Un danger guette l’Europe : l’effacement de la citoyenneté sociale. Dans une célèbre conférence de 1949, le sociologue anglais Thomas Marshall l’avait identifiée comme le troisième stade de l’histoire de la démocratisation du Vieux Continent. Elle succédait à l’obtention des droits civils, au XVIIIe siècle, et à celle des droits politiques, aux XIXe siècle. Cette tripartition est aisée à comprendre. Les droits civils donnent consistance à l’individu autonome, conscient, propriétaire ; les droits politiques, à sa participation aux délibérations et décisions collectives. Les droits sociaux assurent, quant à eux, les conditions minimales de survie, de protection, de bien-être et d’éducation sans lesquelles il n’y a pas de liberté individuelle possible.
Après la seconde guerre, des conditions politiques très particulières ont donné son plein épanouissement à la citoyenneté sociale. Le projet d’État social fut le vrai ciment de la reconstruction. Gagnée par une tardive sagesse, l’Europe de 1945 avait tourné le dos aux deux monstres qu’elle avait engendrés : le capitalisme dérégulé qui l’avait, pendant un siècle, précipité dans un épouvantable conflit de classes ; le matérialisme totalitaire, qui avait accouché d’un État répressif doté d’une féroce bureaucratie. En ce sens, la citoyenneté sociale ne fut pas seulement un aboutissement de l’idée démocratique. Elle fut aussi la pierre angulaire d’une nouvelle identité européenne, après le terrible tourment qui l’avait, littéralement, détruite de fond en comble.
Mais les temps ont changé. Depuis la crise de 2008-2010, nous glissons vers un monde où la citoyenneté sociale est marginalisée par deux modèles concurrents. Selon le premier modèle, néolibéral, la citoyenneté se définit surtout par une version très individualiste de la dimension civile et une version formaliste de la participation politique (mesurée au droit de vote). La troisième dimension est déclarée chimérique et contre-productive.
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