher demain et pour longtemps encore. Car les besoins, dans les prochaines années, sont immenses : les dérèglements climatiques, les besoins en logement et en santé, les besoins de refinancement des pensions, la lutte contre les inégalités, et bien d’autres encore vont devoir mobiliser des moyens financiers énormes qui ne seront plus disponibles si on se met à vendre les bijoux de famille.
La banque est un service public
La banque est un rouage essentiel du fonctionnement de la société et de son économie. Elle assure la conservation de l’épargne des habitant.es. Elle octroie des prêts à celles et ceux qui veulent s’acheter un logement ou démarrer une entreprise, aux entreprises, aux communes et autres institutions collectives qui veulent investir. La banque est aussi devenue un outil indispensable au quotidien puisque c’est elle qui fournit les moyens de paiement : impossible d’obtenir un emploi, de percevoir un salaire et des allocations, de faire des achats, et d’accomplir d’innombrables gestes de la vie quotidienne si l’on n’a pas un compte et une carte bancaires.
La banque est donc avant tout un service public, qui doit donner à chacun et chacune les moyens de fonctionner au quotidien. Or le privé n’a pas vocation à gérer un service public ! Pourtant, à l’exception de Belfius, toutes les banques de Belgique sont désormais privées. Or le privé a déjà amplement démontré son incapacité à gérer une banque, comme en atteste la crise bancaire de 2008, qui a eu un impact énorme sur les finances de l’État et qui s’est traduite par une réduction massive des services publics, et – par voie de conséquence – par des impacts délétères sur une grande partie de la population. Sans compter la réduction spectaculaire de la notion de service, qui n’est pas l’apanage des seules banques, mais de l’ensemble des grandes sociétés privées qui se sont lancées dans une course effrénée vers la société zéro-services. Une descente aux enfers pour grand nombre de citoyen.nes.
Le sauvetage par Belfius ?
On aurait pu penser que Belfius, la banque publique qui compte plus de 3 millions de clients, assurerait ce rôle de service public, offrant une véritable alternative, accessible à toutes et tous. Las, Belfius a été confiée à Marc Raisière qui, après s’être livré à une campagne de pub hallucinante demandant aux citoyens d’aimer sa banque, n’a rien trouvé de mieux que de courtiser les riches, en développant la gestion du patrimoine pour personnes fortunées. Au point qu’il s’est fait tancer par le ministre des Finances, qui a découvert que la qualité des services offerts par Belfius à ses clients était fonction de la richesse de leur portefeuille.
S’il faut donc s’opposer à la privatisation de tout ou partie de Belfius, il faut aussi et surtout veiller à ce qu’elle devienne une banque au service de tous et toutes, plutôt que de calquer sa stratégie sur celles des trois grandes banques privées que sont Fortis, ING et KBC, qui ont réduit voire supprimé la plupart des services à la population, enveloppant chaque fois leur annonce dans un discours où la formule « pour mieux vous servir » fait florès :
- Pour mieux vous servir, nous n’accepterons plus les virements bancaires dans nos agences.
- Pour mieux vous servir, nous avons décidé de retirer les distributeurs de billets dans votre agence.
Avec ces trois banques privées, Belfius s’est jointe au projet Batopin dont l’objectif est de réduire d’environ un tiers le nombre de distributeurs de billets en Belgique. À l’instar de ces trois grandes banques privées, Belfius a aussi réduit drastiquement le nombre de ses agences, qui sont passées de 818 en 2011 à 460 à la fin de 2024, et orienté ses client.es les moins fortuné.es vers des machines.
Belfius a besoin d’une vraie gouvernance
Le conseil d’administration de Belfius n’a pas empêché sa direction de se comporter comme n’importe quelle banque privée. Le débat que nous ouvrons aujourd’hui sur l’avenir de Belfius exige aussi de revoir les modes de gouvernance de la banque. Le futur conseil d’administration doit comprendre des représentant.es de la population, des entreprises, des communes, des sociétés de logement social, des syndicats, des hôpitaux, et des autres entités que la banque doit servir. Cela permettra notamment d’éviter les dérives que Belfius a connues sous l’ère Raisière, tel que le refus de Belfius de financer de nombreuses communes pour des raisons politiques. Grâce à cette nouvelle gouvernance, Belfius pourra jouer un rôle dans l’accès à des logements abordables, dans la transition énergétique et écologique, le financement des infrastructures publiques, et ainsi mener une véritable politique bancaire au service de la population.
Pour conclure
La vente de tout ou partie de Belfius n’a aucun sens du point de vue économique. Le gouvernement ne donne d’ailleurs aucun motif autre que de faire immédiatement rentrer deux milliards dans les caisses, en passant sous silence la perte sèche que cette vente représenterait pour les générations futures. Alors ouvrons un large débat sur l’avenir de Belfius. C’est l’occasion de la transformer en une véritable banque publique et d’éviter qu’elle ne soit vendue à la va-vite, ce qui serait un vol presque parfait.
Michel Gevers, Professeur émérite UCLouvain
avec le soutien du GERFA, de Financité, du CADTM, de FairFin, de la CNE, d’ATTAC
L’auteur remercie vivement Aline Fares et Morgane Kubicki qui lui ont fourni de précieuses informations et des commentaires judicieux sur une première version de ce texte.