Gen Z 212 et les protestations de la jeunesse au Maroc : de la sphère numérique à la rue

Le mouvement a éclaté spontanément après un drame à l’hôpital où des femmes sont décédées lors d’accouchements faute de soins
Le Maroc connaît actuellement — automne 2025 — une vaste vague de protestations de masse menée par les jeunes, qui a remis sur la scène politique des interrogations fondamentales sur la justice sociale, les droits fondamentaux, la dégradation des services publics et la légitimité politique du régime. Ce mouvement, qui a pris le nom de « Gen Z 212 »*, d’après l’indicatif téléphonique international du pays, n’est pas né du néant ; il est le fruit d’un lent processus d’accumulation de marginalisation, de pauvreté, de l’absence de services essentiels dans la santé et l’éducation, et de la propagation du chômage et de la corruption. Le mouvement a éclaté spontanément après un drame à l’hôpital Hassan II d’Agadir, où des femmes sont décédées lors d’accouchements faute de soins. Cette étincelle s’est transformée en une insurrection sociale qui s’est rapidement étendue aux grandes villes telles que Rabat, Casablanca, Fès, Marrakech, Taroudant, Salé et Oujda, devenant en peu de temps une expression d’une crise globale vécue par toute une génération de jeunes Marocains et Marocaines, tout particulièrement des classes laborieuses.

La technologie n’est pas neutre ; elle est un instrument de domination entre les mains du capitalisme et des régimes autoritaires, mais elle peut aussi devenir un outil de libération si elle est utilisée de manière progressiste, organisée et de gauche
Ce qui distingue ce mouvement, ce n’est pas seulement son ampleur et sa diffusion géographique, mais aussi sa dépendance à de nouveaux mécanismes d’organisation et de mobilisation qui ont débuté dans la sphère numérique pour se répercuter sur le terrain. C’est ici que se manifeste la relation entre l’expérience marocaine et le concept de « gauche électronique et lutte électronique », où une dimension sociale tangible rencontre une dimension technologique et organisationnelle pour produire une nouvelle forme d’action politique. Le pouvoir central de ce modèle est qu’il reprend la politique aux mains des anciennes élites et la restitue à la rue et à la jeunesse. Il affirme constamment que la technologie n’est pas neutre ; elle est un instrument de domination entre les mains du capitalisme et des régimes autoritaires, mais elle peut aussi devenir un outil de libération si elle est utilisée de manière progressiste, organisée et de gauche. Ce qui s’est passé au Maroc reflète cette possibilité : avec des moyens simples, les jeunes ont construit une sphère publique numérique alternative et libre dans laquelle ils ont exprimé leur rejet de l’autoritarisme, de la corruption, de l’injustice et de la marginalisation de leur vie quotidienne. Les vidéos courtes, les mèmes et les débats en ligne sont devenus de véritables outils de mobilisation politique, d’organisation et de production d’une conscience critique de masse — à l’écart des médias officiels qui tentaient de stigmatiser le mouvement et de le réduire à des actes de violence ou de vandalisme.

 

1- Organisation numérique en réseau des jeunes : au-delà des mécanismes traditionnels, une nouvelle arène de lutte de gauche

Ce qui caractérise ce mouvement n’est pas seulement ses revendications légitimes — centrées sur l’amélioration de la santé et de l’éducation, la création d’emplois, la lutte contre la corruption et la justice sociale — mais surtout sa forme organisationnelle électronique-digitale et ses outils qui incarnent précisément les idées de la Gauche Électronique**. Dans une large mesure, il s’est organisé en dehors des cadres traditionnels des partis et des syndicats, lesquels, pour diverses raisons, avaient des liens faibles avec les nouvelles générations et étaient vus par beaucoup de jeunes comme des structures bureaucratiques rigides incapables d’exprimer les préoccupations populaires. En revanche, la sphère numérique a ouvert des perspectives pour une organisation totalement différente, fondée sur la flexibilité, la rapidité et l’ouverture. Des plateformes comme TikTok, Instagram et Facebook sont devenues des outils de mobilisation et de rassemblement, tandis que les serveurs Discord sont devenus des sortes de « centres populaires numériques » pour les débats, la planification et la prise de décision collective horizontale.

