De Stéphanie D’Haenens (IEB), Alain Adriaens
Depuis de nombreuses années, Inter-Environnement Bruxelles (IEB), association indépendante qui fédère plus de 80 comités de quartier et groupes d’habitants qui agissent pour améliorer la qualité de la vie à Bruxelles, s’est engagée à maintenir à un niveau acceptable l’exposition des habitants de la capitale aux rayonnements électro-magnétiques. Aujourd’hui, la Région bruxelloise a une réglementation bien plus protectrice que d’autres régions ou pays. Cependant, l’annonce du déploiement de la 5G et des compteurs communicants à Bruxelles et la promotion tous azimuts des smart cities et des objets connectés, menace le niveau de protection actuel. Industriels et lobbies de la télécommunication souhaitent une augmentation substantielle des normes d’émission. Dans ce contexte, il est apparu nécessaire à la Fédération de prendre le temps de la réflexion sur une problématique qui va sans cesse revenir sur le devant de l’actualité.
Afin de réfléchir aux moyens de porter la problématique de la pollution électro-magnétique dans l’espace public, IEB organise le 7 juin 2018 une journée de réflexion dont l’objectif est d’élargir les points de vue en croisant les regards et les interrogations sur cette nouvelle forme de dégradation de l’environnement.
La journée s’articulera autour de quatre volets et autant d’échanges réunissant des intervenants bien informés : les luttes et mobilisations sur le terrain, les enjeux sanitaires et environnementaux, les aspects juridiques et institutionnels et les aspects économiques et sociaux.
Luttes et mobilisations sur le terrain
Constatant que, ces derniers temps, la lutte contre l’installation de nouvelles antennes mobilise un nombre croissant de comités d’habitants, IEB a convié deux acteurs de la mobilisation sur le terrain : Colette Devillers, membre fondatrice de l’AREHS, association pour la reconnaissance de l’électro hyper sensibilité, et Olivier Galand, le porte-parole de la plate-forme grONDES qui rassemble des comités d’habitants bruxellois opposés à l’installation d’antennes GSM dans leur quartier. Le troisième intervenant de ce panel est Alexis Zimmer, philosophe et biologiste, auteur d’un livre intitulé Brouillards toxiques, qui sous la forme d’une contre-enquête révèle comment la reconnaissance de la pollution de l’air s’est construite (entre autres) politiquement à partir du cas d’une pollution mortelle dans la vallée de la Meuse dans les années 1930. Tandis que Colette Devillers et Olivier Galland s’interrogeront sur les avancées obtenues grâce à l’organisation de mobilisations : que peut-on retenir de leurs victoires, comme de leurs échecs ? Alexis Zimmer replacera la pollution de l’air dans son historicité : la reconnaissance de la pollution de l’air et son impact sur la santé s’inscrit dans un temps long ponctué de rapports de force entre acteurs aux intérêts divergents. Pour autant, alors que plusieurs décennies se sont écoulées depuis que le monde scientifique a reconnu une corrélation directe entre qualité de l’air et état de morbidité d’une population, les mesures concrètes et efficaces d’assainissement de l’air relèvent encore de vœux pieux. La pollution électromagnétique peut être considérée comme le dernier avatar des pollutions de l’ère industrielle après celles de l’air, de l’eau et des sols et toutes les formes de dégradations de l’environnement. De quelle manière ces différentes formes de pollution se sont progressivement imposées comme des enjeux de société ? Que peut-on en retenir qui puisse soutenir les futures mobilisations pour une reconnaissance de la pollution électromagnétique ?
Les enjeux sanitaires et environnementaux
Le second panel abordera, lui, la question de l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé humaine et le vivant. Les intervenants seront Wendy de Hemptinne, physicienne, co-fondatrice de ondes.brussels, qui donne depuis plusieurs années des conférences pour informer/sensibiliser sur les champs électromagnétiques et Nicolas Prignot, philosophe et physicien, ancien travailleur à IEB qui a défendu une thèse de doctorat intitulée «L’onde, la preuve et le militant, l’écosophie de Félix Guattari à l’épreuve de l’électro-sensibilité et de la polémique sur les dangers des ondes électromagnétiques». Wendy de Hemptine tentera de répondre à la question que beaucoup se posent : les niveaux actuels d’exposition des Bruxellois·e·s aux ondes garantissent-ils l’absence d’impact sur la santé ? Nicolas Prignot, lui, dépliera ce que le statut médical de la preuve et l’effet « nocebo »[1] induisent comme disqualifications implicites des effets sanitaires et de la dangerosité des ondes électromagnétiques. Pourtant, un nombre croissant de personnes disent souffrir d’électro-hypersensibilité. Comment rendre audible et crédible leurs souffrances ? Qu’est-ce qu’une maladie ? Qu’est-ce que prouver veut dire ?
