L’écologie politique est en échec parce qu’elle se trompe de combat et a renoncé (depuis l’invention du concept de “développement durable”) à la lutte sociale.
Ce renoncement a participé à une confusion trop généralement répandue entre les symptômes et la maladie du système.
Tout comme le concept de “développement durable” a popularisé l’idée fausse qu’il était possible de continuer à vivre en paix, sur une “planète préservée”, sans remettre en cause le capitalisme, c’est une illusion de penser que les problèmes environnementaux permettront de fédérer suffisamment de citoyens pour provoquer un basculement majeur, ce fameux “changement de paradigme” qui est réclamé dans la plupart des discours écologistes aujourd’hui. Rien que l’expression dit beaucoup de cette méprise. À qui s’adresse-t-on quand on parle en ces termes? Rend-on le discours accessible à tous? Ne participe-t-on pas à une mystification qui empêche l’action et surtout le rassemblement de masses suffisantes pour peser dans la balance du pouvoir?
Les enjeux environnementaux ne sont que les symptômes d’un système malade. On connait le diagnostic. Reste à accepter de soigner le mal à la racine plutôt qu’en demandant des remèdes qui n’auront pour effet que de masquer la fièvre, pour un temps seulement.
Les défis environnementaux sont énormes, ils poussent un nombre croissant de citoyens à réclamer/ mettre en oeuvre un changement profond, mais c’est une erreur de penser qu’ils peuvent être le fer de lance de celui-ci. Que certains aient pu penser ou espérer qu’Hulot y parviendrait en France est caractéristique de ce fourvoiement.
Comment a-t-on pu imaginer que cet homme puisse changer le système, ou le veuille vraiment? Sa boite de conseil, Eole, génère entre 480.000 et 715.000 de chiffre d’affaire par an, en grosse partie grâce aux royalties d’une marque de gels douche peu écologiques. En outre, selon les informations du Canard Enchaîné, la Fondation Nicolas Hulot (appelée “Fondation pour la nature et l’homme” depuis qu’il a passé la main à Audrey Pulvar) a reçu depuis plusieurs années de grosses sommes d’entreprises qui sont à la tête de ce système: EDF a versé 460.000 euros à la fondation jusqu’en 2012 – et 100.000 depuis lors. Qu’Hulot soit conscient des défis écologiques, peut-être, mais s’il a été choisi pour faire partie du gouvernement Macron, c’est aussi parce qu’il fait partie de ce monde-là. On peut au mieux le voir comme un naïf qui pense le changer de l’intérieur, selon l’idée, elle aussi très répandue, que c’est en montant dans la cabine de pilotage d’un navire à la dérive qu’on peut en modifier la trajectoire. Peut-être s’est-il rendu compte que le changement ne pouvait provenir de mesures cosmétiques, et que tant qu’on ne viderait pas les cales trop chargées et trop bien gardées du bateau, on n’éviterait pas le naufrage ? Sa sortie du gouvernement, que certains ont comparée à l’abandon du navire par les rats, ne suffit pas à le prouver, ni ses déclarations. Parce que ce n’est pas l’écologie qui doit être une priorité, mais la justice sociale. L’équilibre écologique peut en découler, mais nous savons à présent que l’inverse n’est pas vrai. Il est temps d’accepter d’inverser ce système de pensée.
Ce que nous apprend cette histoire, c’est qu’aujourd’hui, ceux qui réclament le changement sont simplement encore trop peu nombreux, coincés entre les classes dirigeantes (je ne parle pas ici uniquement des politiques) qui considèrent que les défis environnementaux sont des opportunités de continuer à s’enrichir tout en gardant le pouvoir, et ceux qui pensent qu’ils n’ont d’autre choix que de subir. Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, elle s’en sortira toujours, et même lorsqu’elle se fera plus invivable encore pour les hommes, ce sont les plus pauvres qui en subiront, les premiers et de la façon la plus violente, les conséquences. C’est déjà le cas. Le changement tant attendu ne viendra que lorsqu’on assumera de brandir le défi social plutôt que le défi écologique pour exiger un changement révolutionnaire. J’utilise ce mot parce que profond ne suffit pas. L’idée de révolution fait toujours peur parce qu’elle induit celle de violence. Mais la violence du système actuel est palpable, dans tous les domaines (y compris celui du climat, de l’environnement, et tout est lié: globalisation, accaparement des richesses, réchauffement climatique, migrations, et résurgence des mouvements xénophobes ). Et si l’on veut éviter des violences plus mortifères, c’est une révolution des idées, des valeurs, qu’il faut mettre en place.
“Les valeurs humaines sont encore plus importantes parce qu’elles fondent toutes les valeurs sociales. Nos institutions et nos conditions sociales reposent sur des idées profondément ancrées. Si l’on change ces conditions sans toucher aux idées et valeurs sous-jacentes, il ne s’agira alors que d’une transformation superficielle, qui ne peut être durable ni amener une amélioration réelle. […] Le but ultime de tout changement social révolutionnaire est d’établir le caractère sacré de la vie humaine, la dignité de l’homme, le droit de chaque être humain à la liberté et au bien-être. Si tel n’est pas l’objectif essentiel de la révolution, alors les changements sociaux violents n’ont aucune justification. » (Emma Goldman).