Il n’y a plus un leader unique ou une pyramide de comités dirigeants contrôlant les événements ; ce sont des groupes horizontaux en réseau
Ce nouveau modèle organisationnel représente un dépassement fondamental des concepts de leadership individuel ou de centralisme hiérarchique strict. Il n’y a plus un leader unique ou une pyramide de comités dirigeants contrôlant les événements ; ce sont des groupes horizontaux en réseau, chacun prenant ses décisions sur le terrain dans le cadre d’objectifs généraux partagés. Cette décentralisation n’a pas été un signe de faiblesse, mais une source de force, car elle a rendu difficile pour les autorités et les services de sécurité de pénétrer le mouvement ou de le décapiter en ciblant une direction unique. Même lorsque des comptes sont fermés ou que des militant·es sont arrêté·es, le mouvement reste capable de se reproduire et d’étendre son espace organisationnel. Cette capacité de survie et de renouvellement reflète l’esprit véritable de l’organisation et du mouvement électronique-digital, où l’organisation n’est pas un appareil rigide mais un réseau vivant capable de s’étendre et de se transformer selon les circonstances.

Les autorités ont tenté à plusieurs reprises de fermer des comptes, de bloquer du contenu ou de cibler des coordinateurs, mais la nature décentralisée du mouvement a limité l’impact de ces tentatives
L’architecture en réseau a permis au mouvement de se propager rapidement et facilement sur un vaste territoire — des grandes villes aux zones périphériques — et lui a permis de contourner la répression sur le terrain et la surveillance numérique. Les autorités ont tenté à plusieurs reprises de fermer des comptes, de bloquer du contenu ou de cibler des coordinateurs, mais la nature décentralisée du mouvement a limité l’impact de ces tentatives. Au moment où un compte est fermé, un autre apparaît ; dès qu’un lien organisationnel est rompu, d’autres canaux se créent. Cette dynamique met les autorités face à un véritable dilemme : elles affrontent un « processus organisationnel de masse » sous une forme nouvelle, difficile à contrôler, et non une organisation classique pouvant être démantelée par l’arrestation de ses dirigeant·es.

C’est la naissance effective d’un nouvel espace de gauche qui émerge du bas, des initiatives autonomes, du travail collectif, et qui s’appuie sur la technologie comme outil de libération plutôt que comme instrument de domination
L’organisation numérique en réseau est une nouvelle forme de culture politique et d’organisation courante parmi les jeunes d’aujourd’hui. Les débats sur Discord n’étaient pas limités à des slogans ou des plans de terrain ; ils se sont transformés en un espace éducatif partagé, où les jeunes échangent leurs expériences, discutent stratégies et tissent un langage commun de lutte. En ce sens, la sphère numérique est un moyen de communication qui s’est transformé en « école collective de gauche multiplateforme », produisant une conscience politique nouvelle qui dépasse le tutelle des partis traditionnels et le discours des élites intellectuelles. Ce que nous voyons ici, c’est la naissance effective d’un nouvel espace de gauche qui émerge du bas, des initiatives autonomes, du travail collectif, et qui s’appuie sur la technologie comme outil de libération plutôt que comme instrument de domination sous contrôle des entreprises capitalistes numériques et des États autoritaires.

On peut dire que l’organisation numérique en réseau créée par la jeunesse marocaine est l’expression pratique de la proposition de la Gauche Électronique selon laquelle la sphère numérique est aujourd’hui devenue une arène importante de lutte des classes. De même que les usines, les fermes et les bureaux sont les principaux fronts de confrontation entre capital et travail, l’internet est devenu la nouvelle « usine » complémentaire pour produire la conscience et organiser la résistance. La différence est que cette usine nouvelle n’est pas un lieu matériel limité par des murs ; elle est un espace ouvert, mobile, où les cercles de débat s’élargissent et où des initiatives surgissent facilement — lui conférant un caractère global et international, car elle abolit les frontières nationales et crée des possibilités de communication et de coordination entre des mouvements géographiquement éloignés mais similaires en leur cœur.

Le mouvement « Gen Z 212 » est la première insurrection presque entièrement numérique du monde arabe
Si l’on compare le mouvement marocain à d’autres expériences de la région, on y trouve un caractère distinctif. En Tunisie, par exemple, les plateformes numériques ont été utilisées pour la mobilisation dès 2011, mais d’une manière initiale. Au Liban en 2019, WhatsApp et Telegram sont devenus des outils centraux d’organisation des manifestations. Au Maroc en 2025, cependant, nous avons vu l’entrée d’une génération entière qui ne connaît la politique que par la numérisation et considère la sphère numérique comme une extension naturelle de sa vie. C’est cela qui fait du mouvement « Gen Z 212 » la première insurrection presque entièrement numérique du monde arabe, et qui confirme que l’avenir de la lutte de gauche ne sera pas possible sans absorber ces transformations et les employer efficacement — en construisant des internatio­nales de gauche numériques et des alternatives technologiques progressistes qui dépassent les frontières nationales et coordonnent les expériences à travers le monde.

