Jeunesse Nomade, c’est l’histoire de 45 jeunes d’ici et d’ailleurs dont le fruit de la rencontre a donné lieu à un spectacle unique, émouvant et engagé. Jeunesse Nomade, c’est aussi et surtout un agrégat d’histoires individuelles faites de déchirements, de deuils, de hontes, de traumatismes mais aussi d’une extraordinaire résilience, d’une dignité à toute épreuve et d’une compréhension du monde forcée, certes, mais créatrice ! Ils ont entre 14 et 24 ans, certains viennent de Hannut, de Viroinval, de Braine-Le-Comte. D’autres encore viennent de Kaboul, Bagdad, Islamabad, Florennes, Conakry ou Namur.
C’est en 2016 que la Fédération des Maisons de Jeunes, en réponse aux questionnements de certains de ses membres, décide d’initier un projet pilote Jeunesse Nomade. Cette désormais célèbre « crise de l’accueil » n’a laissé personne, ou presque, de marbre.
Certains, tiraillés entre la peur de l’autre et la perte des rares acquis sociaux encore disponibles. D’autres, bercés par le triste chant des discours haineux drainés par des partis politiques scabreux et relayés par certains médias peu scrupuleux. Ou, au contraire, d’autres encore ont l’envie de « sauver le monde » en allant distribuer de la nourriture et des vêtements à Calais ou encore au Parc Maximilien. Ou, minoritairement, certains n’ont pas du tout l’envie d’entendre parler de migrations à chaque fois qu’ils allument la télévision. Plus profondément, ce sont les valeurs du vivre ensemble, de l’accueil, mais aussi des idées liées au concept « d’identité » qui s’en trouvaient questionnés.
Dès lors… que faire ?
« L’objectif principal du projet Jeunesse Nomade vise avant tout à faciliter et à encourager l’accueil des jeunes issus de parcours migratoires dans nos centres de jeunes au niveau local afin de faciliter leur intégration et leur participation citoyenne via l’expression et la création artistique.
Les centres d’accueil sont, la plupart du temps, assez excentrés et les missions des travailleurs restent bien celles du soutien administratif, social, médical et financier tout au long de leur procédure d’asile. Tisser du lien social avec la société d’accueil ne fait pas partie des priorités. Or, en tant que Centres de Jeunes, nos services doivent rester accessibles à tous, y compris aux jeunes demandeurs d’asile, MENA et reconnus réfugiés ».
Plusieurs rencontres ont donc eu lieu tout au long de l’année. Les jeunes se retrouvaient autour de pratiques artistiques qu’ils souhaitaient découvrir. Le chant, la musique, la danse, le théâtre et la vidéo constituent les langages présents en même temps dans le spectacle. Pendant l’été, un séjour résidentiel fut organisé afin de créer le spectacle… en 4 jours. Un challenge de taille donc pour les jeunes mais également les coordinatrices du projet, l’équipe d’animation, les artistes encadrant chaque atelier artistique et le metteur en scène. Eh oui… la création d’un spectacle « ça ne s’improvise pas » ! Défi relevé haut la main puisqu’ils ont réussi à entièrement créer un spectacle et à le jouer comme prévu, sur la scène du festival Esperanzah! de l’été 2017.
D’emblée, le groupe, bien qu’applaudi longuement lors de la première représentation, ne partait pas forcément gagnant. En effet, les mots « spectacle créé par des jeunes » étaient souvent synonyme de résultat douteux, voire amateur, pour certains opérateurs culturels bien installés, et ne semblaient pas correspondre aux standards de « gentrification culturelle » actuels, même avec la justice migratoire pour thème. Un peu comme si les « artistes » pouvaient être engagés et les engagés ne pouvaient pas faire de l’art ! Heureusement, d’aucuns ont accueilli le groupe à bras ouverts leur permettant ainsi de confronter leur histoire à un nombre maximum de spectateurs. Car c’est bien sur la durée que l’on peut observer la consolidation d’une pensée critique et politique.
C’est donc souvent à coups d’encouragements et d’acharnement que la troupe Jeunesse Nomade est tout de même montée 11 fois sur scène partout en Fédération Wallonie Bruxelles.
Mais pourquoi une envie si forte de monter sur scène ?
Par essence, les « jeunes » ainsi que les demandeurs d’asile constituent des groupes minoritaires qui n’ont que très peu l’occasion de prendre la parole publiquement, d’être pris en considération et d’être entendus. Au travers des créations artistiques collectives, des messages d’interpellation, ils entendent s’emparer de cet espace public pour livrer un message de solidarité et de dignité. Face à la pluie de décisions négatives et de jugements de valeurs de la part des institutions belges quant à leur demande d’asile et leur histoire, ils ont désormais l’occasion de se définir eux-mêmes (par eux et pour eux) et de décider de l’image qu’ils souhaitent renvoyer de leurs parcours. Enfin, soulignons le travail de toutes les associations qui sans grand bruit ni gros coups de projecteur œuvrent à rendre une juste place à ceux qu’on ne voudrait pourtant pas voir.
Ainsi, au travers des actions micro que nous menons, nous pouvons jeter les bases d’actions macro sociales. Les méthodologies que nous appliquons dans les petites structures sont porteuses d’une méthodologie de changements plus globaux. Ensemble et en veillant à cette forme de démocratie participative, il apparaît que les gens sont parfaitement capables de réfléchir, d’analyser une situation vécue et d’agir.
Sarah Beaulieu