Les aspects juridiques et institutionnels
Aujourd’hui, les normes bruxelloises de protection contre la pollution électromagnétique reposent sur le principe de précaution mais pour l’industrie des télécommunications ces normes constituent des entraves au développement de leurs activités très rémunératrices. Ce seront Paul Lannoye, physicien, eurodéputé, figure marquante de l’écologie politique en Wallonie et en Europe et Delphine Misonne, chercheur qualifiée au FNRS, Professeur à l’Université Saint Louis-Bruxelles et Maître d’enseignement à l’Université Libre de Bruxelles, qui aborderont les aspects du dossier liés aux normes et règles définies par les pouvoirs publics. Comment ces normes sont-elles fixées ? Comment se jouent les conflits entre scientifiques, industriels et responsables politiques pour l’établissement des normes de protection ? Quelles libertés/contraintes pour les États ou Régions de décider de leur propre niveau de protection en matière de droit de l’environnement ? Comment la pollution électromagnétique est-elle appréhendée par le droit supra-national, en ce compris via la protection des droits de l’homme ?
Aspects économiques et sociaux
Selon les adorateurs du progrès technique, le déploiement massif des nouvelles technologies de communication serait le levier économique de demain. Qu’en est-il véritablement ? Quels sont les (en)jeux financiers sous-jacents au déploiement de toutes ces nouvelles technologies ? Les compteurs communicants, dont le déploiement va se faire dans les 3 régions à des rythmes différents, symbolisent à eux seuls la façon dont les technologies sont performatives: elles sont appelées à transformer et gouverner nos vies. Les enjeux biopolitiques d’un tel déploiement invitent à penser l’innovation en termes collectifs et sociaux. Quelles données de consommation (data) pour quels usages ? Quels coûts sociaux et environnementaux pour quelle transition énergétique ? Ces questions sociétales et donc politiques seront abordées par Grégoire Wallenborn, physicien et philosophe de formation qui coordonne différents projets interdisciplinaires autour des modes de consommation. Chercheur à l’IGEAT au Centre d’Études du Développement durable (CEDD) depuis 2001, il poursuit actuellement ses recherches sur les «réseaux intelligents» et leurs usagers. Réagira également Arnaud Lismond, Secrétaire général du Collectif Solidarité contre l’Exclusion asbl.
Les travailleurs d’Inter-Environnement Bruxelles, dans la cadre de ce qu’ils appellent une Assemblée Associative, un temps et un lieu de réflexion propice à construire un positionnement, donnent donc l’occasion à chacun (l’entrée est gratuite) d’en savoir plus sur la problématique de la pollution électromagnétique. Au vu des enjeux économiques colossaux que représentent la généralisation des objets connectés, l’on peut craindre la répétition de scénarios du passé qui ont conduit à ce que des nuisances sanitaires et environnementales ont été tues pendant des décennies, avant d’être finalement reconnues. Ce fut le cas pour des produits économiques majeurs comme le tabac ou l’amiante. Les bonimenteurs sont en effet toujours très actifs quand les intérêts du système productiviste et consumériste sont présents.
Assemblée associative d’IEB, pollution électro-magnétique, savoirs et mobilisations
7 JUIN 2018, de 14h00 à 20h30,
Pianofabriek, rue du Fort 35, 1060 St-Gilles.
Participation gratuite et inscription vivement souhaitée (alexis.dabin@ieb.be – stephanie.dhaenens@ieb.be ).
[1] L’effet nocebo est l’alter-ego néfaste de l’effet placebo. Du latin « je nuirai », il est de nature psychologique. Il a été démontré que certains patients consommant des produits inertes qu’ils pensaient être des médicaments actifs ressentaient des effets secondaires indésirables si ces effets secondaires ont été annoncés comme potentiellement associés à la prise de ce médicament. L’effet nocebo est donc le fruit de la conviction qu’une substance ou une pratique médicale peut être nuisible.