 

2- Les revendications soulevées reflètent le noyau vivant de la gauche — justice sociale et besoins des masses

Ce qui frappe dans l’expérience de la jeunesse marocaine, c’est que les revendications qu’ils ont portées dans la rue et en ligne, malgré leur simplicité directe, portent un sens profondément de gauche — même si la majorité d’entre eux n’appartiennent à aucune organisation politique. Ces jeunes ont compris — consciemment ou par une intuition politique collective — que la force de toute mouvement émancipatoire réside dans la construction de bases communes. Ils ne se sont pas absorbés dans des querelles idéologiques élitistes ou débats stériles. Malgré l’importance de tels débats pour le développement intellectuel de la gauche, ils ont pendant des décennies épuisé et fragmenté les forces du gauche entre écoles rivales et détails théoriques. Ces jeunes ont surpassé cette fatigue intellectuelle et réorienté la boussole vers ce qui touche effectivement les masses laborieuses — partant de la réalité sur le terrain vers la théorie, et non l’inverse.

Ici, la gauche ne se mesure pas à ceux qui brandissent des slogans marxistes ou qui se contentent d’écrire ou répéter des politiques socialistes dans la théorie, mais à ceux qui contribuent pratiquement et théoriquement, sur le terrain, à transformer la vie des masses laborieuses dans la santé, l’éducation, l’emploi, la dignité, les droits et la justice, et influencent leur parcours de lutte quotidien — même à travers des pas limités et graduels.

Les revendications qu’ils ont formulées tournent autour de l’amélioration de l’enseignement public, la garantie d’une santé gratuite et efficace, la création d’emplois assurant la dignité humaine, la lutte contre la corruption et l’instauration d’une justice sociale dans la répartition des ressources. Ces revendications incarnent le noyau vivant de la pensée de gauche, car elles placent l’injustice, la lutte des classes et les besoins quotidiens des gens au centre, comme point de départ de l’action.

 

3 – La répression sur le terrain et numérique révèle les mécanismes modernes de contrôle — mais renforce aussi la conscience de résistance numérique

Le mouvement de jeunesse au Maroc n’a pas été une simple vague de protestation pacifique accueillie par un discours politique ou des promesses de réforme ; dès le premier instant, il a été traité comme une menace existentielle au régime, ce qui s’est traduit par une répression sévère sur le terrain. Les forces de sécurité ont utilisé des balles réelles dans certaines régions — notamment à Lqliâa près d’Agadir, où des martyr·es sont tombé·es sous les balles de la gendarmerie — en plus du gaz lacrymogène, des coups de matraque, des poursuites nocturnes et l’arrestation de centaines de personnes, dont une proportion élevée de mineurs. Cette répression n’était pas une réaction incontrôlée mais une politique mûrement réfléchie visant à terroriser une génération entière et briser sa volonté avant que sa conscience organisationnelle ne puisse s’enraciner. La répression physique a été accompagnée d’une méthode systématique d’isolement des zones enflammées par des barrages de sécurité, le bouclage des quartiers populaires et le blocage des routes pour empêcher les manifestant·es de se déplacer entre les villes. Des arrestations de masse ont été utilisées pour vider les rues.

Les autorités ont ciblé les jeunes et les mineur·es, car ils étaient l’épine dorsale du mouvement — ce qui révèle leur conscience que le vrai danger vient de cette nouvelle génération qui ne craint pas la rue
Mais, plus important encore, les autorités ont ciblé les jeunes et les mineur·es, car ils étaient l’épine dorsale du mouvement — ce qui révèle leur conscience que le vrai danger vient de cette nouvelle génération qui ne craint pas la rue et possède des outils d’organisation numérique difficiles à contrôler.

Ce visage brutal de la répression sur le terrain a coïncidé avec une facette douce numérique. La détention numérique et l’“assassinat numérique” sont des mécanismes parallèles ciblant la sphère en ligne du mouvement. Des comptes ont été supprimés, du contenu bloqué, l’accès aux groupes de discussion restreint, dans une tentative de couper la rue de la sphère numérique qui l’alimente. Ainsi, nous avons vu les autorités pratiquer une « répression double » — dans la rue avec matraques et balles, et dans le réseau via des algorithmes et le blocage des plateformes.

