Ukraine : une guerre de “blancs”

BILLET D’HUMEUR

Les réfugiés ukrainiens – heureusement pour eux – ne se retrouveront pas dans la « jungle » de Calais ou sous les bretelles autoroutières à l’entrée de Paris. Ils n’agaceront pas les bourgmestres des cités balnéaires belges. lls ne subiront pas les avanies endurées par les réfugiés du Proche-Orient, d’Afrique ou de plus loin encore aux portes de l’UE. Ils ne seront pas entassés des mois durant dans des camps sordides sur l’une ou l’autre ile grecque. Ils n’auront pas à tourner en mer dans l’attente d’une autorisation d’accoster ni à se perdre en pleine froidure dans les Alpes maritimes. Ni ne seront tabassés, voire tués ou voués à mourir de faim et de froid dans les forêts biélorusses. Non loin de l’Ukraine en fait.

L’indifférence, les mauvais traitements sont, dirait-on, réservés aux réfugiés « de couleur » : aux Africains, aux Syriens, aux Irakiens, aux Afghans… L’on a vu, aussi, dans les gares routières ukrainiennes ces réfugiés africains insultés, empêchés à coups de poing de monter dans les bus partant pour l’Ouest pour laisser la place aux seuls Ukrainiens. Pardon, « aux seules femmes et enfants ukrainiens », protestent les chancelleries polonaises et hongroises. Sauf que des femmes africaines ont aussi été empêchées d’embarquer… Comme ces étudiants arabes refoulés tant par les garde-frontières, tant polonais qu’ukrainiens. Enfin, ces réfugiés ukrainiens n’auront pas à se heurter aux pinaillages des Etats d’Europe occidentale quant aux quotas autorisés à entrer sur leurs territoires respectifs ou au refus pur et simple de les accueillir de ceux d’Europe centrale ou d’Italie. Au contraire, ils seront accueillis à bras ouverts, logés et nourris de suite par leurs hôtes polonais et hongrois, ceux-là même qui refoulent en même temps « les bougnoules »…

Cerise sur le gâteau pour nous, Belges : Sammy Mahdi, notre Secrétaire d’état à l’Asile et à la Migration, connu pour son intransigeance et ses fausses promesses aux grévistes de la faim de l’église du Béguinage à Bruxelles, cherchant à se refaire une popularité en annonçant avec fracas un « statut spécial » pour les réfugiés d’Ukraine…

Il y a de plus en plus de moments où nos décideurs européens ne m’inspirent plus que de l’écœurement.

 

« Osmose culturelle » ?

Certains ont naguère fait observer que l’impact (tardif) sur les consciences européennes du judéocide commis par les nazis découlait aussi du fait que, contrairement aux génocides perpétrés contre les Amérindiens et les Herero et Nama de Namibie, les Juifs d’Europe étaient aussi… des blancs. L’Association des journalistes arabes et moyen-orientaux (Ameja) s’est indignée le 27 février des « sous-entendus orientalistes et racistes » relevés dans la couverture médiatique de la guerre en Ukraine[1]. Et, face à ce tollé, certains journalistes se sont même excusés. Kiev ou Kharkiv ont en effet été « opposées » dans plusieurs commentaires à Baghdad, à Damas ou à des villes du « Tiers-Monde ». En tant que villes « civilisées » (sic).

Il y a quelques années, Joss Dray & Denis Sieffert[2], avaient pointé du doigt les « mécanismes de répétition » et les « mots routiniers » qui apparaissent de façon récurrente dans nos médias et qui procèdent souvent – tout en la renforçant – d’une « empathie », d’une « osmose culturelle », voire d’une « identification ». Celles-ci peuvent être dues à d’évidentes raisons historiques, en l’occurrence la Guerre froide, mais, estiment les auteurs, résultent généralement « plus d’un partage des conditions de vie que de réflexes ethniques ou communautaires. ». « On ne parle pas ici de Syriens, mais d’Européens », commente Philippe Corbé sur BFM-TV… Ces Ukrainiens « nous ressemblent tellement », écrit le journaliste (et ex-député conservateur) Daniel Hannan dans une tribune de The Telegraph, en précisant que « ce qui rend le conflit en Ukraine si choquant », c’est que la guerre n’y est plus « quelque chose qui arrive aux populations appauvries et éloignées »… On ne peut mieux dire… Les réfugiés ukrainiens, poursuit Hélène Sallon dans Le Monde, « possèdent un abonnement à Netflix ou un compte Instagram ». Ou, font observer d’autres « ce sont des gens prospères, de la classe moyenne », qui « partent dans des voitures qui ressemblent aux nôtres ». Faut-il aussi faire remarquer le bon niveau d’anglais de nombre de réfugiés interrogés ?

Doit-on trouver dans cette « identification » la cause d’une couverture qui étale à longueur de reportages des images et des propos – tous patriotiques – de jeunes femmes ukrainiennes – le plus souvent très jolies – et de mères en pleurs, leur enfant dans les bras ? Ad nauseam devrait-on dire ?

Je n’ai pas le souvenir d’interviews aussi systématiques de réfugiées rwandaises, kurdes ou syriennes…

Soyons sûrs que, dans « les pays de m… » qu’évoquait Donald Trump, ces scènes sont observées, discutées et gardées en mémoire…

Paul DELMOTTE

4 mars 2022

[1] Le Monde, 2.3.22

[2] Joss Dray & Denis Sieffert, La guerre israélienne de l’information, La Découverte, 2002


By Paul Delmotte

Professeur de Politique internationale, d'Histoire contemporaine et titulaire d'un cours sur le Monde arabe à l'IHECS, animé un séminaire sur le conflit israélo-palestinien à l'ULB. Retraité en 2014.