Deux récits habilement entrecroisés, à 150 ans de distance. Le lien principal : une maison bancale, prête à s’écrouler (métaphore de l’Amérique du XXIe siècle, ou d’un système en voie d’effondrement ?). Aujourd’hui, Willa gère une famille compliquée : un mari optimiste convaincu (« Elle gérait les crises. Il surfait sur les vagues »), deux enfants devenus jeunes adultes en conflit perpétuel, un petit-fils, un beau-père, Nicks, lourdement handicapé, réactionnaire et caractériel, plus une maison pleine de fissures. Et une situation financière catastrophique : le magazine qui l’employait comme journaliste a fait faillite, et son mari a perdu son poste d’enseignant. Willa découvre aussi, avec effarement, le coût astronomique des soins de santé de Nick et le montant faramineux de la « dette universitaire » de son fils aîné. « Comment deux personnes travailleuses pouvaient-elles se retrouver dans le dénuement à 50 ans passés, après avoir tout fait dans les règles ? » se demande-t-elle. Willa et Iano ont joué le jeu pendant des décennies ; au bout du compte, quelques aléas de la vie ont suffi pour qu’ils se retrouvent sur le carreau.
Au même endroit, 150 ans plus tôt, Mary Treat se passionne pour les insectes et correspond régulièrement avec Charles Darwin. Elle se lie d’amitié avec son voisin, Greenwood Thatcher, professeur de sciences coincé entre épouse, belle-mère et belle-sœur et de surcroît en conflit, ouvert ou larvé, avec son directeur qui n’admet pas ses idées « avancées ».
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Mary Treat, éminente scientifique du XIXe siècle injustement tombée dans l’oubli, et Willa : deux femmes qu’un siècle et demi sépare, mais que réunit leur semblable volonté de faire face aux bouleversements de leurs époques.
Comme dans tous ses romans[1], Barbara Kingsolver déborde d’empathie pour ses personnages. Nick, par exemple, l’infernal beau-père qui refuse d’admettre, malgré l’évidence, que le rêve américain n’existe plus (si ça ne marche plus, c’est la faute des noirs, des hispanos, des réformateurs, des femmes…). Mais Willa, à l’opposé idéologiquement, intellectuelle libérée, démocrate, ouverte au monde – c’est du moins l’image qu’elle a d’elle-même – découvrira qu’elle ne manque pas de préjugés non plus. On est dans la tendresse plutôt que dans le jugement.
Tout ça donne un magnifique « tourne-page », d’autant plus que l’auteure ne dédaigne pas l’humour et qu’elle a le sens de la formule : « Cette fille était probablement blonde, sous toute la peinture de guerre (…) Bottes noires et blouson en cuir, avec une surabondance d’anneaux en métal (…) Jolie fille, si ce n’était un côté robot humanoïde. (…). Quelle somme d’énergie ces filles pouvaient dépenser à essayer de ne pas ressembler à leur charmante personne. » Ou encore : « Willa n’était pas la propriétaire d’un téléphone qui à chaque sonnerie sentait l’appel d’une nouvelle potentiellement fantastique. Ça n’arrivait qu’au téléphone des autres. »
Mais finalement, si notre monde est devenu cette maison en voie de démolition, que reste-t-il comme espoir, semble se demander Willa. Surprise : la petite lumière au bout du tunnel viendra peut-être de Tig, sa fille, perçue depuis toujours par sa mère comme marginale et excentrique.
Un très beau roman, qui donne un éclairage bienvenu sur l’Amérique d’aujourd’hui.
[1] Par exemple, le remarquable Les yeux dans les arbres, publié chez le même éditeur en 1999.
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