Cette répression, au lieu de stopper le mouvement, a renforcé la conscience de la résistance tant numérique que sur le terrain
Mais ce que les autorités n’avaient pas prévu, c’est que cette répression, au lieu de stopper le mouvement, a renforcé la conscience de la résistance tant numérique que sur le terrain. Dans la rue, les jeunes ont inventé de nouvelles formes de rassemblement : des manifestations nocturnes mobiles, le recours à de petits groupes plutôt qu’à de grands cortèges, et l’usage des quartiers comme espaces de protestation locale. Cette tactique a rendu difficile pour la police de liquider le mouvement d’un seul coup et a ouvert des possibilités pour une organisation locale de base. Dans la sphère numérique, le débat s’est déplacé rapidement des comptes bloqués vers des comptes alternatifs et des plateformes plus sécurisées, avec une large utilisation de VPN et du chiffrement.

La répression sur le terrain a révélé les limites du système autoritaire, car il ne fait plus face seulement à une masse en colère, mais à une génération numérique capable de s’adapter. À chaque tentative de répression, les jeunes recréaient leur organisation de façon plus flexible et développaient la conscience que le conflit avec l’État n’est pas partiel mais global — touchant le corps dans la rue et la conscience dans le réseau. C’est ici qu’apparaît l’essence de ce que la Gauche Électronique appelle la « lutte des classes numérique », où les outils modernes de répression rencontrent les outils classiques.

La capacité à transcender la répression numérique reflète une conscience politique croissante de la nécessité de contrôler les outils et de bâtir des technologies alternatives progressistes de gauche
Il est devenu clair que maîtriser la rue ne peut être dissocié de la maîtrise de la sphère numérique, et que lorsque l’État tire sur les corps, il bloque en même temps les comptes. Mais la résistance se développe aussi dans les deux directions : dans la rue en élargissant les tactiques populaires de terrain, et dans le réseau en inventant des outils de protection et des formes alternatives d’organisation. Cette interaction entre le terrain et le numérique ouvre un horizon véritable à la Gauche Électronique pour développer un projet internationaliste visant à libérer l’humanité et la technologie à la fois. La capacité à transcender la répression numérique reflète une conscience politique croissante de la nécessité de contrôler les outils et de bâtir des technologies alternatives progressistes de gauche, plutôt que de les laisser entièrement aux mains des entreprises capitalistes monopolistiques et des États autoritaires.

 

4 – Transformer l’énergie spontanée de la jeunesse en un projet radical et organisé d’émancipation

Malgré la force de ce modèle, les défis restent grands. L’absence de coordination centrale peut devenir une faiblesse si une vision stratégique à long terme ne se cristallise pas. Et surtout, les revendications partielles doivent être liées à une perspective d’émancipation globale pour que le mouvement ne reste pas enfermé dans la réforme. C’est ici qu’apparaît la nécessité d’une gauche enracinée — électronique, organisée comme courant intellectuel et organisationnel, travaillant à transformer l’énergie spontanée en un projet politique d’émancipation qui unit lutte numérique et lutte sur le terrain, relie les revendications immédiates à une vision socialiste radicale, et repose sur des bases communes larges et inclusives qui construisent des alliances solides pour le changement profond.

Ce mouvement de jeunesse et de masse reflète clairement l’esprit d’une gauche ouverte, refusant de s’isoler dans les élites intellectuelles et œuvrant pour ouvrir de multiples tribunes de débat et d’action commune. Dans les espaces numériques de débat, il n’y avait ni gardien idéologique ni hiérarchie excessive, mais des discussions libres, des voix multiples et la liberté de proposer des idées. Ce qui s’est matérialisé, perduré, et transformé en action politique, ce sont les points qui touchent la vie des gens.

Ici se concrétise la véritable signification de la démocratie participative à la base, où l’organisation collective devient un outil pour unir les efforts autour de ce qui sert les masses
Ici se concrétise la véritable signification de la démocratie participative à la base, où l’organisation collective devient un outil pour unir les efforts autour de ce qui sert les masses, non autour de ce qui satisfait les élites intellectuelles. Cette orientation ouvre à la gauche une opportunité historique de se renouveler, à condition qu’elle se débarrasse de la tendance à monopoliser la pensée et de la culture de la division qui l’a longtemps paralysée.

Les jeunes ont envoyé un message clair : nous n’attendrons pas des solutions venues d’en haut
Les jeunes ont envoyé un message clair : nous n’attendrons pas des solutions venues d’en haut, et nous ne nous laisserons pas distraire par des disputes stériles. Nous construirons notre action autour des questions qui comptent dans la vie quotidienne des gens. Cette conscience pratique dialectique est ce qui donne au mouvement sa force et sa capacité à se répandre et à s’étendre.

Que ce soient les travailleurs manuels ou intellectuels, peu importe la référence qu’on invoque (Marx, Lénine, Trotsky, Mao, etc.), ce qui importe, c’est de trouver un hôpital bien équipé, une école respectable, une opportunité de travail, l’égalité et la dignité dans la vie quotidienne — loin de la corruption et de l’autoritarisme. Ce sont ces points communs qui ont constitué le terrain de convergence, et qui peuvent devenir la base pour que la gauche construise un projet d’émancipation radicale qui dépasse la situation actuelle et regagne son rôle comme instrument de transformation vers la libération socialiste.

 

5 – Du réseau à la rue … horizons d’une gauche renouvelée

Il est important de souligner que la Gauche Électronique ne se présente pas comme un substitut aux forces historiques de la gauche ou aux expériences organisationnelles qui ont accumulé d’énormes luttes dans tous les domaines pendant des décennies. Elle en est plutôt la continuité, le développement et le complément, ajoutant une dimension nouvelle aux outils politiques, organisationnels et intellectuels que la gauche utilise dans sa longue et complexe lutte contre le capitalisme et l’autoritarisme.

Ce qui la distingue, c’est qu’elle répond à une nouvelle réalité façonnée par la révolution numérique, où les outils du combat se sont élargis pour englober la sphère numérique, les plateformes et les réseaux qui contrôlent la conscience collective et orientent le débat public.

Ainsi, elle ne supprime pas le rôle des partis de gauche, des syndicats et des mouvements sociaux existants, mais les appelle à innover et à se renouveler, à intégrer la dimension numérique dans leurs stratégies organisationnelles et politiques, et à dépasser la rigidité bureaucratique et le cloisonnement idéologique.

Le défi auquel la gauche est confrontée aujourd’hui ne consiste pas seulement à affronter le capitalisme traditionnel et les régimes autoritaires, mais aussi le capitalisme numérique
Le défi auquel la gauche est confrontée aujourd’hui ne consiste pas seulement à affronter le capitalisme traditionnel et les régimes autoritaires, mais aussi le capitalisme numérique, qui a reproduit le contrôle de classe sous des formes plus souples et plus discrètes — à travers les données, les algorithmes et une surveillance numérique omniprésente.

Ce que la jeunesse a créé au Maroc représente un appel explicite et pressant à toutes les forces de gauche. L’organisation politique n’est plus une voie unidirectionnelle ; elle doit être multiplateforme, ouverte, flexible et transparente — capable de manier intelligemment les outils de l’ère numérique.

Cette vision complémentaire ne signifie pas abandonner les structures classiques qui ont accumulé une histoire de lutte de classe ; elle exige de les reconstruire de manière horizontale et flexible pour être plus proches des masses et capables de réagir rapidement — en particulier auprès des jeunes générations.

L’expérience de la jeunesse marocaine est un exemple vivant par son innovation d’organisations numériques en réseau efficaces, mais cela n’élimine pas le besoin urgent de cadres politiques, organisationnels et syndicaux capables de protéger ces énergies, d’encadrer les protestations et de transformer celles-ci en acquis durables.

Cela exige une intégration dialectique entre l’ancien et le nouveau : entre la lutte sur le terrain et la dynamique numérique ; entre l’expérience historique de la gauche et l’audace et la flexibilité que la génération numérique apporte.

Cette dialectique entre continuité et renouveau peut donner à la gauche contemporaine la possibilité de se relever, localement dans le Sud global et globalement dans son ensemble. Ainsi, la Gauche Électronique est un appel au renouvellement du projet de gauche dans son ensemble ; par le développement et la mise à jour de ses outils organisationnels, politiques, intellectuels, numériques et techniques, ainsi que par le travail collectif et les alliances selon des points d’entente essentiels.

Elle insiste aussi sur la nécessité de renforcer le rôle dirigeant de la jeunesse au sein des organisations de gauche, afin d’assurer le renouvellement intellectuel et organisationnel, et d’ouvrir l’espace à leurs énergies créatives et sans cesse renouvelées pour qu’elles soient au cœur de la prise de décision et du militantisme.

Elle renforce la connexion de la gauche avec la vie des masses laborieuses et des générations jeunes à une époque de domination capitaliste et d’autoritarisme.

L’avenir appartient à la gauche qui comprend que l’arène de la lutte des classes aujourd’hui s’étend des profondeurs de la rue jusqu’aux points les plus éloignés de la sphère numérique.

C’est une leçon non seulement pour les camarades de gauche et progressistes au Maroc, mais pour toute la gauche mondiale
Le mouvement Gen Z 212 a prouvé que la relation entre les forces de gauche et les générations plus jeunes ne peut se développer et s’établir qu’en intégrant la lutte sur le terrain aux outils d’organisation numérique et aux nouvelles formes d’organisation et de discours politique. C’est une leçon non seulement pour les camarades de gauche et progressistes au Maroc, mais pour toute la gauche mondiale.

 

Rezgar Akrawi

Notes :

* Gen Z : la génération née depuis le milieu des années 1990 jusqu’à la deuxième décennie du XXIᵉ siècle ; élevée dans un environnement numérique, elle utilise la technologie et les réseaux sociaux comme une part essentielle de sa vie quotidienne, et entremêle le monde réel et le monde virtuel, ce qui la rend plus capable de mobilisation et d’organisation à travers la sphère numérique.
** La Gauche Électronique est un courant moderne de gauche qui cherche à développer les outils, le discours et les mécanismes organisationnels de la gauche traditionnelle en recourant à la technologie numérique et à la sphère en réseau dans l’organisation, le débat et la mobilisation. Elle ne se présente pas comme un substitut aux forces historiques de la gauche, mais plutôt comme un complément et un développement, et appelle à l’intégration des plateformes numériques et de la démocratie participative avec le combat de terrain, afin de relier les questions théoriques aux besoins quotidiens des masses laborieuses.

 

Sources:

  1. Le Monde Afrique – “Moroccan protesters call for prime minister’s resignation” (October 2, 2025)
    https://www.lemonde.fr/en/le-monde-africa/article/2025/10/02/moroccan-protesters-call-for-prime-minister-s-resignation_6746020_124.html
  2. AP News – “Moroccan youth protests erupt after deaths in Agadir hospital” (October 1, 2025)
    https://apnews.com/article/912ca1a9dbc42e6d3d2f8a1067eb12f9
  3. Reuters – “Morocco’s youth, police clash for fifth night of protests demanding education, health care” (October 1, 2025)
    https://www.reuters.com/world/africa/moroccos-youth-police-clash-fifth-night-protests-demanding-education-health-care-2025-10-01
  4. The Guardian – “First deaths in Morocco’s youth-led anti-government protests as police open fire” (October 2, 2025)
    https://www.theguardian.com/world/2025/oct/02/first-deaths-in-moroccos-youth-led-anti-government-protests-as-police-open-fire
  5. Al Jazeera – “7 questions that explain what is happening in Morocco’s Gen Z protests” (October 2, 2025)
    https://www.aljazeera.net/news/2025/10/2/7-%D8%A3%D8%B3%D8%A6%D9%84%D8%A9-%D8%AA%D8%B4%D8%B1%D8%AD-%D9%85%D8%A7-%D9%8A%D8%AC%D8%B1%D9%8A-%D9%81%D9%8A-%D8%A7%D8%AD%D8%AA%D8%AC%D8%A7%D8%AC%D8%A7%D8%AA-%D8%AC%D9%8A%D9%84-%D8%B2%D8%AF
  6. BBC – “First killings in Morocco since Gen Z protests erupted”
    https://www.bbc.com/news/articles/cgrqpekyxpvo
  7. “The most prominent intellectual and organizational foundations of the electronic left”
    https://libcom.org/article/most-prominent-intellectual-and-organizational-foundationselectronic-left-e-left

 

 


By Rezgar Akrawi

Rezgar Akrawi est un gauchiste indépendant, intéressé par la gauche et la révolution technologique, et travaille en tant qu'expert dans le développement de systèmes et la gouvernance électronique. Il est coordinateur du Centre d'études et de recherches marxistes et de gauche (en arabe) et le fondateur et coordinateur général de Modern Discussion www.ahewar.org, l'une des plus grandes et des plus importantes plateformes de gauche et progressistes du monde arabe.